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Cornus rex-populi
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25 mars 2024

Retour à Douai (1)

Une nouvelle visite au musée de la Chartreuse de Douai (Nord). La fois précédente, c’était en cinq épisodes : 1, 2, 3, 4 et 5.

Donc, je ne me répète pas, je montre tout de suite mes nouvelles photos.

Jean Bellegambe (Douai, v. 1470 – 1535). Polyptyque de la Trinité dit Polyptyque d’Anchin. Un des panneaux de la partie centrale consacré à la Vierge. Vers 1511. Huile sur bois.

Giovanni Francesco Romanelli (Viterbe, 1610 – 1662). Ange de l’Annonciation. Peinture à l’huile sur toile.

 

Camille Pissarro (Charlotte-Amélie [Îles Vierges], 1830 – Paris, 1903). La sente du Chou. 1878. Huile sur toile.

 

Charles Laurent, mouleur, d’après le modèle original de Jean-Baptiste Carpeaux (Valenciennes, 1829 – Courbevoie, 1875). Le pêcheur napolitain. 1856-1858. Plâtre patiné.

 

Louis Desprez (1799-1870). L’innocence. 1831. Bronze.

 

Suiveur de Dirk Bouts (Haarlem ?, vers 1415 – Louvain, 1475) d’après Rogier de Le Pasture [ou Roger de La Pasture ou plus connu encore, Roger van der Weyden] (Tournai, vers 1399/1400, Bruxelles, 1464). La descente de croix. Fin du XV° s. Huile sur bois transposée sur toile marouflée sur contreplaqué.

 

Angleterre, Nottingham. La Flagellation. Pièce d’applique. Albâtre polychromé doré.

 

Attribué à Jean Bellegambe (Douai, v. 1470 – 1535). La Vierge protectrice des Cisterciens. Un des panneaux de la partie centrale consacré à la Vierge. Vers 1507. Peinture à l’huile sur bois.

 

Anonyme. Pays-Bas méridionaux. XVI° s. Sainte Anne trinitaire. Chêne.

 

Jean Bellegambe (Douai, v. 1470 – 1535). Le martyre de sainte Barbe. Panneau d’un retable illustrant la vie de sainte Barbe. Vers 1528. Huile sur bois.

 

Anonyme. Pays-Bas méridionaux. XVI° s. Vierge de pitié. Chêne.

 

Anonyme. D’après Jan Sanders van Hemessen, Flandres, XVI° s. Ecce homo. Peinture à l’huile sur bois.

 

Constantin Meunier (1831-1905). L’ouvrier. Bronze.

 

Allemagne, première moitié du XVII° s. Plat : Crucifixion. Décor polychrome. Terre cuite vernissée.

 

Albert Bouquillon (Douai, 1908 – Paris, 1966). Jeunesse. 1949. Plâtre patiné.

 

Marinus van Reymerswaele (Reymerswaele, vers 1490 – 1570). Saint Jérôme en méditation. Peinture à l’huile sur bois.

 

 

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29 mars 2024

Retour à Douai (2 et fin)

On poursuit la « visite ».

 

Louis Laforesterie (1837-1894). Rêverie. 1875. Marbre.

 

Constant Desbordes (Douai, 1761 – Paris, 1825). Portrait de Marceline Desbordes-Valmore. Vers 1811. Huile sur toile.

 

Eugène-Ernest Chrétien (Elbeuf, 1840 – 1919, Paris) Le Printemps. Salon de 1882. Marbre.

 

Maître du Fils prodigue (actif à Anvers, deuxième tiers du XVI° s.). Le vieillard amoureux. Peinture à l’huile sur bois.

 

Hendrick Goltzius (Mühlbracht [Bracht-am-Niederrhein], 1558 – Haarlem, 1617). Le jeune homme et la vieille. Peinture à l’huile sur toile.

 

Jean-Baptiste Carpeaux (Valenciennes, 1829 – Courbevoie, 1875). Jeune fille à la coquille. 1867. Épreuve en terre cuite.

 

Jean-Baptiste Camille Corot (Paris, 1796 – Ville d’Avray, 1875). Le château de Wagnonville. 1871. peinture à l’huile sur bois.

 

Louis-Leopold Boilly (La Bassée, 1761 – Paris, 1845). Les petits soldats. 1809. Huile sur toile.

 

Balthasar van der Ast (Middelbourg, vers 1593 – Deft, 1657). Nature morte allégorique. Vers 1629-1632. Huile sur bois.

 

Cornelisz van Haarlem (Haarlem, 1562 – 1638). Le baptême du Christ, Peinture à l’huile sur bois.

 

Auguste Rodin (Paris, 1840 – Meudon, 1917). L’Enfant prodigue. Bronze.

 

Pieter Coecke van Aelst (Alost, 1502 – Bruxelles, 1550). Triptyque de l’Adoration des Mages. Vers 1540. Huile sur panneau.

 

Lille, deuxième moitié du XVIII° s. Paire de pots Jacqueline. Pichets anthropomorphes polychromes. Faïence stannifère de grand feu.

 

11 avril 2024

Mes voitures (3 et fin)

Alors finalement, on est resté fidèle non seulement à la marque au lion, mais même au modèle, troisième du nom. Ou retrouvera une photo de la première ici, de la deuxième et voici donc la nouvelle sortie en 2022. Il s’agit d’une occasion justement sortie début 2022. Le moteur essence est grevé par une réputation sulfureuse qui défraye la chronique depuis plusieurs années à cause de la courroie qui trempe dans l’huile, mais les choses ont été revues et la maison-mère a décidé récemment d’allonger la garantie de manière très importante. La boite est automatique et dispose de quelques nouveaux gadgets dont nous verrons s’ils sont tous pertinents à l’usage.

 

28 avril 2024

Boulogne-sur-Mer (1)

Début mars, je m’étais accordé trois jours discontinus de congés…

Nous avons déjà visité plusieurs fois la basilique (ancienne cathédrale) Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) : voir ici. Cette fois, nous avons pu visiter la crypte du XII° s., une des plus vastes de France, redécouverte en 1827 et en partie réaménagée et redécorée après cela. Elle a été restaurée avant 2015.

Pas mal d’œuvres d’art et d’objets liturgiques, mais compte tenu du peu de lumière, cela n’avait rien d’évident… d’ailleurs, le ticket d’entrée était à prix réduit à cause de cela.

Le Vœu de Louis XIV. Vers 1656. Bas-relief en albâtre.

Niche sculptée abritant une statuette de Notre-Dame de Boulogne. XVII° s. Chêne polychrome doré.

Christ en croix. XVII-XVIII° s. Ivoire. Notre-Dame de Boulogne.

Crosse de Mgr Leprêtre. Vers 1936. Laiton doré et pierres fines. Église Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer.

Cela, c’est en dessous de la coupole.

Et ça, l’équivalent de l’abside et de la chapelle axiale.

 

Et toujours la nef, la coupole et une Annonciation près de la coupole. Sans Calyste et Fromfrom, je ne l’aurais pas photographiée.

Charles Soulacroix (Montpellier, 1825 – Florence, 1899). Annonciation. Fresque.

2 mai 2024

Boulogne-sur-Mer (2)

L’Hôtel de ville de Boulogne-sur-Mer comporte un beffroi, un ancien donjon du XII° s. appartenant au premier château comtal connu.

Nous sommes retournés au château-musée, déjà visité en 2014 (voir ici, et ). Il s’agit d’un ancien château comtal du XIII° s. profondément remanié au XVI° s. (ce qu’on en voit pour l’essentiel aujourd’hui) mais dont les « caves » reposent sur d’anciennes fondations gallo-romaines). Quelques vues extérieures.

 

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4 mai 2024

Boulogne-sur-Mer (3 et fin)

Et la partie musée.

Georges Maroniez (Douai, 1865 – Paris, 1933). Les moulières au soleil couchant. Huile sur toile.

 

Henry-Arthur Bonnefoy (Boulogne-sur-Mer, 1839 – 1917). Le Fort d’Ambleteuse. Huile sur carton.

 

Culture Sugpiaq. Allayak / masque masculin. Archipel de Kodiak, Alaska. Bois, fourrure, ficelle, rendons, pigments. XIX° s.

 

Anonyme flamand. Tête de vache. XVII° s. Huile sur toile.

 

Francis Tattegrain (Péronne, 1852 – Arras, 1915). Vue de la dune de Saint-Frieux. Vers 1892. Huile sur toile.

 

École de Marco Pino (vers 1525-1587). La sainte famille. XVI° s.. Huile sur toile.

 

Période gallo-romaine. Pierre aux quatre dieux. Mercure ? Marquise, lieu-dit « Les Garennes » (découverte en 1856).

 

Alfred Sisley (Paris, 1839 – Moret-sur-Loing, 1899). Le pont de Moret-sur-Loing. 1894. Huile sur toile.

 

Joseph Thomas Tuite (1800 – 1875). Vue du port de Boulogne. 1829. Huile sur toile.

 

Maerten de Vos [Martin de Voos] (Anvers, 1532 – 1603). Le martyre de saint Sébastien. XVI° s. Huile sur toile.

 

Période gallo-romaine tardive. Les Dioscures, Castor et Pollux. Oolithe de Marquise (Pas-de-Calais).

 

Égypte, nécropole de Meïdoum, mastaba de Nefermaât et d’Atet, chapelle funéraire d’Atet. Peinture murale dite « Les oies de Meïdoum ». Reconstitution.

 

 

Statuettes de serviteurs funéraires. Égypte. Faïence, bois, calcaire. Différentes époques.

 

Amphore. Manière du peintre d’Acheloos. Grèce, Attique. Céramique à figures noires. Vers 520 av. J.-C.

 

Robert Aly (dates inconnues). Fort de Châtillon, vue prise des dunes en 1828. 1828 (?). Huile sur toile.

 

Hubert Eugène Bénard (Boulogne-sur-Mer, 1834 – 1879). Pêcheuse assise sur un rocher tenant une petite fille. 1864. Huile sur toile.

 

Pierre-Narcisse Guérin (Paris, 1774 – Rome, 1833). Portrait de petite fille. Début du XIX° s. Huile sur toile.

La salle de la Barbière, assez souterraine, date du XIII° s.

Les souterrains avec vestiges gallo-romains... et c'est là que sont exposées des stèles et statues romaines.

20 mai 2024

Mi-Carême

Dans notre ville d’H., il n’y a pas de « vrai » carnaval, mais il y a une fête foraine en ville autour de la Mi-Carême et un cortèges avec chars, déguisements, fanfares et géants (voir ici). Depuis que nous habitons ici, c’était la deuxième fois que ce cortège passait dans notre rue (19 mars cette année). Les personnes en tenue de « mousquetaire » sont des policiers municipaux. Photos prises depuis le premier étage de la maison, sauf les deux premières prises en bas.

 

23 mars 2008

Euthanasie

Je n’ai pas tellement pour habitude de commenter l’actualité comme cela se fait sur beaucoup de blogs. Aujourd’hui, je le fais, non pas en réaction à l’affaire trop abondamment traitée dans les médias, mais pour donner mon sentiment personnel.

Le mot euthanasie m’a longtemps fait peur quand j’étais jeune. Je crois bien que j’en avais compris le sens très tôt, mais ce mot contenait pour moi la sonorité [nazi], synonyme de mort violente.

Dans mon entourage, on a souvent évoqué la possibilité d’en finir en se donnant la mort si on finissait par se retrouver dans un état de déchéance avancé. Encore qu’il faudrait préciser cet « état de déchéance avancé ». Longtemps, tout cela me parut bien théorique parce que je me sentais finalement assez loin de ces cas d’euthanasie. Et puis on grandit, on lit, on entend des témoignages. Un jour (il y a environ 8 ans), je vois un reportage à la télévision : un type qui lorsqu’il était bien portant avait toujours dit à sa femme que si un jour il était dans un « état de déchéance avancée », il voudrait en finir. Or ce monsieur, encore relativement peu âgé se trouvait dans un très sale état suite à une maladie incurable : complètement paralysé, assisté et branché de partout. Eh bien ce monsieur qui, malgré son état extrêmement grave, ne semblait pas souffrir et ne demandait pas la mort. Il s’accrochait à ce petit bout de parcelle de vie qui lui restait. Ces images, le témoignage de sa femme me touchèrent au plus haut point. Et je crois (comment être sûr ?) que me suis forgé une conviction : la vie vaut toujours d’être vécue jusqu’au bout, à condition de ne pas souffrir. Évidemment, tout le problème réside dans cette éventuelle souffrance. Sans cette dernière, se suiciderait-on ?

En novembre 2003, un vieil ami (il avait plus de 80 ans) dont j’ai déjà évoqué ici la mémoire mettait fin à ses jours en se tirant une balle de pistolet. Mort ô combien violente. Certes, il était malade : problèmes cardiovasculaires, goutte, autres problèmes apparemment moins graves. C’était un homme qui avait toujours été dur à la tâche (il était artisan maçon « à l’ancienne »), qui avait vécu des moments difficiles dans sa jeunesse en tant que résistant notamment. A cause de ses problèmes cardiaques, il avait été obligé de prendre sa retraite avec un peu d’anticipation, mais il était resté très actif. Mais en vieillissant, il avait fini par devenir épouvantablement hypochondriaque. Il était également devenu très acariâtre, notamment avec sa femme et il déprimait carrément. Sa maladie physique semblait contenue mais il ne supportait plus d’être dépassé par la maladie. Et surtout il ne croyait plus ce que les médecins lui disaient, c’est-à-dire qu’il n’était pas physiquement plus malade qu’avant. Psychiquement, c’était autre chose : il n’en pouvait plus. Bien des années avant, alors qu’il était encore en pleine forme, il avait évoqué la possibilité d’en finir exactement comme il l’a fait. Bien des personnes n’avaient pas pensé qu’il le ferait. Moi, je savais qu’il pouvait le faire. Je n’ai donc pas été tellement étonné par son suicide. N’étant pas suffisamment proche de lui, en tout cas à ce moment là, j’ignore le chemin exact qu’il a emprunté pour en arriver là. J’ignore si le corps médical a été à la hauteur ou à quel point il aurait accepté la thérapeutique. En tout état de cause, je ne suis pas loin de penser (sa femme était en tout cas sur cette longueur d’onde) que cette façon d’en finir fut une libération. Peut-être aussi est-ce moins choquant de partir ainsi à cet âge là ?

Alors, pour en revenir à l’actualité, je ne suis a priori pas tellement d’accord pour la légalisation de l’euthanasie parce qu’elle constitue une forme de permis de tuer. L’homme en pleine santé que je suis, l’homme qui ne connaît aucun problème important, l’amoureux de la vie que je suis me dit que même plongé dans un « état de déchéance avancée », je voudrais encore m’accrocher jusqu’au bout. Je ne voudrais pas qu’on décide à ma place. Je ne veux pas non plus qu’on prétexte une fallacieuse volonté d’euthanasie pour se débarrasser des gens encombrants (c’est là que ressurgit l’idée de [nazi]). En même temps, je me dis que l’on doit tout faire pour soulager les souffrances et le milieu hospitalier français a encore du boulot sur la planche et de gros progrès à faire sur le sujet. Enfin, il me semble que lorsqu’on a épuisé tous les recours et que l’on y a eu effectivement et pleinement accès, il semblerait que l’on devrait avoir le droit d’en finir. Seulement, c’est là qu’est le hic : l’euthanasie active ne doit en aucun cas être un palliatif aux carences du monde hospitalier. Avec le délabrement du monde hospitalier qui devrait se poursuivre et s’amplifier dans les années à venir (nos gouvernements s’y emploient activement), j’ai bien peur que la légalisation de l’euthanasie se transforme en moyen thérapeutique. Cela fait froid dans le dos.

14 mars 2010

Un tout petit morceau de mon Ferrat à moi

Enfant, à la maison, nous n’étions pas très bien équipés en musique, mais nous disposions d’un tourne-disque sur lequel on écoutait quelques 33 tours, un 45 tours et une collection de 78 tours craquants, complètement épuisés. Parmi les premiers, deux Jean Ferrat que j’ai toujours vus à la maison. Nous les écoutions assez rarement, mais c’est là qu’allait la préférence de mon père. De tout temps, j’ai entendu du Ferrat, d’autant que mon père interprétait régulièrement en travaillant à la maison ou au jardin des extraits de « La montagne », « La Commune », « Les derniers Tziganes », « Potemkine ». Un peu plus tard, une cassette audio était venue compléter la collection.

Bien sûr, à l’époque, je ne comprenais à peu près rien de ces chansons. Je ne recevais que certaines caractéristiques de la musique et du chant. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai commencé à comprendre ce qui était dit et il a fallu attendre ma vingtaine bien entamée pour que j’achète cassettes puis CD.

Jean Ferrat n’a certes pas fait que des chefs d’œuvre, mais je considère qu’il y a une grande diversité dans ses chansons. Bien sûr, des chansons retranscrivant la poésie, majoritairement de Louis Aragon, sa poésie à lui (dont « Oural Ouralou » qui me plaît particulièrement), des chansons d’amour, parfois touchantes comme « Deux enfants au soleil », et bien sûr des chansons « engagées » (je suis assez allergique à cette appellation), dont « Nuit et brouillard », découverte assez tardivement, m’a fait pas mal tremblé d’effroi.

Je n’ai pas (bien) connu cette époque, et il n’a certes pas été le seul dans ce cas là, mais il a été la victime de la censure : certaines salles de spectacle lui restaient fermées, il n’était pas toujours le bienvenu à la radio ou à la télévision.

Il y a des chansons de lui que je n’aime pas particulièrement, notamment toute une série des années 1960-70 qui ont mal vieilli ou qui consacrent de façon excessive « l’idéal cubain ».

Après un album de chansons personnelles en 1991, il sort son dernier disque entièrement consacré à Aragon en 1995 et depuis, il n’avait pour ainsi dire plus chanté.

L’homme n’était pas consensuel, était atypique, ne faisaient guère de concessions, n’était pas une « star » (comme d’autres, certes), a été un compagnon du parti communiste français, mais il est resté libre, s’en est désolidarisé, parfois de façon assez violente (« Le bilan » en 1980).

Voilà, j’ai été « bercé » par ses chansons depuis le plus jeune âge, mais je suis tombé sous le charme plus tard. Artiste majeur, chansons incontournables pour moi. Ce n’est pas par hasard, si nous avions choisi « Que serais-je sans toi » pour notre mariage après avoir hésité avec « Aimer à perdre la raison ».

Nous avons appris en coup de vent sa mort hier après-midi et ce matin, j’ai entendu quelques courts extraits d’ « hommages et récupérations » à mourir. Lamentable. S’il pouvait ressusciter quelques instants pour venir leur botter le cul à ces bandes d’incultes, d’abrutis, de manipulateurs, de salopards…

16 novembre 2015

Brèves cornusiennes (53)

De son côté, Fromfrom a reçu dimanche après-midi un coup de fil d’un journaliste du journal régional, qui l’avait déjà interviewé début juillet suite à ses premiers passages à « Question pour un champignon », pour faire un reportage sur comment la question des attentats parisiens allaient être évoqués en classe (CM2). Fromfrom a décidé de jouer le jeu. Elle savait bien entendu déjà parfaitement comment elle allait s’y prendre. Il lui fallait forcément l’accord de sa directrice. Quand elle lui en a parlé ce matin, cette dernière à fait une gueule de six pieds de long, en lui disant que Fromfrom en porterait l’entière responsabilité (courage fuyons !). A la fin de la matinée, elle s’est en plus arrangée pour s’éclipser et ne pas croiser le journaliste (bis : courage fuyons !) et avoir son témoignage en tant que directrice. Elle a même trouvé le moyen de dire qu’elle n’était pas d’accord avec une phrase du Dalaï-lama que Fromfrom avait affiché au tableau « La religion ne transforme pas les hommes en criminels, ce sont les criminels qui utilisent la religion comme alibi à leur soif de pouvoir ». Bien sûr, on peut discuter dans le détail, décortiquer le sens, en faire une longue dissertation, critiquer celui qui l’a prononcée, etc. Bien sûr, ce que Fromfrom a dit en classe était excessivement loin de se résumer à cela. Alors, la première conclusion est de dire que la directrice de Fromfrom a moins d’esprit qu’un élève de CM2, qu’elle est incapable d’avoir l’idée d’en faire le dixième avec ses élèves. Et qu’en plus, il n’y a qu’une chose qui l’intéresse : elle-même, dans une forme d’autoritarisme à peine croyable, doublé d’une jalousie de se faire mettre au second plan par une « simple » enseignante. Elle a préféré s’enfermer dans sa médiocrité au lieu de soutenir, d’accompagner ses enseignants. Demain, elle va sûrement éplucher la presse et elle trouvera sûrement une virgule dans le texte du journaliste à reprocher à Fromfrom. Si j’étais enseignant dans cette école, je crois que j’aurais XXXX cette conne dès le premier jour où j’aurais mis les pieds dans cette école. Mais la question n’a aucune chance de se poser, alors je me calme, mais que le cul lui pèle quand même !

18 novembre 2007

3 Novembre : 5/5 - un bilan ?

Pour cette cinquième partie de la note, un temps, j’avais pensé vous parler des cadeaux que l’on nous a fait (dans le désordre) : les sept péchés capitaux, presque tous déjà engloutis, une lampe de salon d’un sublime rouge éclatant, un sublime plat fleuri en Quimper (nous hésitons entre son aspect décoratif et son côté utilitaire, je crois que ce sera les deux), un ensemble d’objets décoratifs fait main, diverses friandises, de superbes fleurs que nous avons été de laisser derrière nous, faute de transportabilité, une cafetière italienne, deux peintures qui vont rejoindre la tête de notre lit, des enveloppes qui devraient servir à voyager, des livres qui nous font déjà voyager… Au lieu de cela, j’ai décidé de vous parler de choses beaucoup plus personnelles.

Pourquoi faire un bilan ? Parce que ce mariage religieux, cette fête sont intervenus environ deux ans après que nous avons fait connaissance pour de vrai et après un an et quatre mois de vie commune. Cela semble un peu bête, mais je me demande aujourd’hui si tout cela aurait été possible sans l’internet ? Je ne suis généralement pas quelqu’un de toujours à la dernière pointe du progrès. Certes, j’étais relié à la toile depuis pas mal d’années déjà, mais j’ai longtemps ignoré ce qu’étaient les sites de rencontres, les « tchats » ou les blogs ; je ne me suis longtemps servi de l’internet que dans un but professionnel ou fonctionnel. J’ai déjà raconté ici que cela a commencé à changer à la suite d’un accident qui m’avait totalement immobilisé et la « découverte » de ma solitude dont je voulais nier la réalité.

Je crois que l’internet m’a été d’une aide profondément secourable. Bien sûr, je m’y suis pas mal cassé les dents, je me suis fait pas mal d’illusions, je me suis fait berner, abuser, manipuler. Bien sûr, cela n’a pas eu de conséquences graves sur ma santé ou sur mon intégrité et cela ne m’a pas véritablement découragé. Il me semble qu’en même temps qu’on jouait avec moi ou que l’on se jouait de moi, le naïf que je suis a tout de même fini par apprendre certaines choses. Au départ, je ne cherchais rien de particulier dans l’internet, avec toutefois l’espoir de nouer des amitiés. Pas mal de déceptions de ce côté là aussi.

Et puis il y eut cet électrochoc, cette interrogation sur une partie de mon identité. Je veux dire ici que ma timidité, ma totale inexpérience m’ont conduit vers quelque chose que je pensais, un temps plus « abordable » : l’homosexualité. Par ce biais là, j’ai connu une première forme d’expérience. Il faut bien parler d’expérience et de rien d’autre tant il n’y a pas eu grand chose d’autre. Ayant pris conscience qu’il y avait un problème, que quelque part, je ne constituais qu’un jeu optionnel, j’ai pris l’initiative de la rupture. Bien que déçu, bien que pas à l’aise du tout dans cette sphère homosexuelle (sans même parler de la culture « gay », qui par certains côtés, me paraissait encore trop caricaturale), je me suis entêté, virtuellement parlant. Ce fut encore l’occasion de tromperies, mais aussi quelques découvertes de personnes sans arrière-pensées, désintéressées et qui ont aussi beaucoup compté pour me guider. Parallèlement, prenant peu à peu conscience que je n’étais pas à ma place, j’ai tenté de faire feu de tout bois en allant voir aussi du côté hétérosexuel. J’étais devenu complètement accroc à la machine internautique et aux petites émotions sans lendemain qu’elle provoquait. J’en étais venu à m’attacher de façon excessive à l’image, comme si l’amour était exclusivement attaché à l’image. Quelle bêtise… A cette période, j’avais déjà fait la connaissance du rare lépidoptère pollinisateur de rhododendrons dont, plus tard, le battement des ailes, provoquera bien des bouleversements. Dès que vis S. par la petite lucarne, il se passa quelque chose d’assez difficile à définir. Timidement, je devais m’intéresser à elle. Puis, rapidement, je devins vraiment accroc à ELLE, c’est-à-dire à S. dans TOUTES ses dimensions. Timide, incertain sur le plan sexuel, je devais néanmoins rompre toute autre forme de liens précédents, les considérant soudain vraiment pas à la hauteur et profondément inintéressants. Et puis, le fruit étant probablement mûr, j’ai pris la décision d’aller la voir. La suite est connue : une révolution majeure qui a bouleversé ma vie, notre vie.

Mais il faut néanmoins revenir sur certains points, notamment au sujet de mon orientation sexuelle. J’ai longtemps tourné autour du pot sur ce blog. A part quelques-uns qui auront su décrypter certaines clés, je n’avais osé en parler. Bien entendu, je n’en avais pas parlé à mon entourage direct. A partir du moment où S. et moi nous fûmes rapprochés (novembre 2005), et de façon particulièrement solide et indéfectible (début 2006), et bien sûr après le mariage civil d’août 2006, je n’avais plus à me justifier, tant cela paraissait évident. Évident, cela l’était pour moi, pour nous, depuis longtemps. Mais en avançant, on essaye de comprendre le parcours que l’on a eu.

J’ai toujours eu des liens étroits avec mes parents qui sont toujours restés très proches malgré l’éloignement géographique lorsque j’ai débuté mes études universitaires. De plus, en tant que fils unique et ayant bénéficié d’une certaine éducation, j’ai toujours tout dit ce qu’il m’arrivait, sauf sur le plan sentimental et sexuel. Il faut dire que sur ces derniers points, il n’y eut rien à dire pendant plus de 33 ans. Rien à dire, sauf ma longue absence d’intérêt pour la chose. Chez mes parents, plus généralement dans ma famille, on n’a jamais parlé de cela, ce qui a peut-être aussi expliqué ma longue période asexuée. Mon côté homosexuel latent existait depuis longtemps, mais je n’aurais jamais osé en parler à personne, et je n’avais personne qui aurait été naturellement apte à l’entendre ; du moins, c’est ce que j’imaginais. De plus, je crois que je n’aurais pas été davantage apte à parler d’amour ou de sexe, fût-il hétérosexuel. Il y a au moins d’une douzaine d’années, mon père s’interrogeait innocemment à haute voix sur ma vie privée (il la devinait inexistante). Ma mère lui répondit qu’il n’avait aucune idée de ma vie privée et qu’il ne connaissait bien peu de choses de son fils. Ma mère avait à la fois tort et raison.

Connaissant l’amour réciproque pour mes parents, il paraît tout à fait inconcevable de croire que j’ai longtemps pensé que je serais incapable de leur annoncer un jour que j’aimais quelqu’un et que j’allais vivre avec. Une peur, une forme de castration mentale, une façon de croire qu’aimer quelqu’un était une forme de trahison envers mes parents. Le soir du 13 novembre 2005, je devais pourtant leur annoncer ma rencontre avec S. L’annonce ne fut pas sans provoquer des interrogations, surtout chez ma mère, mais rien de méchant, rien de plus normal. Les circonstances de cette rencontre furent racontées ensuite, mais je n’avais pas tout dit. Je n’étais pas très fier de ne pas avoir tout dit et je n’osais le dire oralement. Alors, à la fin mai de cette année, j’ai écrit une lettre à mes parents (j’ai fait une note sur le sujet ici) pour clarifier les choses et les dire, tout simplement. La réaction de mes parents à cette lettre fut incroyable : ils n’y avaient pas appris des choses fondamentales. Que de craintes infondées.

Alors pourquoi revenir sur le sujet aujourd’hui ? Parce qu’il me semble que ce n’est pas une histoire si anodine que ça, parce que c’est un sujet qui fait beaucoup souffrir et que pas mal de monde y est confronté à des degrés divers. C’est aussi l’occasion pour moi de dire combien je me sens un homme, équilibré et épanoui, que l’amour change bien des choses et ouvre bien des perspectives. Je voulais dire aussi que notre amour à S. et moi s’exprime en toute liberté, au vu et au su de tous et j’aimerais que cela soit aussi le cas pour tout le monde. Nous sommes encore loin du compte. La bêtise, les préjugés et l’intolérance sont encore bien ancrées, mais j’ai quand même bon espoir.

21 mars 2009

Le Cépiau (11)

Le Cépiau continue, eh oui. Et petit peu à cause de KarregWenn.

Résumé des épisodes précédents :

Le Cépiau (1)

Le Cépiau (2)

Le Cépiau (3)

Le Cépiau (4)

Le Cépiau (5)

Le Cépiau (6)

Le Cépiau (7)

Le Cépiau (8)

Le Cépiau (9)

Le Cépiau (10)

Si les fibres de bois de la grande table pouvaient parler, elles pourraient expliquer ce qu’elles avaient entendu, vu, ressenti… Deux coupes de Champagne venaient de heurter le plateau de chêne dans un éclat de rire diabolique.

L’adjudant avait été prévenu le matin même. Maurice, Robert et Yves arrivèrent à la caserne à 9 heures.

- Messieurs, je vous prie de vous asseoir, nous allons procéder à la vérification de vos identités.

Les trois hommes s’exécutèrent. Près d’une demi-heure plus tard, l’adjudant entra dans le hall.

- Alors, Messieurs, que puis-je pour vous. Vous souhaitez faire une déposition au sujet du décès du Cépiau ? Et pour cela, vous aviez besoin du concours de la police. C’était complètement inutile. D’ailleurs, la police n’a pas compétence dans ce canton. Je suis seul habilité à vous auditionner.

- Nous le savons, répondit Yves, je ne suis là qu’à titre privé, en tant qu’ami de ces Messieurs. Et nous souhaiterions, au moins dans un premier temps, être auditionnés de façon conjointe.

- Qu’à cela ne tienne, exceptionnellement, j’accepte cette requête peu orthodoxe. De toute façon l’enquête sur le décès du Cépiau est définitivement close. Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer dans mon bureau.

Maurice et Robert commencèrent alors le récit des faits troublants qu’ils avaient pu recueillir au sujet des circonstances de la mort du Cépiau. Le récit terminé, l’adjudant éclata de rire.

- Eh bien, commissaire Taxus, c’est pour ça que vous m’avez fait déranger ? Tout cela ne tient pas la route. Et vous, votre histoire de chapeau perdu, que voulez-vous que ça me fasse ? Bien sûr que nous l’avions remarqué : il l’aura laissé quelque part ou l’aura perdu en route, tout simplement.

- Non cria Maurice. Le Cépiau n’aurait jamais abandonné son chapeau quelque part et l’aurait encore moins perdu.

- D’ailleurs, s’écria Robert, la disparition du chapeau est bien la seule chose que vous ayez remarquée. Sauf à vous déplaire, mon Adjudant, beaucoup de choses vous ont échappé. Avez-vous interrogé le docteur Rouleau ?

- Bien sûr que nous avons interrogé le docteur. C’est même lui qui a fait le constat de décès : mort naturelle par ingestion irraisonnée d’alcool.

- Si on vous croit, fit Robert, s’il n’était pas mort, vous auriez volontiers verbalisé le Cépiau pour ivresse publique.

- Tout à fait.

- Alors, fit Maurice, vous n’avez pas discuté personnellement avec le docteur Rouleau. Pourquoi croyez-vous que le gens du village ne le consulte plus ? Pourquoi croyez-vous que toute le monde s’en va à R pour voir le médecin ?

- Je ne sais pas, moi, ce n’est pas mon problème si les gens préfèrent tel ou tel médecin.

- Eh bien nous, nous savons pourquoi : votre médecin est gâteux et ne sait plus où il en est la moitié du temps.

- Mais vous n’aviez pas à interroger le docteur Rouleau.

- Faux, mon Adjudant, coupa Yves. Selon vos dires, l’enquête est close et par conséquent, chacun est libre d’aller discuter avec qui bon lui semble.

- De toute façon, rien ne vous autorise à remettre la parole du docteur en doute.

- Alors, demanda Robert, vous n’allez pas demander une étude toxicologique sanguine ?

- Non, je n’en vois pas l’utilité. Ce ne sont pas vos élucubrations qui vont changer quelque chose et permettre la réouverture de l’enquête. D’ailleurs le maire m’a dit que…

- Le maire vous a dit ?

- Rien, cela ne vous regarde pas.

- Fort bien, fit Yves à ses deux compères, il est clair que nous n’obtiendrons rien par ici.

- Parfaitement, commissaire Taxus, vous m’avez déjà suffisamment perdre mon temps et je ne vous retiens pas.

- Minute, mon Adjudant, vous allez quand même enregistrer les dépositions de ces Messieurs.

- Mais…

- Il n’y a pas de mais, la loi l’exige.

- Certes, certes, le Brigadier Gondronel va s’en occuper. Au revoir Messieurs.

Il fallut bien le reste de la matinée pour taper, doigt à doigt les dépositions. A midi, les trois hommes se retrouvèrent pour l’apéritif chez la mère Vieillard.

- Eh bien chers amis, fit Yves, on n’est pas frais pour aller aux devants de l’empereur. L’Adjudant est un sacré con. De plus, il protège son pré carré. Néanmoins, je pense qu’il va bouger.

- Ça n’est pas gagné dit Robert. Mais si on allait taper son patron, le capitaine Mangemoisec à A. ? Il me semble que dans le temps, le Cépiau était vaguement copain avec lui.

- Eh bien c’est vrai, s’écria Maurice, pourquoi n’y avons pas songé plus tôt.

- Tout simplement parce qu’on pouvait encore croire à un minimum d’intelligence de l’Adjudant, fit Yves. Mais de toute manière, ça va bouger. Vos dépositions ne vont pas totalement rester lettre morte. Vous devriez prévenir Charles : je parie qu’ils vont l’arrêter pour cette histoire de taupicine.

- Très bien, fit Maurice, nous irons le voir après manger. Il ne faudrait pas qu’il s’inquiète.

- Autrement, il y a quelque chose qui m’inquiète, fit Yves. Pourquoi diable a-t-il évoqué le maire ?

- Il a parlé du maire, répondit Robert en finissant son verre d’aligoté, avant de se raviser et de s’apercevoir qu’il en avait déjà trop dit. Tu as raison, Yves, c’est louche cette histoire.

- Il aura reçu des consignes du maire fit Maurice. Tu penses bien qu’ils sont cul et chemise ceux deux là.

A la fin du repas, Maurice fit part à voix basse d’une idée.

- Après avoir vu Charles, nous rentrerons à A. Vous, vous irez voir le capitaine Mangemoisec et moi, vous me laisserez en route dans le virage du Bois de la Coiffe. Je reviendrai discrètement au village à la tombée de la nuit pour ne pas me faire repérer. J’ai bien envie de rendre visite au curé.

- Le curé ? Mais il ne voudra jamais te recevoir fit Robert.

- Mais qui a dit que je me ferai annoncer. Je veux juste essayer d’en savoir plus.

- Méfie-toi, Maurice, il ne faut pas que tu te rendes coupable d’une quelconque infraction.

- Ne t’inquiète pas, Yves, c’est le Cépiau et moi qui avons réalisé les portes de l’église et de la cure. Je saurai les ouvrir sans que personne ne s’en aperçoive.

- Très bien fit Robert, je te fais confiance, je sais que le Cépiau et toi aviez plus d’un tour dans votre sac.

Il longea la rivière, se faufila entre les bouquets de vernes, puis à la hauteur du pont des Chaumes froides, il obliqua en direction de la station de pompage d’eau potable. Si le Cépiau avait été là, il n’aurait même pas pu le distinguer parmi les silhouettes des genêts*. Cette fois, en effet, la nuit était belle et bien tombée, mais la lune bientôt pleine, guidait largement les pas des braconniers et des brigands.

Alors qu’il allait gagner le cimetière par le bas de la grande pâture, Maurice trébucha en débuchant de la bouchure. Il n’eut pas le temps de grommeler d’une telle maladresse qu’un morceau de bois vint se plaquer violemment contre sa gorge. Maurice crut sa fin proche, se débattit, fit mine de hurler, mais la pression sur sa gorge se fit plus forte encore, étouffant définitivement tout essai de râle parmi les genêts.

A suivre.

* Cytisus scoparius (L.) Link (Genêt à balais)

14 juin 2013

Brèves cornusiennes (5)

Hier matin, de bonne heure au bureau, je découvre un courriel, envoyé la veille (j’avais pris mon mercredi) annonçant le décès du père d’un collègue. Je serai bien allé aux obsèques, mais je devais partir en réunion, une réunion qui devait d’ailleurs se poursuivre par une petite visite de terrain dans le Boulonnais oriental. De plus, j’étais un peu loin pour aller à la cérémonie au crématorium, le même établissement dans lequel je m’étais rendu il y a plus de huit ans pour le dernier hommage à ma collègue, nommée dans des notes anciennes, « bécassine des marais » ou « Perrine ». Contrairement aux églises, un lieu déjà fort peu engageant à la base pour moi, mais qui a résonné de manière particulière. Je n’ai cessé d’y penser durant l’heure de trajet pour aller à ma réunion.


 

Ces dernières semaines, je ne cesse d’apprendre des décès (pas forcément des personnes que je connaissais, mais qui touchent mon entourage), des maladies graves (cancers notamment) de collègues travaillant dans d’autres structures analogues ou autres. Cela commence à devenir inquiétant, cette série.


 

Lors de la visite de deux sites après la réunion d’hier, j’ai trouvé une curieuse espèce qui poussait parmi les pieds de Ranunculus repens L. (Renoncule rampante). Bien sûr, il était évident qu’il s’agissait d’une plante exotique à la flore française et même européenne. Ce matin, la consultation de mon collègue « trouve tout ce qui est introuvable » n’a rien donné (j’ai réussi à le coller pour de bon). Mais cet après-midi, sans trop y croire, je montre ma découverte à un autre collègue à qui cela disait vaguement quelque chose. Il a fini par trouver par recoupements successifs. Il s’agit donc non seulement d’une nouvelle espèce pour la flore régionale, mais d’un nouveau genre et même d’une nouvelle famille. Il s’agit d’un taxon nord-américain, généralement semé dans quelques rares jardins. Mais là, on n’était bien dans un contexte à peu près naturel. Voici la bête (photo Ouiqui) : Limnanthes douglasii R. Br. (Limnanthe de Douglas).


 

Hier, en rentrant de mon tour dans le Boulonnais oriental, je me fais « cueillir » par les jardiniers. Cela faisait plusieurs jours qu’ils voulaient absolument me parler au sujet d’une toiture végétalisée qui sera bientôt installée au boulot. Madame Parle-guère fait chier son monde depuis des mois (des années) sur les vertus pédagogiques de cette toiture. Elle a déjà fait intervenir un gars spécialisé pour la première partie de la toiture qui se végétalisera toute seule. Personnellement, je ne suis pas convaincu, non pas par la végétalisation « naturelle », mais par le substrat mis en place par le gars : un mélange de billes d’argile, de tourbe et de terreau de compost sur 25-30 cm. Nul doute que d’ici quelques mois (années), le terreau organique aura complètement fondu et que son installation ne ressemblera plus à rien. J’ai bien l’impression que le « spécialiste » n’est qu’un « j’y-fat-tout ». Pour « notre » toiture végétalisée, en réalité bien plus grande que la première, Parle-guère voulait « ensemencer » des mousses. Sur un toit exposé au soleil, il fallait y penser, mais madame n’a peur de rien. Les jardiniers sont loin d’être les derniers des cons, mais elle est tellement chiante qu’elle fait douter tout le monde. Alors, il fallait que je tranche, ce que j’ai fait en accord avec les jardiniers : on fera une sorte de pelouse calcicole sèche sur le toit et on a presque tout ce qu’il nous faut. C’est dingue quand même que quelqu’une qui n’a de la botanique qu’une vision théorique tronquée, n’a pratiquement aucune approche de l’auto-écologie des espèces, qui n’a jamais semé un radis ou repiqué un chou, se permette de dire des âneries à des gens censés. C’est drôle, Parle-guère ne dit plus rien.


 

Le week-end du 14 juillet, ma cousine va enfin se marier civilement après deux enfants et au moins 17 ans de vie commune (je ne sais pas la durée exacte). Nous n’y croyions plus depuis longtemps, mais nous serons bien sûr présents, car on les aime bien et ils étaient venus à notre mariage breton. La cérémonie se déroulera près de chez mes parents dans la Loire.

Suite à une sorte d’indiscrétion (mal contrôlée ?), quand nous nous sommes croisés il y a environ un mois et demi dans un hypermarché, une ancienne collègue et amie nous annonce qu’elle va se remarier. La cérémonie devait, en principe, avoir lieu début juillet. Pas la moindre nouvelle depuis. Elle, je l’aime bien, mais lui, ça ne passe pas vraiment (c’est de lui dont je parlais ici).

Toujours au rayon carnet blanc, une collègue s’est remariée fin avril, alors que nous étions encore en Bretagne. Je serais bien allé à la cérémonie, d’autant qu’eux étaient venus (ils étaient déjà ensemble) à notre union civile de 2006. Et c’est bientôt le tour d’un autre collègue qui après le PACS il y a quelques années, après l’étape civile en avril, remet ça à l’église dans quinze jours en Normandie. Une autre « loi des séries », davantage positive, celle-là.

6 mars 2008

Quelques points marquants de ma scolarité (3) : collège

Collège

L’ancien collège menaçant ruine, nous arrivâmes dans un nouvel établissement flambant neuf (une sorte de préfabriqué haut de gamme). Pour l’occasion, la rentrée avait dû être décalée d’une bonne semaine en septembre.

L’entrée en 6ème n’avait pas été sans m’inquiéter : locaux paraissant gigantesques, pas loin de 600 élèves, plein de profs, de nouvelles disciplines et un éloignement géographique relatif depuis la maison. Je devais donc manger à la cantine tous les midis. A ce propos, en attendant notre tour, nous étions parqués dans une cour intérieure où avaient été disposées d’affreuses grenouilles-jets d’eau jaunes ou rouges. Cette première année se passa globalement bien. Le principal passait pour être une terreur ; un des parents d’élèves, en fait le grand-père d’un élève l’avait assimilé à la gestapo ou à un SS, mais il est vrai qu’il avait vraiment souffert des nazis pendant la guerre et voyait le mal partout. Je me suis finalement aperçu que le chef d’établissement était un chic type et il m’a rendu service. Nous avions un prof de français qui nous enseignait également l’histoire-géographie. Ce prof, qui faisait vaguement partie de ma famille éloignée était fan de préhistoire et celle-ci était au programme. Il s’est donc débrouillé pour nous emmener dans le Périgord pour aller voir en fin d’année les grottes ornées telles que Font de Gaume ou Rouffignac.

En 5ème, j’avais été mis dans une classe assez faible et j’avais donc un bon niveau par rapport aux autres. Alors, en 4ème, je connus un sérieux décrochage en anglais, en allemand, en latin, en français, en maths, en histoire-géographie et même en dessin. En langues, pour simplifier, on peut dire que j’étais faible, je faisais des fautes d’orthographe et ne comprenait rien à la grammaire française ou plutôt à ce qu’expliquait le prof. En maths, ce fut terrible : la prof me faisait peur. Un jour, elle me traita d’abruti. A mon père, elle expliqua un jour que je n’arriverai jamais à rien. En histoire-géographie, la prof était sympa, mais prise dans son truc, elle parlait très vite, ne répétait pas et je n’avais pas le temps de tout écrire. Et surtout, dans toutes les matières, je n’osais pas demander quoi que ce soit aux profs ou à mes « chers » camarades. En dessin, je n’étais pas bon non plus. Mon daltonisme avait été diagnostiqué au CM2 (seulement), mais personne n’avait jugé bon de le dire à la prof de dessin, surtout pas moi (je devais le taire longtemps encore, ce qui n’a pas été sans me causer des problèmes). Alors le daltonisme a sans doute bon dos, mais cela ne passait pas bien avec la prof. Je crois que c’est de cette époque que j’ai commencé à détester dessiner. Comme mon niveau global était notoirement insuffisant, je devais redoubler ma 4ème, avec succès. Je ne fis pas de latin et les profs étaient tous différents. Le dessin fut avantageusement remplacé par la « musique » qui était en fait de l’éducation artistique. Le prof, musicien à la base, depuis la fin de la 6ème jusqu’en 3ème passait en revue l’architecture, la sculpture, la peinture et la musique de l’Antiquité jusqu’à la période actuelle, à raison d’une heure par semaine. Tout ce qui n’était pas musical, c’est-à-dire la quasi totalité de l’enseignement se faisait à partir de séances de diapositives. C’était formidable. Mon niveau en histoire-géographie fit une hausse vertigineuse et, succès aidant, mon intérêt pour la discipline ne fut jamais mis à mal jusqu’en terminale.

La classe de 3ème se passa bien, sur la lancée de la seconde 4ème. J’ai obtenu mon brevet des collèges avec succès la première année de son rétablissement. Auparavant, nous étions allés en voyage en Espagne du côté de Barcelone. Au programme, le Prado, la Sagrada familia, la Costa brava, entre autres. Lors de ce voyage, il y eut une soirée discothèque près de notre hôtel. Ce fut terrible pour moi : je ne supportais pas la musique ni la danse, ni le son assourdissant, pourtant faible me dit-on le lendemain. J’étais bien un des rares à ne pas aimer, et je profitai de la première occasion pour m’éclipser. De ma vie, je n’ai jamais remis les pieds dans ce qui peut ressembler à une boite de nuit.

Que retenir du collège ? Là encore, je n’y ai pas eu de véritable ami, sauf un qui quitta l’établissement à la fin de la 5ème. Un conseiller d’éducation (nouvelle appellation du surveillant général) qui portait un nom de conifère nous colla une ou deux heures de retenue collective. Je n’avais pas trop compris, mais apparemment, à la fin du cours de sciences physiques, avant même que la prof donne l’autorisation de sortir de la classe, le brave homme qui devait être planqué derrière un pilier, tomba sur les élèves sortis en avance. Évidemment, moi, grâce à ma lenteur légendaire, je n’avais pas encore quitté ma place. Comme punition, nous eûmes droit à une rédaction relatant ce qui s’était passé. Ma prose ne lui plut guère puisqu’il me convoqua pour me demander des explications car j’y dénonçais son côté sournois et j’évoquais surtout mon incompréhension et mon innocence. Je n’eus heureusement pas droit à une rallonge. Je me souviens aussi d’un genre de test de QI (ou un truc dans le genre) réalisé en 6ème ou 5ème par un intervenant extérieur (un psychologue ?). Les résultats devaient être suffisamment mauvais pour que ce dernier convoque mes parents pour leur faire part que je devais être « à la limite de la débilité » [expression paternelle]. Bien sûr, on n’avait pas tenu compte de ma lenteur. Le psy avait montré un dessin d’éléphant à mon père en lui demandant à quoi cela lui faisait penser. Il lui répondit « à un cirque », mais il aurait fallu répondre « à l’Afrique ». Constatant le même niveau de débilité chez les géniteurs [sic], le psy n’insista pas outre mesure. En dehors de l’année ayant conduit au redoublement, j’étais donc plutôt un élève « convenable ». Était-ce dû à mon calme, à ma relative nonchalance, à mon humeur égale, à mon air sérieux et appliqué, mais je passais souvent comme un lèche-bottes auprès de certains de mes camarades, ce qui n’aidait bien entendu pas à mon insertion dans le groupe. J’en ai souffert, d’autant que je le voyais comme une injustice. Une fois, à cause de cela, deux de mes camarades me poursuivirent pour me faire payer je ne sais quoi. Ils réussirent à me piquer ma trousse et à casser mon stylo plume qui loin d’être un modèle luxueux avait une certaine valeur. J’eus d’autres fois affaire à d’autres individus semblables du collège. Je pris la fuite à plusieurs reprises parce que bien entendu, le courage ne leur faisaient pas peur et ils m’attaquaient généralement à plusieurs. A cette époque, je courais vite et ils ne réussirent jamais à me mettre la main dessus. D’autres fois, l’adversaire fut plus à ma taille et je pus riposter. J’ai encore le souvenir d’un garçon râblé et rondouillard : mes poings lui rebondissaient dessus. Enfin, tout cela n’est pas allé très loin. J’étais aussi au collège l’heureux bénéficiaire de splendides sobriquets. Plus grave, j’étais l’objet d’insultes. De la 6ème à la 4ème, je fis du judo (deux fois par semaine). Or certaines choses sympathiques franchissaient allègrement le collège et j’étais raillé y compris par des élèves du collège privé. Les noms d’oiseaux ne me quittaient plus et certains baraqués se vengeaient de moi, même s’ils ne me connaissaient pas, sur le tatami grâce à certains coups bas tout à fait dans l’esprit du judo ! En plus de l’esprit de compétition qui se faisait de plus en plus jour, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté le judo. Lors des séances de sport qui se déroulaient non loin du collège, il y avait parfois des sports collectifs, le plus récurrent étant le foot et des petits chefs étaient chargés de choisir leurs joueurs. Inutile de dire que j’étais choisi en dernier et à contrecœur. Comme je l’ai dit dans la partie (2), je n’entendais rien à ce sport et j’y étais très maladroit et en tout état de cause, on m’en avait exclu avant de m’en exclure moi-même. Parfois, par l’intervention du prof, je devenais gardien de but, endroit où finalement j’étais le moins mauvais, mais c’était un endroit où je pouvais me faire faire mal en toute quiétude. Parfois, quand j’étais simple joueur et quand le prof n’était pas à me surveiller de près, j’allais discuter avec le gardien de l’équipe adverse, ce qui avait la fâcheuse manie de mettre mon équipe hors jeu (j’ai toujours un peu de mal à visualiser ce qu’est un hors-jeu). Enfin, pour revenir aux côtés toujours très attachants de mes camarades et de leur vocabulaire très étendu (il y avait des mots, même non insultants, que je ne comprenais pas), il y eut aussi les très récurrents « PD » et « tapette » dont je ne connaissais pas le sens au départ. Il arrive que ces mots possèdent un caractère amical (eh oui), mais ce n’était évidemment pas mon cas. J’ignore pourquoi on m’appelait ainsi car je ne crois pas avoir eu un jour une attitude qui aurait pu le laisser penser. En tout cas, je ne me conduisais pas en macho et je ne courais pas les filles. Tout cela ne me souciait pas une seule seconde. Ceci dit, c’est comme cela que j’ai commencé à m’interroger sur la nature de mon orientation sexuelle. Il n’y avait pas que les garçons qui m’agressaient verbalement, il y avait aussi des filles qui n’avaient pas inventé la poudre. L’ensemble de ces charmantes personnes, je ne voulais pas en entendre parler et c’est avec joie que je suis allé au lycée. Inutile de vous dire que le sort de ces personnes m’indiffère, mais je suis persuadé que certains d’entre eux sont devenus des délinquants.

2 décembre 2014

Brèves cornusiennes (33)

Ce matin, départ pour aller à Lille, récupérer mon directeur et filer ensuite vers Arras. Je suis parti très tôt d’H., mais malgré cela, je suis resté coincé sur l’autoroute, alors que je pensais que cela irait. Depuis une douzaine d’années que je suis là, je me rends compte que cela coince de plus en plus tôt sur cette maudite autoroute. Avec la grande marge que j’avais prise, je suis arrivé avec seulement 5 petites minutes de retard à Lille. Et nous sommes arrivés en avance à Arras. Seulement, cela n’a pas empêche la « mal baisée de l’Artois » (j’ai déjà parlé d’elle, je ne la représente pas et de toute manière, cela n’a aucun intérêt, c’est une grosse conne qui pue dans tous les sens du terme) de m’engueuler ou plutôt de me faire des reproches sur des détails insignifiants qui ne regardent qu’elle et ses sbires ainsi que les services tout aussi incompétents que le sien qui ne comprennent rien à rien, car tous sont à rattacher aux catégories P3 et P4, aucun ne pouvant mériter ne serait-ce qu’un accessit de P5 car cela signerait qu’il y a une lueur d’espoir dans le quart de pois chiche coupé en douze qui leur sert de cervelle en conserve (voir ici la typologie des P, sinon on ne peut pas comprendre). La « mal baisée de l’Artois » est passée à deux doigts de la correctionnelle, car j’ai senti, non pas une odeur de moutarde, mais carrément de soufre, mais la mèche n’a pas été allumée de justesse, pressentant peut-être (?) l’orage luciféro-cornusien imminent.

18 mai 2017

Brèves cornusiennes (69)

Samedi matin, réveillé très tôt, je finis par me lever avant même 6 heures du matin. Passés les 14 heures, je décide d’aller faire une sieste. Vers 15 h 30, coincé entre le sommeil et l’éveil progressif, Fromfrom vient m’informer qu’on a été cambriolé au boulot. La dame de l’accueil, qui avait oublié son téléphone portable la veille sur son bureau était venue le récupérer en début d’après-midi quant elle s’aperçut du forfait : une porte-fenêtre cassée, la caisse-enregistreuse volée avec l’argent à l’intérieur.

Je me suis donc rendu sur place pour constater la chose, voir deux « agents » du commissariat de police et surtout faire le tour de l’ensemble de nos locaux pour voir si les voleurs n’étaient pas allés « visiter » d’autres bureaux. Mais rien d’autre. Je n’en dis pas plus. Je constate quand même que je me suis toujours étonné que nous n’ayons jamais subi de telles choses avant, même si la géographie nous avantage car nous sommes dans un cul de sac, ce qui ne facilite guère la fuite motorisée des cambrioleurs potentiels.

Lundi, l’identité judiciaire est venue, mais rien, pas d’empreinte particulière.

La dame de laccueil, qui soccupe aussi du standard téléphonique et de tâches diverses est du genre émotive. Je la pensais calmée quand elle est repartie chez elle à ma suite samedi. Cependant, je nai guère été étonné lundi car elle ne sest pointée au travail quà 10 heures (au lieu de 8 h 30) parce quelle avait soit-disant peur de se faire agresser, braquer. Nimporte quoi. Elle est du genre à trop regarder les séries américaines à la noix, à jouer à se faire peur avec la peur. Je ne sais pas comment elle a été éduquée, mais elle a peur de tout et inculque les mêmes tares à sa fille.


Hier matin, alors que j’entamais à peine une réunion, autant téléphonique que physique avec plusieurs de mes collègues, on me prévient que plusieurs de mes anciens profs sont à l’accueil. J’y fais un saut rapidement, d’abord par curiosité, parce que cela doit forcément être des gens bien s’ils me réclament. J’ai quand même eu la surprise de voir deux enseignantes que j’ai eues à l’IUT de Tours au tout début des années 1990, dont une (la plus âgée) avec laquelle j’avais fait mes débuts en botanique. Après mon départ de l’IUT, j’avais surtout correspondu avec la plus jeune, que j’avais d’ailleurs revue 3-4 fois. De fait, la plus âgée avait pris sa retraite quelques années après mon passage à l’IUT et je me suis dit tout à l’heure qu’elle devait être à peine plus jeune que ma mère, donc friser les 80 ans. Elle habite désormais du côté de Pau Et la plus jeune, qui me paraissait si jeune au début des années 1990, a aussi pris un coup de vieux, tout comme moi, forcément, même si je ne vieillis pas ! Du coup, elles étaient en balade dans la région avec un groupe d’amis (ils font ça tous les ans et s’en vont visiter des régions différentes durant une semaine). Je n’avais hélas pas le temps, mais cela m’a quand même fait une énorme bonne surprise de les voir en coup de vent.

18 juin 2022

Brèves cornusiennes du samedi 18 juin 2022

Hier, ma mère a fait deux visites chez les médecins. Le matin à Saint-Chamond pour sa vésicule caillouteuse. Il a été décidé que dès lors que cela ne la fait pas souffrir, il n'y aura pas d’opération. Néanmoins, en cas de pépin, on prévoira de l’opérer en urgence.

L’après-midi, rendez-vous à Saint-Étienne au sujet de son cancer du sein (bien confirmé au stade 1). Compte tenu de ses traitements anticoagulants (importants à ce stade notamment à la suite de son embolie pulmonaire et de la découverte d'un caillot calcifié dans la cuisse à dissoudre à la longue et des risques de phlébites...) et de son état général, pas de radiothérapie dans les six mois qui viennent, juste un traitement médicamenteux visant à limiter l’expansion de la tumeur. J’imagine qu’à son âge, ça évolue lentement.


Mardi, on organisait au travail un nouveau comité des financeurs qui est désormais obligatoire dans le cadre du nouveau cahier des charges national de nos structures aggréées. De notre côté, nous n’y sommes pas encore soumis, mais c’est la deuxième année que nous le réunissons. Le ministère a pris exemple sur nous pour mettre en place les mêmes choses chez les autres en l’intégrant dans l’arrêté ministériel publié en mars 2022. Outre ce comité, il y a une stratégie scientifique (réalisée début 2020) et une stratégie d’établissement (réalisée dans les grandes lignes il y a un an). Au moins, pas de surprise, pas de stress pour le futur renouvellement de notre agrément. J’ai bien d’autres sujets d'inquiétudes (rien de très grave à ce stade), mais je pense que dans l’ensemble, ça marche plutôt pas mal. Évidemment, pour ne pas reculer, il faut toujours aller de l’avant et nous le faisons. Cela en énerve peut-être certains, mais peu importe, on n’a pas le choix !

29 juillet 2007

Primaires !

Nous sommes tous parfois confrontés à des personnes « primaires ». Je mets volontairement des guillemets ici pour ôter, pour l’instant, tout sens péjoratif. Car en effet, certaines personnes possèdent un caractère « primaire » non pas par choix, mais sans doute par une sorte d’obligation. En effet, tout le monde n’a pas eu la chance (la possibilité, le choix, les capacités, l’envie…) dans son existence de faire des études, de se cultiver, de lire, de faire des rencontres, de voyager… Mais même si on n’a pas eu cette chance, on a – heureusement – encore la possibilité d’avoir une capacité à la réflexion, une (des) intelligence(s). Je connais des personnes, des amis qui appartiennent à cette catégorie. J’en connais aussi qui ne sont pas dotés de cette capacité, et qui pourtant n’ont pas nécessairement été (totalement) privés d’accès à la connaissance, à la culture, n’ont pas vécu dans un environnement hostile ou obscurantiste. On peut alors considérer que ces personnes sont primaires (sans guillemets). Je vais en donner deux exemples.

Le premier exemple est très récent. Lors d’un repas, le sujet dériva sur le sujet de la Seconde guerre mondiale et de l’Occupation. Une connaissance déclara alors qu’elle détestait les Allemands pour les raisons suivantes :

  • son père avait été menacé de mort par les Allemands (en réalité pas beaucoup plus que la plupart des gens dans le contexte de l’époque) et de parler de la scène comme s’il l’avait vécue alors que l’individu est né en 1950 ;

  • les Allemands ont commis les pires atrocités à Oradour-sur-Glane et sur les plages de Normandie, lieux qu’il a visité lors de ses vacances (mais aucun mot sur les camps de concentration, d’extermination ou les divers génocides) ;

  • les Allemands se comportent mal quand ils sont en vacances à l’étranger parce qu’une fois, lors d’une croisière, quelques individus avaient eu un comportement indélicat ;

  • le peuple allemand est fondamentalement mauvais compte tenu des exactions commises pendant la guerre (et sous entendu, le peuple français est exempt de turpitudes, la collaboration, la milice igonrées, et l’histoire de France n’était pas assez pourvue d’horreurs et de massacres…).

Je fus le premier à contrer ces arguments, bientôt rejoints par d’autres qui avaient vécu la guerre, dont certains en avaient vraiment souffert et qui ne partageaient pas une seconde ce genre de démonstration. Tous étaient atterrés.

Quelques minutes après, le primaire déclara qu’il n’aimait pas les Arabes (j’en ai oublié les raisons), sauf qu’il y en a qui « sont bien » … Cri du cœur immédiat, je devais traiter le primaire, de façon claire et définitive, de raciste. Celui-ci essaya de se défendre en affirmant qu’il n’était pas raciste parce qu’il ne votait pas Le Pen (ni même de Villiers) et autres arguments à la con qui ne trompèrent personne. Il essaya ensuite de dire que j’étais un privilégié parce que je n’étais pas confronté aux « Arabes » (je précise que lui l’est encore moins). Et de lui répliquer que j’avais passé mon enfance dans des classes très cosmopolites (avec, entre autres, des enfants dont les parents étaient originaires l’Algérie ou du Maroc) et avec lesquels tout se passait à peu près bien, c’est-à-dire pas plus mal qu’ailleurs. Que j’avais vécu plusieurs mois dans un foyer SONACOTRA de Marseille où il y avait une forte proportion d’immigrés d’Afrique du Nord et où il n’y eut aucun problème. Bien sûr, les autres ripostèrent aussi. Sans nier les problèmes qui se posent dans certaines villes, certains quartiers, en particulier les incivilités et la délinquance, ils pointèrent du doigt les vraies raisons du malaise (que je ne développerai pas ici).

Le second exemple s’est déroulé dans le cadre professionnel. Alors que je n’en connaissais pas bien les acteurs, on m’avait demandé de participer à une réunion officielle au sujet d’une réserve naturelle. La réunion avait lieu à l’hôtel de ville de la commune concernée et devait être dirigée par le maire. Je vous passe les détails, mais le maire étant provisoirement retenu, la réunion fut prise en charge par ses adjoints au nombre de cinq dont quatre étaient aussi des responsables de la société de chasse locale. Les problèmes qui furent abordés furent traités, non sans difficultés et non sans bêtise de la part des chasseurs qui ne voyaient que leurs intérêts (personnels plus que ceux à caractère cynégétiques qui n’étaient d’ailleurs aucunement menacés). Les primaires furent rejoints par un agriculteur au sujet d’un ruisseau qui s’ensablait à cause du vent (milieu à caractère arrière dunaire). L’ensemble de ce petit monde pourtant soumis à des réglementations strictes les enfreignaient régulièrement et se proposait de le faire une fois encore pour résoudre leur problème qui, en réalité n’en était pas un. Je passe les détails, mais présumant trop de l’intelligence de ce petit monde, j’hasardais une solution pour résoudre le problème d’érosion éolienne : couler une dalle de béton dans le massif dunaire. Eh bien, ma plaisanterie fut prise au premier degré et il fallut les explications d’autres personnes pour revenir à la raison. Quelques mois plus tard, je fus confronté à des riverains de cette réserve naturelle alors que j’accompagnais sur le terrain le gestionnaire pour résoudre le même problème d’érosion éolienne et de ruisseau. Je vis un retraité de 75 ans éructer, hurler comme un fou perdu pendant une heure alors qu’il pleuvait comme vache qui pisse. Je fis bien une tentative d’explication, mais je dus abandonner aussitôt tant je me heurtais à un mur de bêtise. Et pourtant ce n’était pas la première fois que j’étais confronté à de telles situations. En général, après avoir déminé la situation, j’arrive toujours à avancer mes arguments, et la plupart du temps, à faire sérieusement évoluer la position initiale de mes contradicteurs. Mais là, l’échec fut total.

16 décembre 2007

Colère (2)

Madame Bout*in est extrêmement satisfaite puisque tous les sans-logis qui le demanderont pourront avoir un toit pour dormir la nuit. Les fameuses places à leur disposition sont tellement confortables et sympathiques que ces salauds de SDF ne veulent même pas y aller. Oui, Madame Bout*in, heureusement qu’on vous a pour régler si brillamment les problèmes. Le pire dans cette affaire, c’est que beaucoup de nos concitoyens marchent dans cette histoire. Mais en même temps, ce n’est pas très étonnant, cela procède du même syndrome que je décrivais dans une ancienne note : on considère que ces sans abri ont bien « mérité » la situation dans laquelle ils se trouvent. Je crains que cela ne soit pas près de changer, surtout avec le magnifique gouvernement que nous avons la chance d’avoir. En relisant cette note, je me suis aperçu que le cadeau fiscal de 15 milliards fait cet été par le président était largement suffisant pour régler durablement le problème puisque j’estimais qu’on pouvait le faire avec 10 milliards. Or, Madame Bout*in, parle elle de millions, voire tout au plus de dizaines de millions d’euros qu’elle offre généreusement à ces gens là. Et le sous-ministre transfuge d’Emmaüs, il dit quoi pendant ce temps là ? Je ne veux pas l’accabler, mais je l’ai entendu la semaine dernière à la radio : soit il a vraiment rien compris à rien, soit c’est un fieffé arriviste.

N.B. : pour certains lecteurs inconnus de passage, avant de m’incendier dans un commentaire, prenez le temps de bien lire ce que j’ai pu écrire. Il se peut que je succombe parfois à certains brins d’ironie.

6 mars 2008

Quelques points marquants de ma scolarité (2) : école primaire

École primaire

L’école primaire jouxtait (et jouxte encore) la maternelle. Les WC se trouvaient à l’extérieur, ceux des filles dans des cabanons, les urinoirs des garçons en plein air (sauf à la fin où un effort de modernisation avait été fait). Pour boire un coup, il y avait deux solutions : un méchant robinet de jardin ou bien un tuyau de cuivre percé de plusieurs trous d’où l’eau s’écoulait comme une pissotière, le tout toujours en plein air.

Du CP je retiens les premières leçons pour apprendre la lecture (je ne sais pas comment j’ai fait quand un jour j’ai su lire ou plutôt déchiffrer). Comme je suis de la fin de l’année, j’étais sans doute le plus jeune de la classe. Je me souviens de l’humiliation lorsque l’instit nous demanda jusqu’à combien nous savions compter. Alors que mes camarades annonçaient des 10, 20, 50, 100, je revendiquais moins de 10. Un autre élément marquant fut celui où j’ai écrit pour la première fois. J’étais un des derniers sinon le dernier à vouloir me mettre à l’écriture. L’exercice consistait à écrire son prénom sur une pochette où nous rangions une serviette pour le goûter. L’instit m’avait à peine bousculé : elle avait écrit au crayon la première lettre et j’avais repassé au feutre par dessus et j’avais terminé par moi-même. Après, ce fut assez facile. Il y avait des séances de peinture sur table (ce sont mes moins mauvais souvenirs de peinture scolaire) : cela consistait d’abord à réaliser un fond uniforme en mélangeant en principe de la peinture bleue avec de la peinture blanche et de barbouiller le tout. Je m’en sortais plutôt bien. Je ne me souviens absolument plus de ce que nous faisions ensuite. Enfin, il y eut le cadeau de la fête des mères, ce genre de chose complètement ridicule et qui perdure malheureusement de nos jours. Nous avions réalisé une fleur issue d’un pot coloré de petit suisse aux fruits et l’avions montée sur un fil de fer. Même à l’époque je trouvais ce genre de truc particulièrement moche. C’est le seul « cadeau » de fête des mères dont je me souvienne.

Au CE1, l’instit était le directeur de l’école. C’était un brave homme déjà assez âgé, maigre, moustachu et qui arborait toujours une veste ou un costume complet, mais sans cravate visible (en classe, il avait généralement une blouse grise). Dans sa classe, il y avait des distributions de bons points lesquels constituaient une sorte de monnaie interne. Cet instit était très exigent mais gentil et il punissait à juste titre (je précise que je n’ai jamais été puni individuellement à l’école primaire). Comme j’étais un incroyable fan de football [sic], il en avait parlé à ma mère : « un grand gaillard comme votre fils, il ne court pas après le ballon, il le laisse passer à proximité sans rien faire, je ne comprends pas… ». Ceci n’était qu’un commencement et pourtant ce n’était pas calculé. Le meilleur souvenir, qui vu avec le recul, a sans doute été inconsciemment assez déterminant dans ma vie, c’est qu’à peu près une fois par semaine à la belle saison, nous allions au « petit bois ». Sur le chemin, après avoir traversé la ville, nous montions le versant de la vallée, nous faisions la rencontre de jardins potagers où on nous demandait de dire quelles étaient les légumes en présence. Comme nous avions un jardin à la maison, l’exercice m’était aisé. Déjà à l’époque, parmi mes camarades, certains ne savaient pas répondre et pourtant c’était une petite ville, ils n’étaient pas socialement défavorisés et certains vivaient même à la campagne. Arrivés au « petit bois », en réalité une jeune chênaie sur sol rocheux, nous faisions toutes sortes de jeux. L’un d’eux fut de nature botanique : l’instit avait récolté quelques plantes (fleurs et feuilles) à divers endroits du bois ou des lisières et il fallait lui rapporter les mêmes. En revanche, durant tout le primaire, nous n’eûmes jamais droit à un binôme scientifique latin, contrairement aux témoignages apportés par certains romans ou films évoquant des sorties scolaires à vocation botanique à la fin du XIXe ou dans la première moitié du XXe siècle.

La classe de CE2 était pilotée par un instit rond et d’apparence calme. Il avait une blouse bleue en permanence. Il était aussi très exigeant. Dans sa classe, nous écrivions avec des plumes montées que nous trempions dans un encrier de verre logé dans le pupitre en haut à droite. Comme je trouvais qu’écrire avec la plume dans le sens normal, ça n’allait pas (l’encre en tombait, ça écrivait trop épais), j’écrivais avec la plume dans l’autre sens. Il fallut attendre presque la fin de l’année pour que l’instit s’en aperçoive. L’usage de cet « engin » n’était quand même pas très aisé (c’était le seul instit de l’école à imposer ça) et comme il tombait immanquablement de l’encre sur la table, il y avait des revues de tables et des nettoyages pendant les récréations. Évidemment, à ce train là, les tables avaient perdu leur vernis depuis longtemps. Pour Noël, il y eut des saynètes, mais je n’y avais pas participé. Il y avait aussi des séances d’éveil, de sciences ou autres. Certaines étaient consacrées à des animaux domestiques ou sauvages. Cela consistait notamment en la préparation d’exposés, la confection de panneaux et la présentation devant la classe avec séances de questions-réponses. L’année précédente, lors de la fête laïque de l’école, j’avais gagné un lapin que mon père avait mis dans le jardin en attendant qu’il grossisse et fasse un bon civet. L’animal eut néanmoins une autre utilité : servir pour l’exposé et fut apporté à l’école. Je m’en rappelle bien, car à cette occasion, j’avais essayé de « briller » dans la classe avec mon lapin et je ne m’étais pas nécessairement très bien comporté en répondant de façon cinglante ou agacée aux questions (sans doutes idiotes) de mes camarades au sujet de la biologie de l’animal.

Au CM1, c’était une femme qui officiait. Je ne pense pas avoir fait des progrès exceptionnels dans cette classe. L’instit était parfois adepte des punitions générales. Je trouvais ça injuste puisque moi, je n’avais rien fait de mal, comme toujours. Je me souviens en revanche de son côté « écolo » notamment par rapport aux conservateurs et colorants que l’on trouve dans les aliments.

Du CM2, je garde de meilleurs souvenirs. Nous faisions énormément de choses. J’ai fait de gros progrès après un CM1 globalement peu intéressant. Les matins étaient systématiquement consacrés aux matières « lourdes » : maths et français. Les après-midi, on finissait parfois ce qu’on n’avait pas terminé le matin, puis on faisait du sport ou des jeux sportifs, au moins à partir de la récréation. Jamais je n’ai jamais autant aimé le sport et m’aérer les neurones de la sorte. Je crois que l’équilibre était idéal. A la fin de l’année scolaire, voulant peut-être prendre ma revanche du CE2, j’eus une idée de mise en scène pour une saynète vaguement inspirée de l’Avare ou de la Folie des grandeurs. Je jouais Harpagon, j’avais une femme qui voulait se venger de mon avarice. Cela commençait par une scène de ménage et pendant la nuit, deux individus que ma femme avait embauchés, sortaient de la cheminée (conçue par mes soins), déguisés en fantômes pour venir me dérober ma cassette de pièces d’or. Là aussi, j’avais coordonné le groupe. Ce devait être la dernière fois jusqu’à l’université où je me mis autant en avant ou que j’avais un rôle fédérateur.

Je précise que dès cette époque, je fus immergé dans une certaine mixité sociale et culturelle puisque dans la ville de mon enfance, il y avait des communautés italiennes implantées de longue date déjà, portugaises et magrébines plus récemment et vivant davantage dans une certaine précarité. Je me souviens en particulier d’une Algérienne qui avait rejoint la classe de CM2 en cours d’année et qui ne parlait pas encore français.

Je ne sais plus exactement en quelle classe cela m’était arrivé (probablement au CM1) : un de mes camarades de classe auquel il devait manquer quelque chose s’était mis en tête de me donner des coups de pieds dans les tibias à chaque récréation. J’essayais d’esquiver du mieux que je pouvais, mais il me faisait mal assez souvent, ce qui provoquait l’intérêt et le rire des autres. Voulant m’extraire de ma position de souffre-douleur dans laquelle ce petit morveux teigneux m’avait enfermé, un jour ma colère éclata et je me battis avec lui dans la cour de l’école. Je réussis à le mettre à terre et je lui fis payer ses outrages par une distribution de coups de poings et de coups de pieds et surtout je pus lui cogner la tête contre le sol bitumé tout en lui faisant comprendre qu’il fallait qu’il arrête. Comme d’habitude, la scène avait provoqué un attroupement. A la suite de cette « victoire » par KO, je ne fus plus jamais agressé physiquement. Néanmoins, je m’étais aperçu d’une chose qui me fit un peu peur par la suite : poussé à bout, j’avais la force de faire très très mal à quelqu’un.

A de rares exceptions près (et encore il faut le dire vite), je n’avais pas de réels copains de classe, mais cela ne me souciait pas. En revanche, mes camarades se moquaient régulièrement de moi à cause de mes chaussures orthopédiques (j’avais les pieds plats), parce que je regardais moins la télévision qu’eux, parce qu’ils étaient au courant de plein de choses qui m’échappaient. On commença aussi à me donner des surnoms, des sobriquets souvent en rapport avec mon nom de famille. Rien d’extraordinaire ni de très méchant à ce moment là, mais cela m’était pesant car la plupart du temps, cela faisait référence à des choses que j’ignoraient.

22 juin 2008

Le Cépiau (4)

En ce matin de mai, le jour se levait à peine dans la vallée, entièrement baignée d’une brume épaisse. Seuls le Laré, le Mizieux et au loin, la silhouette du Bois du Roy émergeaient de ce voile de ouate inconsistante. Ces monts, assombris par les sapinières et autres pessières sommitales, imposaient une ambiance austère et lugubre à cette scène alluviale. Après le méandre, la rivière s’élargissait, courrait sur radier de galets et de graviers avant d’entamer une chute, provoquant en aval une vaste mouille ombragée par une ripisylve dominée par les frênes1 et les chênes2.

Encore blottie sous une souche d’aulne3 où elle avait passé la nuit, la truite4 alla se dégourdir les nageoires. Elle fit le tour complet de la mouille et de ses annexes, ne dédaigna pas un traîne-bûche5 pour se mettre en appétit. Ayant terminé l’inspection de son territoire, la mouchetée alla se poster face à la cascade. Elle était de taille honorable, dans la pleine force de l’âge et affronter les pires tourbillons, remous, vortex et autres bouillonnements du courant ne l’impressionnait guère, d’autant que la belle avait trouvé un lieu idéal derrière une grosse pierre où comme par magie, le courant s’annulait. Elle était donc positionnée dans l’un de ses postes de prédilection où elle pouvait, dans un confort certain, attendre la manne d’éphémères qui n’allait pas tarder à se manifester. Le festin matinal allait donc pouvoir commencer.

˜   

Le soleil commençait à envoyer quelques rayons derrière le Mizieux. Au fur et à mesure qu’il montait sur l’horizon, la brume qui pesait parmi la vallée se réduisait comme si l’astre du jour venait rétablir l’ordre que les démons de la nuit étaient venus mettre à mal. Les gouttes de rosée perlaient au soleil, reflétant à la fois la silhouette conique des houppiers d’aulnes et les panicules rassurantes des vulpins6. Un chevreuil, qui avait passé une bonne partie de la nuit à brouter parmi les prairies du comte, terminait son dessert de jeunes pousses des fayards7 qui se risquaient dans un pian qui prolongeait le versant de la grande forêt. Maintenant que la lumière n’était plus suspecte de la présence de spectres fugitifs alliés, il lui fallait penser à s’éclipser en regagnant le cœur de la forêt, mais les jeunes pousses sucrées et fermentescibles l’avaient enivré. Aussi, lorsqu’il eut enfin décidé d’aller se mettre à couvert, ses bonds quelque peu désordonnés et sa lucidité altérée par son ivresse ne lui permirent pas de remarquer la présence du collet qui l’étouffa dans un râle de désespoir qui résonna jusqu’à la Forêt de Glenne.

˜   

La truite, d’habitude si rusée, méfiante, goûtant tout avant de se décider à avaler, vit enfin arriver les éphémères dont elle se gava avec une délectation non mesurée. Quelques mètres plus haut, venait de se poser à la surface de l’onde, une espèce particulière de mouche de mai. Aussitôt, l’insecte se mit à dériver librement dans la veine de courant, et malgré les perturbations chaotiques diverses du courant, elle arriva exactement en face de la pierre qui ornait le fond de la mouille. La mouchetée, à qui rien n’échappait, l’avait vue venir. Elle lui paraissait d’une taille supérieure à ses congénères, mais il lui fallait profiter en toute hâte de cette manne exceptionnelle. D’un coup de nageoire caudale fulgurant, elle décolla du fond pour bondir sur la proie, sortant à moitié de l’eau pour l’occasion. Elle se saisit de l’éphémère avec une vigueur incroyable. Mais à cet instant précis, alors qu’elle s’apprêtait à l’engloutir, une résistance se fit sentir, comme si l’insecte voulait lui échapper. Alors qu’elle cherchait à regagner le fond au plus vite, la résistance se fit plus forte encore et elle ressentit une forte douleur dans la mâchoire. Elle comprit vite qu’elle était perdue et qu’il lui fallait trouver une parade au plus vite. Avec la célérité de l’éclair, elle se rua vers l’aval dans la plus forte veine de courant, démultipliant ainsi sa force. Ce fut une réussite, la résistance était devenue bien moindre. Mais le répit fut bref et elle ressentit à nouveau une violente traction de l’amont. La truite eut donc moins d’une fraction de seconde pour tenter de rejoindre son abri sous l’aulne où elle pourrait à loisir se défaire de sa laisse en faisant quelques tours morts autour des racines. Elle progressait donc lentement vers sa cache, mais la résistance était terrible et les forces commençaient à lui manquer. Voyant qu’elle ne pourrait jamais atteindre son objectif, elle décida d’un coup d’éclat pour tenter de détourner l’attention. Au lieu de tirer dans le sens où on voulait l’empêcher d’aller, elle rendit du mou, effectuant un saut splendide hors de l’eau avant de replonger rageusement en direction des remous les plus terribles sous la cascade.

˜   

A cet instant, on entendit une clameur monter parmi les feuilles d’aulnes et de benoîtes8. Cette clameur, c’était un juron du Cépiau. Jusqu’à présent, rien ni personne n’avait pu soupçonner sa présence. La situation était suffisamment délicate pour qu’il s’autorise à quitter son poste pour rejoindre la berge en contrebas de la chute d’eau. La truite était d’une taille assez exceptionnelle et se défendait avec une vigueur inhabituelle. Et voilà qu’elle était littéralement collée au fond. Elle pouvait à tout moment rompre la ligne en érodant le fil de nylon le long des pierres. A force de tirer sur la gaule, le Cépiau finit quand même par ressentir de lourds mouvements de fond qui augmentait d’amplitude. Un nouveau départ sournois dans le courant se produisit. Le Cépiau laissa filer avant de contrôler le mouvement avec une vigueur autoritaire. Il décrocha alors son épuisette raquette et malgré des débats et autres nouveaux essais de fuite, il réussit enfin à diriger le poisson vers l’engin qui allait la mettre au sec.

Malgré ses nombreuses expériences passées, le Cépiau ne se lassait jamais de ses poussées d’adrénaline lorsqu’on ignore jusqu’au dernier moment si sa proie, dans un dernier sursaut ou une ultime ruse, va lui échapper ou non. La mouchetée rejoignit ses congénères dans le panier d’osier, mais comme elle en dépassait assez largement, il la disposa sur un lit de fougères9 dans sa poche dorsale. Il ramassa le chapeau qu’il avait perdu dans la bataille et dit : « Toi, ma carne, tu m’en a fait baver. Depuis le temps que je te convoitais. Tu m’as obligé à me lever depuis Saint-Patriare-Jacquet10 et tu m’as tombé le chapeau. Tu finiras donc en filets pour le repas de dimanche ».

A suivre.

1 : Fraxinus excelsior L. (Frêne commun)

2 : Quercus robur L. (Chêne pédonculé)

3 : Alnus glutinosa (L.) Gaertn. (Aulne glutineux)

4 : Salmo trutta Linnaeus, 1758 (Truite commune), souvent dénommée Truite fario, il s’avère que les truites de rivière (fario), de mer ou de lac, appartiennent à la même espèce et ont le même patrimoine génétique. Les différences morphologiques ne correspondent qu’à des formes liées à leur habitat, à leur lieu de vie, à leur caractère migratoire optionnel.

5 : larve d’insecte de l’ordre des Trichoptères (phryganes), dont la plupart portent un fourreau plus ou moins cylindrique à conique, fait de débris organiques ou minéraux dans lequel ils s’abritent. On les appelle aussi porte-bois ou porte-faix.

6 : Alopecurus pratensis L. (Vulpin des prés)

7 : Fagus sylvatica L. (Hêtre)

8 : Geum rivale L. (Benoîte des ruisseaux)

9 : Athyrium filix-femina (L.) Roth (Fougère femelle)

10 : potron-minet, très tôt le matin, avant la pointe du jour

5 août 2008

Le Cépiau (5)

Peut-être qu’on l’avait oublié depuis le temps, mais l’histoire n’est pas terminée.

Il œuvrait toujours seul. Tout se faisait généralement dans la discrétion la plus poussée, sauf quand le Cépiau en avait décidé autrement.

Le Comte habitait un château « campagnard » de la fin du XVIIe siècle. Sa famille avait vécu, depuis plusieurs générations déjà, de ses terres, plus exactement de la rente que lui rapportait ses métayers. Mais après la Première guerre mondiale, l’exode rural, les paysans morts à la guerre, les mauvaises récoltes avaient réduit considérablement le train de vie de la famille. Le jeune Comte d’alors avait donc décidé de se lancer dans les affaires : la quincaillerie et les livraisons de ferraille. Durant la Seconde guerre mondiale, le Comte, avec ses relations, avait réussi à faire des affaires avec l’occupant. On ne savait pas si le Comte avait fait du tort à la population locale, mais le Cépiau avait toujours eu du mal à digérer l’enrichissement induit et il avait décidé de le lui faire payer à sa manière.

Le Cépiau, depuis l’épisode de la table qu’on lui avait demandé de fabriquer, arpentait à qui mieux mieux les terres du Comte, en toute impunité puisque Charles, le régisseur et garde-chasse par la même occasion avait promis de le laisser en paix. Bien entendu, le Comte n’était pas au courant de l’arrangement.

Le Cépiau, pour se venger du Comte avait décidé de vider totalement les terres du comte de tout ce qui pouvait ressembler à un poisson ou à un gibier. Ainsi, il avait décuplé le nombre de collets, avait organisé avec Maurice plusieurs chasses de nuit pendant l’été à la lanterne pour écrémer lièvres et lapins. La rivière avait été parsemée de lignes de fond et l’étang en face du château passé au tramail. En mars dernier, lors de la vidange quinquennale de l’étang, le Comte s’était ému de ne presque rien trouver dans l’étang. Il s’était également un peu étonné de la pauvre battue au chevreuil qu’il avait organisée en février. Et puis, il y eut cet épisode pour l’ouverture de la chasse.

Pour l’ouverture de la chasse, le Comte avait coutume d’inviter ses meilleurs amis aristocrates ou notables de tout poil pour une grande chasse parmi les champs et les prairies du domaine. Au menu, en général, des lièvres, perdreaux et faisans à volonté. Il faut même préciser que Charles élevait quelques gallinacés supplémentaires pour soutenir les effectifs et les lâchait de façon échelonnée entre le mois de mai et le 15 août. Durant l’été, Charles avait bien remarqué qu’il ne voyait pas beaucoup de gibier, et s’en était un peu inquiété. Quelques jours avant l’ouverture, il avait donc lâché les derniers faisans qu’il avait conservés.

Le matin de l’ouverture, le rassemblement de tous avait été ordonné, comme tous les ans dans la cour du château pour la revue des chasseurs, des armes et des chiens. A l’issue de la cérémonie d’ouverture, tout le monde se mit en route : les invités devant, le Comte à cheval en arrière pour superviser les opérations, suivi par Charles avec des chiens en réserve. La chasse fut désastreuse : les chiens restaient parfaitement impassibles, sa baladant comme de vulgaires chiens de ville. Il n’y avait pas âme de gibier qui vivait sur l’ensemble du domaine. Dans la dernière parcelle, un chien daigna quand même à regret faire un arrêt sur un pauvre volatile : un faisan qui eut peine à s’envoler et qui fut abattu par Monsieur le curé. Bref, une catastrophe, une humiliation pour le Comte. Ce dernier se confondit en excuses auprès de ses invités, lesquels ne mirent pas longtemps à prendre congé, sans repasser au château.

La catastrophe n’était pas moins grande pour Charles. Alors qu’ils regagnaient le château, le Comte, dans un état de rage rarement vu, demanda des explications. Ils se trouvaient alors au niveau du Pont des Chaumes froides au-dessous duquel le Cépiau relevait ses lignes de fond.

- Mais comment avez-vous pu laisser faire un braconnage pareil ? Comment peut-on se faire berner de la sorte ? Vous êtes un incapable, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Comment avez-vous pu vous faire voler mes perdrix et mes faisans ? Et les lièvres, ils sont où ? Mais qu’avez-vous bien pu fabriquer ?

- Je…

- Taisez-vous ! N’avez-vous donc point vu de traces de braconnage ? Je ne peux pas y croire. Vous êtes un con, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Vous rendez-vous compte dans la situation épouvantable dans laquelle vous m’avez mise ? après avoir vu un tel cataclysme, mes amis ne me feront plus aucune confiance ! Vous êtes nul, Charles.

- Euh…

- Taisez-vous, vous ai-je dit ! Peut-être est-ce vous qui m’avez détruit ma chasse, volé mon gibier ? Vous êtes renvoyé !

- Oui, Monsieur le Comte.

A ces derniers mots, le Cépiau qui avait tout entendu et qui n’en pouvait plus de voir Charles se faire humilier, bondit sur la berge, vint rejoindre les deux hommes et s’écria :

- C’est moi et personne d’autre qui ai passé vos terres au peigne fin, c’est moi qui m’en suis pris à votre gibier. Charles n’y est pour rien.

- Mais, comment osez-vous venir ici me défier sur mes terres. Vous êtes un voleur et je vais vous faire passer l’envie de braconner en vous envoyant directement en prison.

- Pas si vite, Comte, vous ne pourrez rien prouver, je n’ai laissé aucune trace.

- Vous êtes un voleur, un bandit, un assassin !

- Un assassin ? Elle est bien bonne ! Dois-je vous rappeler vos agissements pendant l’Occupation ? Dois-je vous rappeler d’autres agissements lors de la libération en octobre 1944 ? Vous et vos amis, pour donner le change, pour vous dédouaner, qui avez pris les armes alors que tout risque était écarté pour aller pourchasser et tuer des soldats allemands isolés et perdus dans le Morvan ? Vous ne vous en rappelez plus de ça, vous et Monsieur le curé ? Oublié, digéré, ni vu ni connu !

- Mais…

- Taisez-vous ! Alors, vous pouvez toujours me mettre les gendarmes au cul, on va bien rire…

- Je vous ferai condamner. Et puis j’ai Charles comme témoin. Et mon ami le colonel…

- Ah ah ! Votre ami le colonel Jeannin ? Vous avez déjà oublié qu’avec votre partie de chasse à la con, vous venez de le vexer à mort ? Quant à Charles, je vous rappelle que vous venez de le virer à l’instant. Et que je viens de l’embaucher pour faire commerce de mes meubles.

Le Comte, se dressant sur ses étriers et tenant haut sa cravache.

- Je vais vous…

- Vous allez quoi ? Me faire courir ? Vous voulez courir ? Qu’à cela ne tienne ! Eh bien courrez donc, vous !

Sur ce, le Cépiau abat un méchant coup de bâton sur l’arrière train du cheval, lequel se met immédiatement à galoper en direction des écuries.

A suivre.

5 janvier 2009

Le Cépiau (9)

La neige commençait à tomber. Le vent soufflait dans les branches des épicéas du Mizieux, jouant cette musique si caractéristique. La nuit commençait à tomber. On entendit bientôt crépiter un feu. Bientôt, une odeur de viande grillée emplit le sommet de la montagne. Pourtant, personne n’habitait ce coin perdu, surtout en cette saison.

La neige gelée de la nuit, crissait sous le pas. Au détour de la chênaie à molinie, il y avait un long chemin au bord duquel les sphaignes et les polytrics émergeaient du fin manteau neigeux. On distinguait là nettement le trafic qui s’était opéré pendant la nuit : une petite compagnie de laies suitées, un chevreuil solitaire et d’innombrables passages de renards dont les pas conduisaient tous en direction de la mouille du Diable. Cette mouille était en réalité un vaste complexe de prairies paratourbeuses plus ou moins gorgées d’eau et entrecoupées de fourrés de saules à oreillettes, de bourdaines, de bouleaux pubescents et même quelques bouquets de pins sylvestres chétifs. On y trouvait même çà et là des espaces de tourbières atterries au sein desquels des squelettes de linaigrettes engainantes surmontaient les touffes de callune et les touradons de molinie et de canche cespiteuse. Dans les creux et les gouilles, on pouvait encore observer les tiges de rynchospores blancs qui gardaient le souvenir quelque peu exotique de leurs voisines les droséras qui avaient passé leur été à se repaître d’insectes englués dans leurs magnifiques feuilles gluantes. Alors que le temps semblait s’être arrêté dans ce paysage quasi boréo-arctique, une chevrette grise surgit d’une touffe de genévriers. Comment pouvait-elle se cacher là ? Il n’y avait presque rien pour l’abriter. Alors que le cervidé allongeait son troisième saut, un coup de feu retentit. Et puis, plus rien. Seuls les geais de la forêt du Laré protestèrent du silence rompu.

A l’étang du Diable, on commençait à s’affairer. Chacun était à son poste : un homme dans la pêcherie, un à la pelle, deux à la table de triage et deux porteurs de bassines. Enfin, deux femmes étaient à la pesée et à la vente. Le reste de l’attroupement était composé de jifatouts* et de curieux.

- Vas-y, Marcel, tu peux envoyer !

- D’accord, j’envoie la sauce, Justin.

Les gardons, rotengles et perches arrivèrent en premier. Justin en ramena de pleines épuisettes qui éclatèrent sur la table de triage. Puis vinrent en vrac carpes, tanches et autres brochets. Les curieux s’épatèrent de la taille de certains poissons, dirent, comme d’habitude, d’énormes bêtises qui auraient horrifié n’importe quel ichtyologue. Le bal des bassines, baquets et autres seaux dura bien deux bonnes heures. Vers dix heures, Justin, le propriétaire de l’étang sonna le rassemblement. C’est alors que l’aligoté ou les kirs se mirent à couler pour faire glisser les généreuses portions de jambon cru à la cendre.

- Marcel, as-tu remarqué ce matin dans la sommière, il y avait les traces d’un chevreuil, et contrairement à l’habitude, c’est en sens unique.

- C’est vrai, et ce matin, alors que je prenais mon café, il me semble avoir entendu un coup de fusil là-bas dans la tourbière. Mais je n’ai rien vu. Curieux, d’autant qu’aucune chasse n’était prévue aujourd’hui.

- Le Cépiau ?

- Eh bien non, figure-toi que j’ai entendu dire qu’il était mort. Encore une victime de l’alcool !

- Ah oui ? Le Cépiau mort ? C’est incroyable ! Un vieux renard comme lui…

A suivre.

* jifatout : homme toujours prompt à donner des conseils, à parler beaucoup et à ne pas faire grand chose, ou alors, quand il fait, à faire systématiquement des choses ni faites ni à faire.

19 décembre 2009

Le Cépiau : l'intégrale

Voici la rediffusion intégrale du mon histoire la plus longue jamais écrite. Certes, on aura raison de me dire que j’aurais pu m’abstenir de l’écrire (et de le rediffuser), tant il y a des choses médiocres là-dedans. Mais disons que je voulais un peu meubler, d’autant qu’il fait froid dehors.

Les numéros entre crochets renvoient aux notes en fin de texte.

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Dans le Morvan, au début des années 1960

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Le Cépiau était un homme assez petit, osseux, non pas maigre, mais il possédait un squelette saillant. Il était loin de disposer d’un corps « bodybuidé » et prétentieux, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des muscles d’acier. Pour s’en assurer, il fallait l’avoir vu enfoncer des piquets de clôture à la masse ou abattre un vieux châgne [1] de pian [2] à la cognée. L’hiver habitait en lui puisqu’il était presque systématiquement habillé de gris, des vêtements non pas gris par essence, mais qui s’étaient délavés en cette couleur à force d’exposition aux intempéries. L’avait-on vu un jour arborer des vêtements neufs ? Personne au village ne le savait. Et puis, il y avait ce chapeau de feutre noir qu’il arborait en permanence et qu’il lui avait valu son nom. Un chapeau à larges rebords qui lui permettait de se protéger à la fois des pluies froides et des rayons brûlants du soleil estival.

Le Cépiau était un homme sans âge, c’est-à-dire que parmi les villageois, personne n’était en mesure de lui donner un âge. Cela s’expliquait par son allure, ses vêtements qui le vieillissaient incontestablement. De plus, comme il passait une bonne partie de son temps en plein air, à travers les bois, le bocage, le long des rivières, par tous les temps, le soleil et la pluie, malgré les rides creusées, avaient poli sa peau. Cependant, tout bien pesé, on s’accordait à penser qu’il devait avoir une quarantaine d’années. Le Cépiau avait un visage plutôt fin, avec de grands yeux gris clair. Avec ses sourcils noirs et épais, cela lui donnait un air extrêmement sévère et ce regard lui permettait de fusiller tous ses adversaires potentiels. Il disposait aussi d’un nez assez grand mais élégant, légèrement busqué. Ce nez était un de ses outils indispensables à l’exercice de ses talents puisqu’il avait un odorat extrêmement développé.

Le Cépiau habitait Les Ravatins, une ferme isolée à l’orée de la forêt. Une immense forêt sombre où seuls les bûcherons et les chasseurs osaient s’aventurer. Pour arriver chez lui, il fallait emprunter un long chemin de terre plus ou moins bien empierré et où les ornières étaient fréquentes et ralentissaient la progression des voitures. En contrebas, coulait la Canche, une magnifique rivière qui serpentait parmi les grandes prairies du Comte et où paissaient dans l’herbe toujours verte, plusieurs troupeaux de charolaises.

Le Cépiau avait un atelier au village, il était ébéniste (dans son jeune âge, il avait été compagnon du tour de France). Il ne faisait qu’y travailler, notamment les quatre premiers jours de la semaine. On ne savait jamais où il se trouvait entre son atelier, son domicile, la visite à ses clients, les déplacements avec les marchands de bois et même l’ingénieur des eaux et forêts lorsqu’il s’agissait d’aller choisir un arbre sur pied. Il se déplaçait indifféremment à vélo, en cyclomoteur, en camionnette, et bien souvent à pied. Bref, il était insaisissable. Le seul instant où on était sûr de le trouver, c’était le lundi matin à son atelier. Et le reste du temps, il exerçait une autre activité clandestine. Non pas une activité criminelle, non pas une activité rémunératrice, mais une activité néanmoins répréhensible.

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Le Cépiau était un excellent ébéniste. Il fabriquait des meubles dans des styles assez différents. Lorsqu’il avait besoin de sculpter des éléments plus sophistiqués, il faisait appel à son ami Maurice, qui lui, travaillait à la ville. Ils s’étaient connus il y a bien longtemps lorsqu’ils avaient sillonné la France lors de leur compagnonnage. Seulement voilà, notre homme, aussi doué fut-il, ne travaillait qu’en fonction de ses humeurs, de son inspiration et surtout dans le temps libre que lui laissaient ses autres occupations. Il travaillait vite et bien. Sa rapidité d’exécution, sa dextérité avaient toujours étonné ses maîtres et ses collègues. La vitesse de réalisation faisait partie intégrante de l’œuvre qu’il réalisait. Les morceaux de bois étaient choisis avec un soin méticuleux, voire tatillon. Mais lorsque le choix était enfin arrêté, le bout de bois brut se transformait en un tiroir ou une porte de buffet à une vitesse stupéfiante. L’homme maniait ses outils avec une assurance incroyable, l’œil acéré guidant l’outil à chaque fraction de seconde. Il était très exigent vis-à-vis de ses outils, il fallait qu’ils soient toujours à leur tranchant maximal, il en était même maniaque. Grâce à la petite forge qui occupait l’arrière de son atelier, que seule une petite fenêtre éclairait, il avait créé ou adapté un grand nombre d’outils inédits qui lui facilitaient la tâche. Maurice, qui connaissait lui-même bien le métier en était stupéfait ; il lui arrivait même de venir le voir pour créer ses propres outils.

Les clients du Cépiau devaient savoir à quoi s’en tenir. S’ils voulaient des délais de réalisation suffisamment courts, ils devaient venir le harceler chaque lundi matin. En revanche, ils étaient assurés d’une chose, le travail était d’une qualité irréprochable et les meubles et autres objets d’une rare solidité.

Un jour, Charles, le régisseur du comte se pointa à l’atelier. Que pouvait-il bien faire là, lui qui ne lui avait jamais rien commandé ? Charles venait ici un peu comme à reculons. Il était très embêté. Le Cépiau, lui, ne se souciait guère de son visiteur, occupé qu’il était à manier la varlope sur un large plateau de noyer. Charles finit par accoucher :

- Voilà, Monsieur le Comte avait acheté l’an dernier une grande table de cérémonie en chêne à l’usine de Dijon. Et voilà que la semaine dernière, elle s’est partagée par le milieu. Bref, elle est fichue. Je me suis fait engueuler. J’avais cru bien faire en achetant cette table, moins chère qu’une table d’artisan. Et maintenant, il faut que je trouve une solution, sinon, je suis viré.

- Que veux-tu que j’y fasse ? Je n’y peux rien si vous n’êtes même pas capables de vous fournir dans les bonnes maisons. Ta table, elle a sûrement dû être fabriquée avec un mauvais chêne qu’on avait tout simplement oublié de faire sécher. Bref, les beusenots [3] qui l’ont fabriquée sont plus cons que les souliers que tu portes.

- Mais oui, ne remue pas le couteau dans la plaie. Je voudrais que tu voies…

- Pas question !

- Mais on te paiera le prix que tu demanderas, dussé-je y mettre un peu de ma propre paye.

Le Cépiau avait lâché son rabot et réfléchissait. Puis après avoir réajusté son chapeau :

- Voilà ce que je te propose. Pour la table, tu ne me paieras que le bois et je te fais cadeau de la main d’œuvre. En échange, il faudra que tu fasses un effort pour me faciliter les choses sur les terres du comte.

- Mais…

- Il n’y a pas de mais ! C’est à prendre ou à laisser.

Charles grommela car il ne s’attendait pas à ça. Il pensait qu’il allait lui faire payer la table le double du prix habituel, mais là… Là, l’affaire était délicate, mais elle avait l’énorme avantage de ne point grever ses finances. La protestation n’était donc là que pour la forme. Il n’avait en effet d’autre choix que d’accepter le marché.

- Bon, d’accord, Cépiau, je vais voir ce que je peux faire. Il faudra quand même rester discret.

- Ne t’inquiète pas pour ça, jamais personne ne me verra.

Le marché fut donc conclu. Charles lui versa immédiatement une avance. Le régisseur avait à peine, quitté l’atelier que le Cépiau se mettait en route pour A. pour aller voir Robert, l’ingénieur des eaux et forêts, qui avait fini par devenir son ami. En effet, réaliser une table de dix mètres de long en chêne nécessitait des bois spéciaux et Robert allait l’aider.

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Le Cépiau avait hérité de son père toutes les ruses, toutes les astuces de la braconne. Du vivant de son père, ils avaient berné la maréchaussée à plusieurs reprises. Il se souvenait souvent de cette fois où traquant les lièvres sur les terres enneigées du comte, ils avaient utilisé des chaussures à semelles inversées. L’adjudant Emmanuel s’y était cassé les dents et s’était juré de ne plus jamais se faire avoir. Seulement voilà, les Raboliots frappaient toujours là où on ne les attendait pas, et surtout, c’était de vraies anguilles insaisissables. Emmanuel dut se contenter de vulgaires seconds couteaux du braconnage. C’est vrai qu’en ce temps là, nombreux étaient les paysans qui pratiquaient le braconnage pour vivre, pour améliorer l’ordinaire, enrichir les repas de protéines sauvages.

Le Cépiau, lui, gagnait parfaitement sa vie et le braconnage n’était que la face cachée de son statut de chasseur et de pêcheur. Il ne braconnait que par habitude, par le simple côté pratique et rapide pour trouver son repas de la semaine. Mais il braconnait aussi et surtout pour braver les interdits et aller défier les nantis sur leurs terres. Bref, il s’agissait d’une forme de sport.

Le Cépiau était du genre anarcho-communiste et bien sûr, il était en guerre contre l’Église, en particulier le curé de la paroisse, le père Jean. Ce dernier, issu de la droite la plus réactionnaire, ne se gênait pas d’intervenir activement dans les campagnes électorales. Ses prêches lors des messes étaient bien connus, mais l’évêque d’A. fermait les yeux. Le père Jean avait toujours soutenu le comte qui était maire de la commune déjà depuis une vingtaine d’années. Le Cépiau n’était pas le seul ennemi du curé mais il incarnait le mal : il n’allait jamais à la messe, moquait ouvertement la religion et surtout, on l’avait vu à plusieurs reprises complètement ivre, écumant les bistrots. Une fois, on l’avait même retrouvé endormi le long d’un fossé, complètement soûl. Ceci dit, le Cépiau était très rarement en veurde [4]. Il n’en demeurait pas moins que le curé lui vouait une haine féroce depuis le jour où le Cépiau l’avait ridiculisé en public.

Le Cépiau avait réussi à se tisser un cercle de relations et d’amitiés fort utiles. Bien sûr, cela n’était pas gratuit. Il était copain avec le capitaine de gendarmerie, cela valait bien de temps en temps, un lièvre, un beau brochet ou une bourriche de truites. En revanche, avec Robert, l’ingénieur des eaux et forêts, il s’agissait d’une véritable amitié. Une amitié vieille de dix ans : à cette époque, Robert venait d’être nommé à A. Ils s’étaient connus le jour où Robert, averti par un de ses gardes, avait débarqué chez le Cépiau, aux Ravatins. Une simple visite de courtoisie, mais Robert voulait se rendre compte par lui-même. Le Cépiau accueillit Robert en grandes pompes, il lui offrit un verre de Pommard. Cela ne pouvait pas mieux tomber, Robert était un amateur éclairé des nectars bourguignons. Alors qu’ils discutaient, Robert entendit un bruit qui venait du dessous de la table. Un bruit qui se répéta. Le Cépiau se sentant pris, mit immédiatement cartes sur table, il se pencha et posa sur la table une grosse bourriche remplies de truites qui venaient à peine d’être prises et frétillaient encore. Robert éclata de rire. Ils trinquèrent et Robert repartit avec sa friture. Ils devinrent de grands amis. Deux fois par an, ils partaient en veurde sur la Côte [5] : une fois pour la Saint-Vincent tournante et une fois juste avant les vendanges. Ils en profitaient pour aller se ravitailler en vin chez des propriétaires connus de longue date.

Le Cépiau coulait donc des jours heureux. Seulement son adresse, son insolence attisait pas mal de jalousies au village.

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En ce matin de mai, le jour se levait à peine dans la vallée, entièrement baignée d’une brume épaisse. Seuls le Laré, le Mizieux et au loin, la silhouette du Bois du Roy émergeaient de ce voile de ouate inconsistante. Ces monts, assombris par les sapinières et autres pessières sommitales, imposaient une ambiance austère et lugubre à cette scène alluviale. Après le méandre, la rivière s’élargissait, courrait sur radier de galets et de graviers avant d’entamer une chute, provoquant en aval une vaste mouille ombragée par une ripisylve dominée par les frênes [6] et les chênes [7].

Encore blottie sous une souche de verne [8] où elle avait passé la nuit, la truite [9] alla se dégourdir les nageoires. Elle fit le tour complet de la mouille et de ses annexes, ne dédaigna pas un traîne-bûche [10] pour se mettre en appétit. Ayant terminé l’inspection de son territoire, la mouchetée alla se poster face à la cascade. Elle était de taille honorable, dans la pleine force de l’âge et affronter les pires tourbillons, remous, vortex et autres bouillonnements du courant ne l’impressionnait guère, d’autant que la belle avait trouvé un lieu idéal derrière une grosse pierre où comme par magie, le courant s’annulait. Elle était donc positionnée dans l’un de ses postes de prédilection où elle pouvait, dans un confort certain, attendre la manne d’éphémères qui n’allait pas tarder à se manifester. Le festin matinal allait donc pouvoir commencer.

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Le soleil commençait à envoyer quelques rayons derrière le Mizieux. Au fur et à mesure qu’il montait sur l’horizon, la brume qui pesait parmi la vallée se réduisait comme si l’astre du jour venait rétablir l’ordre que les démons de la nuit étaient venus mettre à mal. Les gouttes de rosée perlaient au soleil, reflétant à la fois la silhouette conique des houppiers d’aulnes et les panicules rassurantes des vulpins [11]. Un chevreuil, qui avait passé une bonne partie de la nuit à brouter parmi les prairies du comte, terminait son dessert de jeunes pousses des fayards [12] qui se risquaient dans un pian qui prolongeait le versant de la grande forêt. Maintenant que la lumière n’était plus suspecte de la présence de spectres fugitifs alliés, il lui fallait penser à s’éclipser en regagnant le cœur de la forêt, mais les jeunes pousses sucrées et fermentescibles l’avaient enivré. Aussi, lorsqu’il eut enfin décidé d’aller se mettre à couvert, ses bonds quelque peu désordonnés et sa lucidité altérée par son ivresse ne lui permirent pas de remarquer la présence du collet qui l’étouffa dans un râle de désespoir qui résonna jusqu’à la Forêt de Glenne.

˜ 

 

La truite, d’habitude si rusée, méfiante, goûtant tout avant de se décider à avaler, vit enfin arriver les éphémères dont elle se gava avec une délectation non mesurée. Quelques mètres plus haut, venait de se poser à la surface de l’onde, une espèce particulière de mouche de mai. Aussitôt, l’insecte se mit à dériver librement dans la veine de courant, et malgré les perturbations chaotiques diverses du courant, elle arriva exactement en face de la pierre qui ornait le fond de la mouille. La mouchetée, à qui rien n’échappait, l’avait vue venir. Elle lui paraissait d’une taille supérieure à ses congénères, mais il lui fallait profiter en toute hâte de cette manne exceptionnelle. D’un coup de nageoire caudale fulgurant, elle décolla du fond pour bondir sur la proie, sortant à moitié de l’eau pour l’occasion. Elle se saisit de l’éphémère avec une vigueur incroyable. Mais à cet instant précis, alors qu’elle s’apprêtait à l’engloutir, une résistance se fit sentir, comme si l’insecte voulait lui échapper. Alors qu’elle cherchait à regagner le fond au plus vite, la résistance se fit plus forte encore et elle ressentit une forte douleur dans la mâchoire. Elle comprit vite qu’elle était perdue et qu’il lui fallait trouver une parade au plus vite. Avec la célérité de l’éclair, elle se rua vers l’aval dans la plus forte veine de courant, démultipliant ainsi sa force. Ce fut une réussite, la résistance était devenue bien moindre. Mais le répit fut bref et elle ressentit à nouveau une violente traction de l’amont. La truite eut donc moins d’une fraction de seconde pour tenter de rejoindre son abri sous l’aulne où elle pourrait à loisir se défaire de sa laisse en faisant quelques tours morts autour des racines. Elle progressait donc lentement vers sa cache, mais la résistance était terrible et les forces commençaient à lui manquer. Voyant qu’elle ne pourrait jamais atteindre son objectif, elle décida d’un coup d’éclat pour tenter de détourner l’attention. Au lieu de tirer dans le sens où on voulait l’empêcher d’aller, elle rendit du mou, effectuant un saut splendide hors de l’eau avant de replonger rageusement en direction des remous les plus terribles sous la cascade.

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A cet instant, on entendit une clameur monter parmi les feuilles d’aulnes et de benoîtes [13]. Cette clameur, c’était un juron du Cépiau. Jusqu’à présent, rien ni personne n’avait pu soupçonner sa présence. La situation était suffisamment délicate pour qu’il s’autorise à quitter son poste pour rejoindre la berge en contrebas de la chute d’eau. La truite était d’une taille assez exceptionnelle et se défendait avec une vigueur inhabituelle. Et voilà qu’elle était littéralement collée au fond. Elle pouvait à tout moment rompre la ligne en érodant le fil de nylon le long des pierres. A force de tirer sur la gaule, le Cépiau finit quand même par ressentir de lourds mouvements de fond qui augmentaient d’amplitude. Un nouveau départ sournois dans le courant se produisit. Le Cépiau laissa filer avant de contrôler le mouvement avec une vigueur autoritaire. Il décrocha alors son épuisette raquette et malgré des débats et autres nouveaux essais de fuite, il réussit enfin à diriger le poisson vers l’engin qui allait la mettre au sec.

Malgré ses nombreuses expériences passées, le Cépiau ne se lassait jamais de ses poussées d’adrénaline lorsqu’on ignore jusqu’au dernier moment si sa proie, dans un dernier sursaut ou une ultime ruse, va lui échapper ou non. La mouchetée rejoignit ses congénères dans le panier d’osier, mais comme elle en dépassait assez largement, il la disposa sur un lit de fougères [14] dans sa poche dorsale. Il ramassa le chapeau qu’il avait perdu dans la bataille et dit : « Toi, ma carne, tu m’en a fait baver. Depuis le temps que je te convoitais. Tu m’as obligé à me lever depuis Saint-Patriare-Jacquet [15] et tu m’as tombé le chapeau. Tu finiras donc en filets pour le repas de dimanche ».

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Il œuvrait toujours seul. Tout se faisait généralement dans la discrétion la plus poussée, sauf quand le Cépiau en avait décidé autrement.

Le Comte habitait un château « campagnard » de la fin du XVIIe siècle. Sa famille avait vécu, depuis plusieurs générations déjà, de ses terres, plus exactement de la rente que lui rapportait ses métayers. Mais après la Première guerre mondiale, l’exode rural, les paysans morts à la guerre, les mauvaises récoltes avait réduit considérablement le train de vie de

la famille. Le

jeune Comte d’alors avait donc décidé de se lancer dans les affaires : la quincaillerie et les livraisons de ferraille. Durant la Seconde guerre mondiale, le Comte, avec ses relations, avait réussi à faire des affaires avec l’occupant. On ne savait pas si le Comte avait fait du tort à la population locale, mais le Cépiau avait toujours eu du mal à digérer l’enrichissement induit et il avait décidé de le lui faire payer à sa manière.

Le Cépiau, depuis l’épisode de la table qu’on lui avait demandé de fabriquer, arpentait à qui mieux mieux les terres du Comte, en toute impunité puisque Charles, le régisseur et garde-chasse par la même occasion avait promis de le laisser en paix. Bien entendu, le Comte n’était pas au courant de l’arrangement.

Le Cépiau, pour se venger du Comte avait décidé de vider totalement les terres du comte de tout ce qui pouvait ressembler à un poisson ou à un gibier. Ainsi, il avait décuplé le nombre de collets, avait organisé avec Maurice plusieurs chasses de nuit pendant l’été à la lanterne pour écrémer lièvres et lapins. La rivière avait été parsemée de lignes de fond et l’étang en face du château passé au tramail. En mars dernier, lors de la vidange quinquennale de l’étang, le Comte s’était ému de ne presque rien trouver dans l’étang. Il s’était également un peu étonné de la pauvre battue au chevreuil qu’il avait organisée en février. Et puis, il y eut cet épisode pour l’ouverture de la chasse.

Pour l’ouverture de la chasse, le Comte avait coutume d’inviter ses meilleurs amis aristocrates ou notables de tout poil pour une grande chasse parmi les champs et les prairies du domaine. Au menu, en général, des lièvres, perdreaux et faisans à volonté. Il faut même préciser que Charles élevait quelques gallinacés supplémentaires pour soutenir les effectifs et les lâchait de façon échelonnée entre le mois de mai et le 15 août. Durant l’été, Charles avait bien remarqué qu’il ne voyait pas beaucoup de gibier, et s’en était un peu inquiété. Quelques jours avant l’ouverture, il avait donc lâché les derniers faisans qu’il avait conservés.

Le matin de l’ouverture, le rassemblement de tous avait été ordonné, comme tous les ans dans la cour du château pour la revue des chasseurs, des armes et des chiens. A l’issue de la cérémonie d’ouverture, tout le monde se mit en route : les invités devant, le Comte à cheval en arrière pour superviser les opérations, suivi par Charles avec des chiens en réserve. La chasse fut désastreuse : les chiens restaient parfaitement impassibles, sa baladant comme de vulgaires chiens de ville. Il n’y avait pas âme de gibier qui vivait sur l’ensemble du domaine. Dans la dernière parcelle, un chien daigna quand même à regret faire un arrêt sur un pauvre volatile : un faisan qui eut peine à s’envoler et qui fut abattu par Monsieur le curé. Bref, une catastrophe, une humiliation pour le Comte. Ce dernier se confondit en excuses auprès de ses invités, lesquels ne mirent pas longtemps à prendre congé, sans repasser au château.

La catastrophe n’était pas moins grande pour Charles. Alors qu’ils regagnaient le château, le Comte, dans un état de rage rarement vu, demanda des explications. Ils se trouvaient alors au niveau du Pont des Chaumes froides au-dessous duquel le Cépiau relevait ses lignes de fond.

- Mais comment avez-vous pu laisser faire un braconnage pareil ? Comment peut-on se faire berner de la sorte ? Vous êtes un incapable, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Comment avez-vous pu vous faire voler mes perdrix et mes faisans ? Et les lièvres, ils sont où ? Mais qu’avez-vous bien pu fabriquer ?

- Je…

- Taisez-vous ! N’avez-vous donc point vu de traces de braconnage ? Je ne peux pas y croire. Vous êtes un con, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Vous rendez-vous compte dans la situation épouvantable dans laquelle vous m’avez mise ? après avoir vu un tel cataclysme, mes amis ne me feront plus aucune confiance ! Vous êtes nul, Charles.

- Euh…

- Taisez-vous, vous ai-je dit ! Peut-être est-ce vous qui m’avez détruit ma chasse, volé mon gibier ? Vous êtes renvoyé !

- Oui, Monsieur le Comte.

A ces derniers mots, le Cépiau qui avait tout entendu et qui n’en pouvait plus de voir Charles se faire humilier, bondit sur la berge, vint rejoindre les deux hommes et s’écria :

- C’est moi et personne d’autre qui ai passé vos terres au peigne fin, c’est moi qui m’en suis pris à votre gibier. Charles n’y est pour rien.

- Mais, comment osez-vous venir ici me défier sur mes terres. Vous êtes un voleur et je vais vous faire passer l’envie de braconner en vous envoyant directement en prison.

- Pas si vite, Comte, vous ne pourrez rien prouver, je n’ai laissé aucune trace.

- Vous êtes un voleur, un bandit, un assassin !

- Un assassin ? Elle est bien bonne ! Dois-je vous rappeler vos agissements pendant l’Occupation ? Dois-je vous rappeler d’autres agissements lors de la libération en octobre 1944 ? Vous et vos amis, pour donner le change, pour vous dédouaner, qui avez pris les armes alors que tout risque était écarté pour aller pourchasser et tuer des soldats allemands isolés et perdus dans le Morvan ? Vous ne vous en rappelez plus de ça, vous et Monsieur le curé ? Oublié, digéré, ni vu ni connu !

- Mais…

- Taisez-vous ! Alors, vous pouvez toujours me mettre les gendarmes au cul, on va bien rire…

- Je vous ferai condamner. Et puis j’ai Charles comme témoin. Et mon ami le colonel…

- Ah ah ! Votre ami le colonel Jeannin ? Vous avez déjà oublié qu’avec votre partie de chasse à la con, vous venez de le vexer à mort ? Quant à Charles, je vous rappelle que vous venez de le virer à l’instant. Et que je viens de l’embaucher pour faire commerce de mes meubles.

Le Comte, se dressant sur ses étriers et tenant haut sa cravache.

- Je vais vous…

- Vous allez quoi ? Me faire courir ? Vous voulez courir ? Qu’à cela ne tienne ! Eh bien courrez donc, vous !

Sur ce, le Cépiau abat un méchant coup de bâton sur l’arrière train du cheval, lequel se met immédiatement à galoper en direction des écuries.

˜ 

 

Le père Jean, le curé de la paroisse, était un homme qui était resté fidèle aux vieilles doctrines éculées de l’église : misogyne, traditionaliste, prônant la charité intéressée, combattant les actions de solidarité dans le monde ouvrier, fidèle et soumis aux puissants, adepte de conservatismes en tous genres, favorable au maintien des indigents dans le cercle de l’obscurantisme religieux (bref, rien que des qualités pour un seul homme, apte à séduire le Comte). Le Comte et le père Jean étaient effectivement amis de longue date. Le dimanche suivant l’humiliation de la partie de chasse, le Comte invita le curé au château.

Ce vendredi, Robert était parti superviser les opérations de marquage des bois en forêt domaniale de Gleune et il avait convenu de marander [16] à midi chez le Cépiau. A midi juste, Robert se pointe à la ferme des Ravatins. Une puissante et agréable odeur de gibier embaume la cuisine.

- Que nous as-tu fais de bon ce midi ?

- Alors, en entrée, un buisson d’écrevisses de la Canche à la nage, en plat de résistance, un rôti de sanglier avec des treuffes [17] du jardin, du fromage de bique et en dessert, de la tarte aux pourriots [18].

- Parfait, mais dis-moi, il vient d’où le sanglier ?

- De la forêt de Gleune, pardi, de là où travaillent tes gars !

- Évidemment, Cépiau, tu es incorrigible. Tu devrais quand même te méfier, car tu sais qu’il y a un œil derrière chaque arbre.

- Oui, je sais.

- Enfin, du moment que c’est bon. Et à boire ?

- Eh bien, un petit Aloxe-Corton que nous avions rapporté ensemble il y a cinq ans.

- Bien, bien… Alors, tu n’oublies pas, ce soir, je t’emmène. Tu couches à la maison et nous partons demain matin au plus tôt pour Beaune.

- Oui, oui, tu penses bien, je ne vais pas oublier. Mes affaires sont prêtes.

Le repas terminé, Robert retourna à son chantier et le Cépiau s’en alla quérir aussitôt une quelconque « friandise » pour la femme de Robert.

Le samedi matin, dans la voiture pour Beaune, le Cépiau se confia à Robert au sujet de l’histoire avec le Comte.

- Tu as fait fort quand même, mais tu lui as donné une bonne leçon.

- Ce qui m’inquiète, c’est ce fichu curé qui complote.

- Mais non, ne t’inquiète pas. Que veux-tu qu’il te fasse ce vieux con de curé ?

- Tu as sûrement raison.

Les deux hommes firent le tour habituel des caves et se ravitaillèrent des meilleurs vins. Au retour, la voiture, qui était bonne bête, les ramena sans encombre jusqu’à la maison de Robert. Ils purent ainsi se reposer en paix de cette lourde fatigue œnologique.

Le dimanche après-midi, Robert raccompagna le Cépiau chez lui. Ils purent encore à loisir déguster les acquisitions de

la veille. Avant

de partir, Robert dit :

- Bon, alors, c’est entendu, on se donne rendez-vous dans quinze jours à S. pour aller voir ces arbres. Moi, je pars demain en formation à Montpellier.

˜ 

 

Trois jours plus tard, le facteur, qui débutait sa tournée tôt le matin, trouva le Cépiau versé [19] dans un fossé au bord du chemin de terre qui longe la Canche à quelques kilomètres du bourg.

A midi, lorsque Maurice arriva au bourg pour retrouver le Cépiau, il trouva un attroupement devant l’atelier. Lorsqu’il apprit enfin la nouvelle, il fut totalement abattu. Chancelant, il reprit sa camionnette et regagna la ville à 20 km/h dans les descentes.

Comme la gendarmerie bénéficiait d’excellents limiers, on leur confia l’enquête : Roger Thouvial (le fils d’Emmanuel, lui-même gendarme qui avait pourchassé en vain, pendant l’entre-deux-guerres, le Cépiau et son père dans leurs œuvres braconnières) et Claude Ravaillot (dit le « ptiot Glaude »). Roger était le « patron » (adjudant-chef) et Claude, simple gendarme. Après avoir été prévenus par le facteur, ils constatèrent effectivement le corps inanimé du Cépiau. Le médecin du village, le docteur Rouleau, qui affichait quand même 75 ans au compteur, devait constater quelques minutes plus tard le décès suite à un « malaise et à une hypothermie liée à l’absorption d’alcool et consécutivement à un refroidissement nocturne ». Les choses étaient donc très claires et l’enquête fut donc bouclée en un temps record et aucune autopsie ne fut pratiquée.

Le Cépiau n’avait pas de famille proche et personne n’eut l’occasion d’exprimer son point de vue aux enquêteurs. Par ailleurs, la disparition du Cépiau n’indisposait personne parmi les villageois et les notables du coin.

Depuis deux jours, Maurice ne dormait plus et ne pensait qu’à la mort du Cépiau qui lui paraissait pour le moins suspecte. Il voulut voir Robert, mais celui-ci se trouvant à Montpellier, il put enfin le joindre par téléphone. Il lui apprit le décès du Cépiau, puis vinrent quelques explications.

- On a retrouvé le Cépiau mort avant-hier matin le long du chemin de la rivière. La gendarmerie a conclu à une mort suite à un malaise du fait qu’il aurait trop bu le mardi soir. Or tu connaissais le Cépiau autant que moi : il ne s’avinait pas lorsqu’il savait qu’il devait travailler. Qui plus est, nous avions prévu de travailler ensemble mercredi après-midi. Et encore plus curieux, il n’a pas retrouvé son chapeau.

- Écoute, c’est terrible. Samedi et dimanche, le Cépiau et moi étions ensemble et il m’a dit son inquiétude suite à une leçon qu’il a donnée au Comte. Je suis comme toi, je ne crois guère à la version donnée par la maréchaussée.

- Mais que peut-on faire ? Nos arguments ne pèseront pas lourd en face aux gendarmes, d’autant que tu sais que l’adjudant-chef Thouvial n’était pas très copain avec le Cépiau, à cause de son père…

- Ne bouge pas. Je saute dans le premier train et je te rejoins dès que possible. On en rediscute et on ira voir ensemble mon ami le commissaire de police Yves Taxus.

Yves Taxus était d’origine bretonne. Après le bac, il avait fait ses études scientifiques à Paris avec Robert avant de changer d’orientation et faire son droit. Après quelques années dans la région parisienne, il avait été nommé commissaire à A.

˜ 

 

Le maire-comte et le curé s’étaient entendus. Pour éviter tout scandale, malgré l’athéisme revendiqué du Cépiau, on ferait une rapide cérémonie à l’église et on irait ensuite le repiquer au cimetière. De toute façon, personne n’irait protester contre une telle décision.

Au bistrot en face de la gare, Maurice s’était installé à la table qui lui permettait de voir arriver par la fenêtre le train de Robert. Maurice était extrêmement nerveux. Pour se calmer, il avalait son troisième passetoutgrains, lorsque enfin il vit l’ingénieur des eaux et forêts se pointer. Maurice se précipita dehors.

- Bonjour Robert, te voilà enfin. Si tu savais, je ne vis plus…

- Bonsoir Maurice. Tu sais, il me fallait bien la journée pour revenir, l’administration n’a pas les moyens de me payer l’avion. Et puis, il faut que tu te calmes. Moi aussi, ça m’a fichu un coup, le Cépiau et moi, c’était aussi une longue histoire. Il nous faut raisonner pour essayer de tirer cette histoire au clair. Ce matin, avant de partir de Montpellier, j’ai pu passer un coup de fil à Yves. Il nous attend au commissariat.

Les deux compères montèrent dans la camionnette de Maurice et en moins de cinq minutes, ils furent sur place. Yves attendait nos deux compères. Il vint les accueillir en bas des escaliers.

- Salut Robert. Un peu désolé de se voir en de telles circonstances…

- Bonjour Yves, je suis venu avec Maurice, un autre ami du Cépiau.

- Bien, à cette heure, il faut que je donne congé à mes gens. Je vous rejoins dans mon bureau à l’étage.

En montant, Maurice ne put s’empêcher de détailler le travail des escaliers de bois. Il crut y voir la patte du Cépiau.

- Bon, eh bien dites-moi tout !!

- Maurice et moi pensons que la mort du Cépiau est suspecte. Certes, il lui est arrivé de faire des virées, certes il aimait les bonnes bouteilles, certes il avait le vin joyeux, mais une chose est sûre, le Cépiau n’était pas du genre à être ronflé comme un parrain quand il avait du boulot. Et justement, le matin où on l’a retrouvé sec, Maurice devait le retrouver pour travailler ensemble.

- Et tu penses que…

- Je pense que les gendarmes chargés de l’enquête là-bas ne sont qu’une équipe de bras cassés. A vrai dire, quand on n’est même pas capable d’attraper les voleurs de poules, il ne faut pas trop s’étonner de la pertinence des investigations.

- Oui, j’en ai entendu parler. Mais tu sais que je ne peux pas intervenir à la gendarmerie, à moins que…

- A moins qu’on trouve quelque chose de flagrant qui permettrait de rouvrir l’enquête.

- Exactement, mais il nous faudra du solide. Et à ce moment là, on pourra les dessaisir. Mais c’est à vous d’aller fouiner là-bas. Moi, je dois rester dans l’ombre.

- Très bien, Maurice et moi partons au village demain matin à la première heure.

Le lendemain matin, peu après 7 heures, la camionnette s’arrêta devant la boutique de la mère Vieillard. Cette dernière tenait un bar-restaurant-épicerie tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Il était donc tout naturel que Maurice et Robert mettent cette étape au menu de leur enquête, d’autant plus que la mère Vieillard était une des rares personnes du village qui appréciait vraiment le Cépiau. En effet, il venait souvent la visiter et ils mangeaient régulièrement du poisson ensemble. Elle disait tout le temps : « Cépiau, que lai diable ait vôt’ pouchon, vôt’ pouchon est tout ! ». Effectivement, si la mère Vieillard aimait cuisiner, elle avait horreur d’éviscérer les poissons.

Les deux compères entrent dans le bistrot, ils sont les premiers clients.

- Bonjour mère Vieillard, comment allez-vous ?

- Bonjour Maurice, boujour Robert. On fait aller, mais c’est pas la joie avec la mort du Cépiau. Qu’est-ce que je vous sers ?

- Deux ptiots cafés.

- Alors, qu’est-ce qui vous amène au juste ?

- La mort du Cépiau, vous pensez bien. On ne croit pas trop à une mort naturelle.

- Tiens donc, figurez-vous que je me pose moi aussi des questions.

- Vous aussi ?

- Oui, moi ce qui me paraît bizarre, c’est qu’on n’a pas retrouvé le chapeau du Cépiau.

- Alors ça, fit Maurice, c’est impossible, il ne le quittait jamais, hiver comme été, sauf pour dormir.

- Oui, il ne l’aurait pas quitté pour un empire.

- Avec le fait qu’on l’ait retrouvé bourré, cela fait déjà deux choses suspectes, marmonna Robert.

- Trois, déclara la mère Vieillard.

- Trois ? Quoi d’autre ?

- Eh bien la veille que l’on a retrouvé le Cépiau sec le long de la rivière, je l’ai aperçu avec le curé avec son vélo près de l’église. Curieux, non, en compagnie du curé ? Et ils n’avaient pas l’air de s’engueuler cette fois.

- Bizarre en effet. On ne peut pas imaginer ces deux là autrement que de se cracher des insanités à la figure.

- Et je crois bien qu’il n’avait déjà pas son chapeau sur la tête.

- A croire qu’on ne parle pas du même homme, fit Maurice.

C’est alors qu’on vit rentrer Charles, complètement affolé.

- Qu’est-ce qui t’amène, Charles, demanda la mère Vieillard ?

- J’ai vu la voiture de ces Messieurs garée devant chez toi, et je me suis dit qu’il fallait que je les voie de toute urgence.

- Ah oui, Charles, et en quel honneur, demanda Maurice ?

- Moi, j’ai une idée, fit Robert. Il se demande s’il ne va pas se retrouver au chômage. Le Cépiau venait de l’embaucher après que le comte l’eut mis à la porte.

- Oui, et maintenant, c’est pas le comte qui va le reprendre après toutes ces histoires, déclara Maurice. Bon, que veux-tu, Charles ?

- Robert a raison. Avec la mort du Cépiau, je suis grillé partout dans le village, vous pensez bien. Personne ne voudra plus jamais me faire confiance.

- Encore que ne pas être copain avec le comte soit plutôt une qualité à mes yeux, déclara Maurice.

- Ce n’est pas si grave, fit Robert. Si ce n’est que ça qui te tracasse, je verrai ce que je peux faire avec mon administration et on trouvera bien à te recaser quelque part.

- Merci Robert.

- Ne me remercie pas, Charles, tu es un bon gars dans le fond. Le Cépiau ne s’y trompait pas.

- Et puis il y a autre chose. Une chose curieuse, dont je viens tout juste de m’apercevoir. Le paquet de taupicine que je gardais dans ma remise a disparu.

- Très curieux en effet, d’autant que ce n’est pas la saison où on empoisonne les taupes, fit Robert. Tu n’as rien dit à la gendarmerie ou à quelqu’un d’autre au moins ?

- Non, vous êtes les premiers à qui je dis ça.

- Eh bien, s’écria Robert, continue ainsi, ne dis plus rien à personne. Et toi non plus mère Vieillard. Maurice et moi, allons poursuivre notre enquête parallèle. Pas un mot à personne.

Maurice et Robert avalèrent leurs seconds cafés et, alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, le facteur entra.

- Ah, voilà not’ facteur, s’écria la mère Vieillard.

- Bonjour facteur, dit Maurice en l’invitant à s’asseoir. Nous voulions justement vous rencontrer.

- Bonjour Messieurs. Que voulez-vous ? C’est pour une lettre, un paquet, un mandat ?...

- Non, non, dit Robert. C’est juste que nous voudrions quelques éclaircissements sur le Cépiau.

- Le Cépiau ? Mais, je le connaissais à peine !

- Oui, nous le savons, fit Maurice. Mais c’est bien vous qui l’avez retrouvé le long du chemin le long de la rivière ?

- Pour ça, oui, c’est bien moi qui l’ai trouvé le Cépiau. Etendu de tout son long qu’il était. Et puis déjà tout froid et tout raide.

- Et son chapeau ?

- Son chapeau ? Je n’en sais rien.

- Avait-il son chapeau quand vous l’avez trouvé, s’impatienta Robert.

- Eh bien, maintenant que vous le dites, non, il n’avait pas son chapeau. Les gendarmes l’ont aussi remarqué. Et puis, qu’est-ce que cela peut faire ?

- C’est essentiel, répondit Maurice. Et les gendarmes ont-ils retrouvé le chapeau ?

- Ça, vous n’avez qu’à aller le leur demander.

- Très bien, très bien, fit Robert. Nous vous remercions. Au fait, mère Vieillard, le docteur Rouleau, où peut-on le trouver ?

- Eh bien, ce matin, vous le trouverez sûrement à son cabinet au Moulin Roypol.

- Très bien, merci, répondit Robert en sortant du bistrot. Nous mangerons là à midi.

Sur ce, Maurice et Robert se mirent en route en direction du Moulin Roypol.

˜ 

 

La neige commençait à tomber. Le vent soufflait dans les branches des épicéas du Mizieux, jouant cette musique si caractéristique. La nuit commençait à tomber. On entendit bientôt crépiter un feu. Bientôt, une odeur de viande grillée emplit le sommet de la montagne. Pourtant, personne n’habitait ce coin perdu, surtout en cette saison.

La neige gelée de la nuit, crissait sous le pas. Au détour de la chênaie à molinie, il y avait un long chemin au bord duquel les sphaignes et les polytrics émergeaient du fin manteau neigeux. On distinguait là nettement le trafic qui s’était opéré pendant la nuit : une petite compagnie de laies suitées, un chevreuil solitaire et d’innombrables passages de renards dont les pas conduisaient tous en direction de la mouille du Diable. Cette mouille était en réalité un vaste complexe de prairies paratourbeuses plus ou moins gorgées d’eau et entrecoupées de fourrés de saules à oreillettes, de bourdaines, de bouleaux pubescents et même quelques bouquets de pins sylvestres chétifs. On y trouvait même çà et là des espaces de tourbières atterries au sein desquels des squelettes de linaigrettes engainantes surmontaient les touffes de callune et les touradons de molinie et de canche cespiteuse. Dans les creux et les gouilles, on pouvait encore observer les tiges de rynchospores blancs qui gardaient le souvenir quelque peu exotique de leurs voisines les droséras qui avaient passé leur été à se repaître d’insectes englués dans leurs magnifiques feuilles gluantes. Alors que le temps semblait s’être arrêté dans ce paysage quasi boréo-arctique, une chevrette grise surgit d’une touffe de genévriers. Comment pouvait-elle se cacher là ? Il n’y avait presque rien pour l’abriter. Alors que le cervidé allongeait son troisième saut, un coup de feu retentit. Et puis, plus rien. Seuls les geais de la forêt du Laré protestèrent du silence rompu.

A l’étang du Diable, on commençait à s’affairer. Chacun était à son poste : un homme dans la pêcherie, un à la pelle, deux à la table de triage et deux porteurs de bassines. Enfin, deux femmes étaient à la pesée et à la vente. Le reste de l’attroupement était composé de jifatouts [20] et de curieux.

- Vas-y, Marcel, tu peux envoyer !

- D’accord, j’envoie la sauce, Justin.

Les gardons, rotengles et perches arrivèrent en premier. Justin en ramena de pleines épuisettes qui éclatèrent sur la table de triage. Puis vinrent en vrac carpes, tanches et autres brochets. Les curieux s’épatèrent de la taille de certains poissons, dirent, comme d’habitude, d’énormes bêtises qui auraient horrifié n’importe quel ichtyologue. Le bal des bassines, baquets et autres seaux dura bien deux bonnes heures. Vers dix heures, Justin, le propriétaire de l’étang sonna le rassemblement. C’est alors que l’aligoté ou les kirs se mirent à couler pour faire glisser les généreuses portions de jambon cru à la cendre.

- Marcel, as-tu remarqué ce matin dans la sommière, il y avait les traces d’un chevreuil, et contrairement à l’habitude, c’est en sens unique.

- C’est vrai, et ce matin, alors que je prenais mon café, il me semble avoir entendu un coup de fusil là-bas dans la tourbière. Mais je n’ai rien vu. Curieux, d’autant qu’aucune chasse n’était prévue aujourd’hui.

- Le Cépiau ?

- Eh bien non, figure-toi que j’ai entendu dire qu’il était mort. Encore une victime de l’alcool !

- Ah oui ? Le Cépiau mort ? C’est incroyable ! Un vieux renard comme lui…

˜ 

 

Robert et Maurice arrivent dans le bureau d’Yves Taxus. Comme la fois précédente, ce dernier congédie ses subordonnés et leur offre, deuil oblige, un verre de Bordeaux.

- Alors Messieurs, quelles nouvelles ?

- Eh bien, fit Robert, nous avons passé la journée au village. Nous avons vu, la mère Vieillard, la bistrotière, Charles, l’ancien régisseur du comte, le facteur et le docteur Rouleau. En revanche, nous n’avons pu discuté avec le curé, il n’a pas voulu nous parler.

- Et qu’avez-vous donc appris au point de vouloir me voir dès ce soir ?

- Des tas de choses qui mériteraient de rouvrir l’enquête, déclara Maurice.

- Halte là, pas si vite, fit Yves. Quoi donc ?

- Eh bien, il y a déjà cette histoire de chapeau : on n’a pas retrouvé le cépiau du Cépiau et personne ne semble s’en être inquiété.

- Mais, fit Yves, ce n’est pas parce qu’on n’a pas retrouvé son chapeau que cela prouve quoi que ce soit. Il l’aura égaré quelque part.

- Impossible, répondirent de concert Maurice et Robert. Le Cépiau est inconcevable sans son couvre-chef.

- Bon, admettons, quoi encore ?

- Le docteur Rouleau !

- Quoi, le docteur Rouleau ?

- Eh bien, fit Maurice, je n’en voudrai pas pour soigner mon chien.

- Mais il s’agit d’un médecin.

- Certes, fit Robert, nous ne remettons pas en cause ses diplômes, mais il sucre sacrément les fraises le vieux. Et si ce n’était que ça, il est complètement gâteux.

- Et puis, ajouta Maurice, il mélange tout, a une mémoire plus que défaillante.

- Oui, mais c’est lui qui a établi le certificat de décès et nous n’y pouvons rien.

- Et il y a la disparition du paquet de taupicine chez Charles, fit Maurice.

- Autrement dit, mon cher Yves, il faudrait voir si le Cépiau n’aurait pas été empoisonné avec ?

- Là, je vous arrête, mes amis, dit Yves. La taupicine a pu disparaître depuis longtemps. Et qui sait si Charles ne perd pas la boule lui aussi ou s’il n’a pas une part de responsabilité dans ce qui vient d’arriver ?

Robert s’étrangla.

- Mais qu’est-ce qu’il est mauvais ton vin, on dirait que tu y as fait tremper une pierre à fusil pendant des années. Si tu n’étais pas mon ami, je te l’aurais jeté à la figure. Il n’y a pas idée de boire des machins pareils. Et puis, tu me prends pour un con ou quoi ? Tu ne crois pas qu’il nous arrive de réfléchir nous aussi ? Le Cépiau a été assassiné, n’importe quel débutant finirait par le reconnaître.

- Mais, Robert, calme toi. Je reste ton ami. J’essaye juste de me mettre à la place de la partie adverse. Je ne doute pas un seul instant de votre bonne foi à tous les deux, mais disons que nous marchons sur des œufs, et il va falloir trouver une faille. Quant au vin, tu sais que chez nous, nous ne jurons que par ça.

- « ça », comme tu dis, vieux frère. Toute une éducation à refaire !

- Et si nous allions faire une déposition à la gendarmerie du village, demanda Maurice ?

- Oui, c’est exactement ce que j’allais vous proposer. Mais je vais être obligé de vous accompagner, sinon je crains un peu que vous ne soyez pas entendus.

Les obsèques du Cépiau eurent lieu le lendemain matin dès huit heures. Le Cépiau n’avait aucune famille dans le coin et ses amis étaient bien peu nombreux dans la région. Il y avait donc moins de dix personnes dans l’église. Maurice avait lui-même choisi le plumier dans lequel reposerait le défunt : du chêne morvandiau de belle venue, avec de belles moulures comme le Cépiau aurait aimé. Ni Maurice ni Robert n’avaient voulu voir le mort avant qu’on ne referme le chapeau. La cérémonie fut des plus classiques, sans aucune forme de personnalisation. Une fois que le cercueil fut emporté au cimetière par les croque-morts, le maire-comte et le curé s’éclipsèrent en direction du château.

˜ 

 

Si les fibres de bois de la grande table pouvaient parler, elles pourraient expliquer ce qu’elles avaient entendu, vu, ressenti… Deux coupes de Champagne venaient de heurter le plateau de chêne dans un éclat de rire diabolique.

L’adjudant avait été prévenu le matin même. Maurice, Robert et Yves arrivèrent à la caserne à 9 heures.

- Messieurs, je vous prie de vous asseoir, nous allons procéder à la vérification de vos identités.

Les trois hommes s’exécutèrent. Près d’une demi-heure plus tard, l’adjudant-chef Roger entra dans le hall.

- Alors, Messieurs, que puis-je pour vous. Vous souhaitez faire une déposition au sujet du décès du Cépiau ? Et pour cela, vous aviez besoin du concours de la police. C’était complètement inutile. D’ailleurs, la police n’a pas compétence dans ce canton. Je suis seul habilité à vous auditionner.

- Nous le savons, répondit Yves, je ne suis là qu’à titre privé, en tant qu’ami de ces Messieurs. Et nous souhaiterions, au moins dans un premier temps, être auditionnés de façon conjointe.

- Qu’à cela ne tienne, exceptionnellement, j’accepte cette requête peu orthodoxe. De toute façon l’enquête sur le décès du Cépiau est définitivement close. Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer dans mon bureau.

Maurice et Robert commencèrent alors le récit des faits troublants qu’ils avaient pu recueillir au sujet des circonstances de la mort du Cépiau. Le récit terminé, l’adjudant-chef éclata de rire.

- Eh bien, commissaire Taxus, c’est pour ça que vous m’avez fait déranger ? Tout cela ne tient pas la route. Et vous, votre histoire de chapeau perdu, que voulez-vous que ça me fasse ? Bien sûr que nous l’avions remarqué : il l’aura laissé quelque part ou l’aura perdu en route, tout simplement.

- Non cria Maurice. Le Cépiau n’aurait jamais abandonné son chapeau quelque part et l’aurait encore moins perdu.

- D’ailleurs, s’écria Robert, la disparition du chapeau est bien la seule chose que vous ayez remarquée. Sauf à vous déplaire, mon Adjudant, beaucoup de choses vous ont échappé. Avez-vous interrogé le docteur Rouleau ?

- Bien sûr que nous avons interrogé le docteur. C’est même lui qui a fait le constat de décès : mort naturelle par ingestion irraisonnée d’alcool.

- Si on vous croit, fit Robert, s’il n’était pas mort, vous auriez volontiers verbalisé le Cépiau pour ivresse publique.

- Tout à fait.

- Alors, fit Maurice, vous n’avez pas discuté personnellement avec le docteur Rouleau. Pourquoi croyez-vous que le gens du village ne le consulte plus ? Pourquoi croyez-vous que tout le monde s’en va à R pour voir le médecin ?

- Je ne sais pas, moi, ce n’est pas mon problème si les gens préfèrent tel ou tel médecin.

- Eh bien nous, nous savons pourquoi : votre médecin est gâteux et ne sait plus où il en est la moitié du temps.

- Mais vous n’aviez pas à interroger le docteur Rouleau.

- Faux, mon Adjudant, coupa Yves. Selon vos dires, l’enquête est close et par conséquent, chacun est libre d’aller discuter avec qui bon lui semble.

- De toute façon, rien ne vous autorise à remettre la parole du docteur en doute.

- Alors, demanda Robert, vous n’allez pas demander une étude toxicologique sanguine ?

- Non, je n’en vois pas l’utilité. Ce ne sont pas vos élucubrations qui vont changer quelque chose et permettre la réouverture de l’enquête. D’ailleurs le maire m’a dit que…

- Le maire vous a dit ?

- Rien, cela ne vous regarde pas.

- Fort bien, fit Yves à ses deux compères, il est clair que nous n’obtiendrons rien par ici.

- Parfaitement, commissaire Taxus, vous m’avez déjà suffisamment perdre mon temps et je ne vous retiens pas.

- Minute, mon Adjudant-chef, vous allez quand même enregistrer les dépositions de ces Messieurs.

- Mais…

- Il n’y a pas de mais, la loi l’exige.

- Certes, certes, le Brigadier Gondronel va s’en occuper. Au revoir Messieurs.

Il fallut bien le reste de la matinée pour taper, doigt à doigt les dépositions. A midi, les trois hommes se retrouvèrent pour l’apéritif chez la mère Vieillard.

- Eh bien chers amis, fit Yves, on n’est pas frais pour aller aux devants de l’empereur. L’Adjudant est un sacré con. De plus, il protège son pré carré. Néanmoins, je pense qu’il va bouger.

- Ça n’est pas gagné dit Robert. Mais si on allait taper son patron, le capitaine Mangemoisec à A. ? Il me semble que dans le temps, le Cépiau était vaguement copain avec lui.

- Eh bien c’est vrai, s’écria Maurice, pourquoi n’y avons pas songé plus tôt.

- Tout simplement parce qu’on pouvait encore croire à un minimum d’intelligence de l’Adjudant, fit Yves. Mais de toute manière, ça va bouger. Vos dépositions ne vont pas totalement rester lettre morte. Vous devriez prévenir Charles : je parie qu’ils vont l’arrêter pour cette histoire de taupicine.

- Très bien, fit Maurice, nous irons le voir après manger. Il ne faudrait pas qu’il s’inquiète.

- Autrement, il y a quelque chose qui m’inquiète, fit Yves. Pourquoi diable a-t-il évoqué le maire ?

- Il a parlé du maire, répondit Robert en finissant son verre d’aligoté, avant de se raviser et de s’apercevoir qu’il en avait déjà trop dit. Tu as raison, Yves, c’est louche cette histoire.

- Il aura reçu des consignes du maire fit Maurice. Tu penses bien qu’ils sont cul et chemise ceux deux là.

A la fin du repas, Maurice fit part à voix basse d’une idée.

- Après avoir vu Charles, nous rentrerons à A. Vous, vous irez voir le capitaine Mangemoisec et moi, vous me laisserez en route dans le virage du Bois de la Coiffe. Je reviendrai discrètement au village à la tombée de la nuit pour ne pas me faire repérer. J’ai bien envie de rendre visite au curé.

- Le curé ? Mais il ne voudra jamais te recevoir fit Robert.

- Mais qui a dit que je me ferai annoncer. Je veux juste essayer d’en savoir plus.

- Méfie-toi, Maurice, il ne faut pas que tu te rendes coupable d’une quelconque infraction.

- Ne t’inquiète pas, Yves, c’est le Cépiau et moi qui avons réalisé les portes de l’église et de la cure. Je saurai les ouvrir sans que personne ne s’en aperçoive.

- Très bien fit Robert, je te fais confiance, je sais que le Cépiau et toi aviez plus d’un tour dans votre sac.

Il longea la rivière, se faufila entre les bouquets de vernes, puis à la hauteur du pont des Chaumes froides, il obliqua en direction de la station de pompage d’eau potable. Si le Cépiau avait été là, il n’aurait même pas pu le distinguer parmi les silhouettes des balais [21]. Cette fois, en effet, la nuit était belle et bien tombée, mais la lune bientôt pleine, guidait largement les pas des braconniers et des brigands.

Alors qu’il allait gagner le cimetière par le bas de la grande pâture, Maurice trébucha en débuchant de la bouchure. Il n’eut pas le temps de grommeler d’une telle maladresse qu’un morceau de bois vint se plaquer violemment contre sa gorge. Maurice crut sa fin proche, se débattit, fit mine de hurler, mais la pression sur sa gorge se fit plus forte encore, étouffant définitivement tout essai de râle parmi les genêts.

˜ 

 

Puis, soudain, la pression sur la gorge se détendit.

- Maurice. Bon dieu, Maurice !

Maurice fut pris par une insupportable quinte de toux, alors qu’il avait peine à reprendre haleine.

- Maurice, mais Maurice, qu’est-ce que tu fais là ?

Maurice était totalement plongé dans l’obscurité, dans le brouillard total, mais il crut bien reconnaître cette voix.

- Maurice, je suis désolé, mais comment pouvais-je deviner ?

Cette voix, assurément venait d’outre-tombe. Maurice était certainement mort.

- Maurice, Maurice, tu me reconnais ?

Comment cela pouvait-il être possible ? Comment un mort pouvait-il lui adresser la parole, s’il n’était pas lui-même décédé ? Seulement, voilà, Maurice reprenait lentement ses esprits.

- Maurice, Maurice, c’est moi.

- Moi, moi, mais qui êtes-vous ?

- Eh bien, c’est moi, c’est le Cépiau !

- Comment ça, le Cépiau ? Le Cépiau est mort !

- Tout le monde pense que le Cépiau est mort, mais je suis bien là, sain de corps et d’esprit.

Maurice sortit une lampe torche de sa poche et éclaira le visage de son interlocuteur.

- Bon dieu, c’est bien toi, Cépiau.

- Oui, c’est bien moi. Tu me reconnais cette fois.

- Mais comment cela se peut-il ? Tu étais mort, et même enterré à deux pas d’ici.

- Eh oui, tout le monde pense que je suis mort, y compris mon assassin.

- Ton assassin ? Mais tu es mort ou vivant ?

- Enfin pas mon assassin, mais…

- Mais quoi ? Tu crois que ça me fait rire ?

- Non non, l’assassin de mon frère !

- C’est pas dieu possible ? Ton frère ?

- Oui, mon frère, Pierre !

- Mais il ne vit pas en Normandie ?

- Ben oui, mais à l’occasion de ses cinquante ans, il était venu me voir. Depuis toutes ces années…

- Mais je n’y comprends rien. C’est bien toi qu’on a trouvé mort.

- Eh bien non, sinon, je ne serai pas là à te faire la causette.

- Mais alors…

- Mon frère me ressemblait beaucoup et il n’a qu’un an de moins que moi.

- Voilà qui explique sans doute le chapeau.

- Le chapeau ?

- Oui, il ne portait pas de chapeau ?

- Ben non, ou alors occasionnellement.

- Attends, attends, il faut que je comprenne.

- Pierre était arrivé le mardi soir à l’atelier. Après les retrouvailles, j’étais allé déposer sa voiture au garage Magnard pour la révision. Pendant ce temps là, il a voulu rentrer aux Ravatins à vélo pour se dégourdir les jambes. Et moi, je suis rentré à pied en coupant à travers la garenne. Il n’était pas encore arrivé aux Ravatins, mais je ne me suis pas inquiété, pensant qu’il aurait trouvé une vieille connaissance en route.

- Il connaissait du monde ici ?

- Eh bien, pas grand monde, mais les Crintilleux ou les Vaugris, ce sont des gens sympa. Je pensais qu’ils auraient pu prendre l’apéritif ensemble. Du reste, depuis le temps, ce sont peut-être les seuls à connaître Pierre.

- Et alors ?

- Alors vers vingt heures, j’ai commencé à m’inquiéter, d’autant que la marande était plus que prête.

- Et ?

- Et j’ai pris la camionnette et je suis passé chez les Crintilleux et les Vaugris. Mais rien, ils ne l’avaient pas vu. Du coup, je rentré aux Ravatins, pensant le retrouver là-bas, mais rien. Et je l’ai attendu toute la nuit.

- Et le lendemain ?

- Le lendemain, je suis quand même passé relever quelques collets. Et en arrivant près de l’atelier, j’ai vu les voitures de la gendarmerie. Je suis resté caché dans le bosquet. Au départ, je n’ai rien compris. Ce n’est que petit à petit que j’ai compris ce qui se passait. Et le temps de rentrer furtivement aux Ravatins, de me ravitailler avec ce que je pouvais dont ce fusil, je n’ai cessé de me cacher dans les bois pour essayer d’éclaircir cette histoire.

- Ah c’est avec la crosse de ce fusil que tu as manqué m’étrangler ?

- Eh bien oui, que veux-tu, je suis désolé, je ne pouvais pas savoir.

- Oui, et tu n’es pas rasé. Mais qu’est-ce que je suis content de te retrouver. Ah si Robert savait ça !

- Ah oui, je vous ai vu au village à plusieurs reprises. Que faisiez-vous au juste ?

- Eh bien, nous menions l’enquête, car nous n’avons jamais cru à « ta » mort naturelle.

- Et qu’est-ce qui vous a mis sur la piste ?

- Eh bien le chapeau dont je t’ai déjà parlé, le fait qu’on a conclu à une mort liée aux conséquences d’un coma éthylique. Et puis la disparition de la boite de taupicine chez Charles.

- Évidemment, on aura voulu le mouiller lui si l’histoire de la mort accidentelle n’avait pas pris. Et figure toi que cela n’a pas traîné, il a été embarqué par les gendarmes en fin d’après-midi.

- Mais comment fais-tu pour être aussi bien au courant de ce qui se passe au village.

- Tu sais bien, Maurice, un œil, une oreille derrière chaque arbre…

- Ouais…

- Et toi, que fais-tu ici à une heure pareille ?

- Eh bien j’avais dans l’idée d’aller fouiner chez le curé. Il ne me paraît pas net celui-là.

- A qui le dis-tu ? J’étais là pour la même raison, quand j’ai entendu les jacques [22] près de la rivière qui m’ont alerté.

- Rien ne t’échappe toi.

- Et voilà comment je t’ai tendu un piège avant de te tomber dessus.

- Bon et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

- Eh bien, on était parti rendre visite à notre curé, non ?

˜ 

 

Comme convenu la veille, Robert attendait, avant même la pique du jour, dans une sommière du bois de la Coiffe. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit monter, non pas un, mais deux hommes dans la voiture.

- Mais, qui…

- Salut Robert !

Robert n’en croyait pas ses yeux. Était monté à l’avant de la voiture une forme de réincarnation de son ami, mais hirsute au possible et accoutré comme un peyant [23]. Robert en resta coi.

- Robert, y’o bien moué, le Cépiau.

- Mais d’où c’est donc que tu sors ? Tu es mort !

- Eh bien oui, Maurice en a pété à la renverse [24] lui aussi.

- C’est bien le moins que l’on puisse dire, s’exclama Maurice, il a failli m’étrangler pour de bon !

- Mais vous allez m’expliquer, s’énerva Robert.

- Ne t’inquiète pas Robert, dit Maurice. On va tout t’expliquer. Mais ne reste pas là, Robert, il ne faudrait pas qu’on nous repère. On fêtera nos retrouvailles plus tard.

Sur ce, la voiture s’élança pour regagner A.

Après un bon bain et après avoir revêtu des habits propres que Maurice lui avait apporté (Robert était trop grand), le Cépiau descendit dans le séjour de la maison de Robert où Yves attendait aussi.

- Eh bien, Messieurs, dit Robert d’un ton solennel, pour fêter la renaissance du Cépiau, nous allons boire cette petite bouteille de Chambertin-Charme 1947 !

- Un moment, Messieurs, coupa le Cépiau, je n’ai jamais été mort. Je boirai volontiers un verre de sommet de l’art vigneron, mais n’oublions pas que dans cette affaire, mon frère Pierre, lui a bel et bien été assassiné.

- Bien sûr dit Robert, et c’est la raison pour laquelle Yves nous a rejoint. Je crois que tu ne le connais pas, Cépiau.

- Non, pas que je sache. Et qui êtes-vous ?

- Je suis un ami de Robert et accessoirement, commissaire de police de cette bonne et vieille ville.

Tout le monde se salua et on trinqua en se jurant de mettre l’assassin sous les verrous dans les plus brefs délais.

- Bon, et maintenant fit Robert, dîtes-nous ce que vous avez vu ou entendu chez le curé ?

- Eh bien, dit Maurice, nous sommes passés par la remise sur le côté de la cure. Et devinez ce que nous avons trouvé là-bas dedans ?

- Je n’en sais rien, dit Robert.

- De la taupicine, essaya Yves.

- Ah, je vois que Monsieur a de l’idée fit le Cépiau. Non, on a trouvé un manuel de toxicologie appliquée.

- Je vois, dit Yves, et la taupicine, il a dû s’en débarrasser. Je suis à présent persuadé que c’est lui le meurtrier de votre frère.

- C’est vrai, répondit le Cépiau, que ce pauvre type ne m’a jamais été sympathique, mais de là à en faire le meurtrier…

- Mais c’est peut-être que vous n’êtes pas au courant. Si je me souviens bien, la mère Vieillard a dit à Robert et Maurice que le soir où votre frère Pierre est arrivé, vous a vu en compagnie du curé, ce qui n’avait pas été sans étonné la mère Vieillard, tant la chose lui avait paru curieuse.

- Et moi, dit Maurice, je crois avoir dit à la mère Vieillard : « on ne croirait pas le même homme » en parlant de toi, Cépiau.

- Évidemment Maurice, je ne l’ai pas vu ce soir là, je ne lui jamais adressé la parole que devant témoin et en général, ce n’est pas des compliments.

- Mais alors, dit Yves, comment a-t-il pu attirer votre frère chez lui, pensant que c’était vous ?

- Je n’en ai aucune idée répondit le Cépiau, mais il avait du mettre le paquet pour attirer mon intention ou me séduire. Et Pierre, lui n’aura pas fait attention. Peut-être voulait-il me proposer un marché ? N’avait-il pas les boiseries du chœur à remettre en état ? Je n’en sais rien.

- Mais il va bien falloir trouver un moyen de le faire parler dit Yves.

- Les faire parler, parce qu’à tous le coups, le comte est mêlé à cette histoire. Tout s’éclaire maintenant. Je les ai vu tous les deux à plusieurs reprises, pas l’air tranquilles. Je les ai aperçu bien souvent ensemble ces derniers temps, mais les rendez-vous ne duraient jamais bien longtemps.

- Le maire pourrait être dans le coup, demanda Robert. Ce grand escogriffe ?

- Escogriffe peut-être, mais pas si con lorsqu’il s’agit de faire valoir sa gloriole et surtout ses intérêts, répondit le Cépiau.

- Oui, je sais, je l’ai vu manœuvrer dans les ventes de bois. Car c’est lui qui dirige le syndicat des propriétaires forestiers et il n’est pas tendre en affaire.

- Et puis comment crois-tu qu’il est devenu maire ? Certes, avec son copain le curé, il s’est mis dans la poche toutes les grenouilles de bénitier du pays, les bien pensants, les gens qui disent amen à tout. Crois moi, ils sont nombreux ces gens là et à eux deux, ils ont su embobiner tout le monde.

- Bon très bien, dit Yves, j’ai une idée. Robert va demander une audience au maire, prétextant un projet de coupe de bois sur la forêt communale. Maurice, lui se débrouillera pour amener le curé à la mairie. Et moi, je rameuterais les gendarmes d’A. pour cueillir les coupables. Et vous Cépiau, vous resterez planqué dans la roseraie près de la mairie jusqu’à ce qu’on vous fasse signe.

Sur ces bonnes paroles, ils trinquèrent de nouveau.

- C’est vrai qu’il est pas mauvais ton petiot vin rouge fit Yves à Robert en clignant de l’œil.

Après avoir mis au point dans les moindres détails leur plan d’attaque, les quatre hommes se quittèrent en fin d’après-midi.

˜ 

 

Quelques mois plus tard, le curé fut reconnu coupable de l’assassinat de Pierre, frère du Cépiau. Il fut condamné à la peine maximale. Le maire-comte du village fut condamné à 25 ans de prison pour complicité dans l’assassinat. L’adjudant de gendarmerie fut révoqué pour incompétence et le docteur Rouleau, mis à la retraite d’office avec interdiction d’exercer.

L’évêque qui voulait faire un exemple nomma un prêtre-ouvrier, Alphonse comme curé de la paroisse. L’évêque reçut des centaines de lettres de protestation mais n’en tint aucun compte. Le curé devint bientôt l’ami du Cépiau. Les bigotes et les bien pensants du village ne tardèrent pas à être victimes d’une épidémie de crises d’apoplexie, ce qui fit la fortune du nouveau médecin.

Maurice et le Cépiau s’associèrent définitivement. Le château du comte fut mis en vente et la mairie le racheta un bon prix. Le sous-préfet confia la gestion du domaine à Charles.

Le commissaire Yves Taxus et Robert furent nommés à un grade supérieur dans leurs administrations respectives.

Tous les vendredis soir Yves, Charles, Maurice, Robert, Alphonse et le Cépiau se réunissaient aux Ravatins pour rendre hommage à la vie et à l’amitié. Au menu, les « productions locales » et de « l’eau végétale » de Bourgogne !

 

AMEN.

Notes :

1.        Chêne, le plus souvent, dans cette situation, Quercus robur L. (Chêne pédonculé).

2.        Synonyme de bouchure, haie.

3.        Imbécile, niais, idiot du village…

4.        En fête, tournée joyeuse et arrosée.

5.        Côte bourguignonne, en particulier les Côte de Nuits, Côte de Beaune, Côte chalonnaise…

6.        Fraxinus excelsior L. (Frêne commun).

7.        Quercus robur L. (Chêne pédonculé).

8.        Alnus glutinosa (L.) Gaertn. (Aulne glutineux).

9.        Salmo trutta Linnaeus ,1758 (Truite commune), souvent dénommée Truite fario, il s’avère que les truites de rivière (fario), de mer ou de lac, appartiennent à la même espèce et ont le même patrimoine génétique. Les différences morphologiques ne correspondent qu’à des formes liées à leur habitat, à leur lieu de vie, à leur caractère migratoire optionnel.

10.     Larve d’insecte de l’ordre des Trichoptères (phryganes), dont la plupart portent un fourreau plus ou moins cylindrique à conique, fait de débris organiques ou minéraux dans lequel ils s’abritent. On les appelle aussi porte-bois ou porte-faix.

11.     Alopecurus pratensis L. (Vulpin des prés).

12.     Fagus sylvatica L. (Hêtre).

13.     Geum rivale L. (Benoîte des ruisseaux).

14.     Athyrium filix-femina (L.) Roth (Fougère femelle).

15.     Potron-minet, très tôt le matin, avant la pointe du jour.

16.     Cuisiner, manger.

17.     Pommes de terre (Solanum tuberosum L.).

18.     Myrtilles (Vaccinium myrtillus L.).

19.     Couché, tombé.

20.     Homme toujours prompt à donner des conseils, à parler beaucoup et à ne pas faire grand chose, ou alors, quand il fait, à faire systématiquement des choses ni faites ni à faire.

21.     Cytisus scoparius (L.) Link (Genêt à balais).

22.     Geai des chênes [Garrulus glandarius (Linnaeus 1758)].

23.     Vagabond, chemineau, gueux.

24.     Être stupéfait, frappé d’épouvante.

3 février 2011

Dure journée, avec plus de peur que de mal

J’avais bien quelques idées de notes, pour la plupart dérisoires, comme le plus souvent. Mais ce soir, je souhaite raconter ce qui m’est arrivé aujourd’hui.

Ce matin, je me réveille vers 4h15 et je ne puis me rendormir, alors à 4h55, je décide de me lever. Je descends dans la cuisine, prépare la cafetière prête à être lancée au moment le plus opportun, prépare la table du petit déjeuner. J’allume mon ordinateur et je décide de faire une autre tentative pour lire la vidéo qu’ont réalisé des collègues d’Amiens (la veille, je n’y étais pas parvenu malgré plusieurs essais). Je fais le tour des blogs, je rêvasse un peu, je lance le café et le lait au ralenti. Quand Fromfrom se lève, je suis en train de visionner la fameuse vidéo que j’ai enfin pu ouvrir : un collègue est en train de chanter sa propre parodie des Lacs du Connemara. Donc tout va bien, on rigole bien de voir cette bande d’affreux loustics. Je dois aller en réunion à Lille avec un collègue et nous nous sommes donnés rendez-vous au boulot à 8h30. Comme j’ai un courriel à envoyer avant de partir en réunion, je pars un peu avant 8 heures de la maison. Il fait beau. Mince, me dis-je, j’aurais dû prendre mon appareil photo pour le lever de soleil. Mince, me dis-je encore, j’ai encore oublié de prendre mon téléphone portable resté dans mon autre veste. Vers 8h10, sur la grande route, je vois ralentir puis freiner devant. Pas de problème, je ralentis, je freine en souplesse, c’est sûrement un engin agricole ou quelqu’un qui veut tourner à gauche. A ce moment-là, j’entends derrière moi un freinage d’urgence et je vois fondre sur moi un camion blanc. Trop tard, il me percute de plein fouet par l’arrière. Les véhicules devant moi n’ont pas vraiment eu le temps de redémarrer complètement, mais je ne les collais pas. En tout cas, avec ma voiture incontrôlable, me voilà propulsé sur la droite, sur la berme, je dégomme au passage une balise en plastique blanc et noir (je n’ai vu ça qu’après), puis je continue ma course dans le fossé (genre fossé antichar dans le coin où l’on peut facilement mettre une voiture complète). Et ce n’est pas fini, la voiture poursuit son chemin dans le sens du fossé et vient percuter le mur en béton soutenant la route perpendiculaire et le tuyau d’évacuation qui passe dessous. Je suis sous le choc. Toute l’action n’a sans doute pas duré beaucoup plus qu’une seconde ou deux. Je suis dans le vague. Je finis par entendre un bruit strident, c’est le moteur qui hurle et je me rends compte que mon pied droit a enfoncé la pédale d’accélérateur à fond. Je retire enfin le pied. Je suis vivant, il ne m’est rien arrivé de grave visiblement et il semblerait que je n’aie mal nulle part. Mais je reste dans la même position, ne semblant pas réaliser ce qui m’arrive. Très vite un homme se porte à mon secours, a du mal à me voir (et moi aussi). Je suis complètement figé, je n’ai pas l’idée de bouger de la voiture. L’homme réussit à ouvrir ma portière et quand il m’invite à descendre, je réalise seulement à cet instant que la voiture se trouve presque à 90 ° couchée sur le flanc. Je réussis à débloquer ma ceinture, à couper enfin le contact et à m’extraire avec l’aide de l’homme. J’apprends assez vite que cet homme est pompier volontaire à Saint-Omer et passait par là avec un véhicule utilitaire (c’était le premier véhicule derrière le camion qui a joué au billard avec ma voiture). Je ne me sens pas terriblement bien dans mon assiette, on me dit que je suis blanc. J’arrive à marcher, je n’ai qu’une douleur, largement supportable, en dessous du genou droit. La gendarmerie arrive très rapidement. Elle a été appelée concomitamment par mon secouriste et un voisin riverain. On me demande de m’asseoir. Je n’ai pas envie, on insiste à plusieurs reprises (on est persuadé que je vais m’évanouir). Je finis par me relever. Entre temps, parmi les gens qui se sont attroupés, je comprends qui était le chauffeur du camion, un homme d’une trentaine d’années, un peu affolé, disant que tout est de sa faute, qu’il était dans la lune… Les pompiers arrivent vite. On ne me laisse pas le choix, on me fait monter dans l’ambulance. On m’examine rapidement. On est inquiet, moi non. On me pose des questions idiotes comme mon nom, le jour de la semaine, où j’habite et ma date de naissance (là, j’hésite presque). La gendarmerie relève ma carte d’identité et me permet d’appeler mon travail. Et puis on m’embarque aux urgences de l’hôpital d’H. Et là, rebelotte, nouveaux examens. On conclut finalement qu’il n’est pas nécessaire de faire une radiographie de ma jambe. On m’appelle une ambulance pour me ramener à la maison. Une fois à domicile, je peux enfin appeler Fromfrom, mais elle aussi a oublié son téléphone portable. Je contacte l’école afin qu’on la prévienne que tout va bien (il n’est pas encore 10h30). Mais bien sûr, elle est affolée quand elle me rappelle.

Cet après-midi, après avoir déposé Fromfrom à l’école, je suis allé, avec notre autre voiture, au garage où a été emmenée la voiture accidentée pour récupérer les affaires restées à l’intérieur. Je n’étais pas très fier de conduire, mais cela s’est bien passé. D’après le garagiste, la voiture n’est absolument pas réparable, même en rêve.

Ce soir, le chauffeur du camion, tout penaud, est venu à la maison avec son père (patron d’une petite société de transports), pour rédiger le constat amiable. Je ne suis pas en colère contre lui, car malheureusement chacun peut avoir une seconde d’inattention. Et puis j’ai eu beaucoup de chance en définitive car je n’ai rien d’autre qu’une contusion sans gravité qui va sans doute virer au bleu. Seul hic dans l’histoire, notre voiture de presque neuf ans était en très bon état et nous n’avions pas programmé son remplacement. Avec la misère que l’assurance va nous donner, on va devoir faire une croix sur le remplacement de nos escaliers, et ça, c’est agaçant.

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