Voici un sujet que je voulais évoquer depuis plusieurs semaines. Ce n’est pas facile d’en parler, mais voici quand même quelques pistes de réflexion, sans prétention.
Pour moi, ce qui allait se passer après le bac était un grand inconnu. Je n’avais aucune véritable référence d’amis ou de parents pour m’expliquer ce qu’était la vie estudiantine. Et de toute façon, je n’avais qu’un objectif : bien travailler et réussir.
J’en avais vaguement entendu parler avant, mais je n’en ai pris réellement conscience qu’après : la fac classique, à l’époque le DEUG (Diplôme d’études universitaires général), éventuellement suivi d’une licence et d’une maîtrise, n’offrait pas un cadre de travail qui me conviendrait. En effet, à l’époque, me projeter avec un bac + 2 me paraissait déjà largement suffisant et le DEUG (dans le domaine des sciences naturelles) n’offrait pas suffisamment de perspectives « professionnalisantes », ni un encadrement suffisant des étudiants. Je n’avais pas encore conscience combien la vie étudiante pouvait générer pour certains une forme d’insouciance et de fête perpétuelle. Je corrige aussitôt en disant que cela générait pour d’autres des galères : travailler pour pouvoir étudier. L’exemple archétypique pour ce dernier cas étant celui de Fromfrom. Et bien sûr, il y avait des cas intermédiaires. Certains réussissaient l’exploit de réussir tout en faisant la fête. Mais tout ceci m’était largement inconnu à l’époque puisque je n’avais pas encore débarqué depuis ma « campagne ».
Par intérêt pour les disciplines enseignées (surtout celles de seconde année), j’avais choisi de candidater à l’IUT (Institut universitaire de technologie) de Tours (il n’y avait à l’époque que trois IUT en France qui proposaient l’option que je convoitais, avec Brest et Perpignan – mais je n’avais choisi que Tours), deux BTSA (Brevet de technicien supérieur agricole) en pisciculture (en Haute-Savoie) et en gestion et protection de la nature (en Corrèze), et par défaut, un DUT de chimie, un DUT de génie chimique (à Lyon) et un DEUG de sciences naturelles à Saint-Etienne. En dehors du DEUG, toutes ces filières étaient sélectives, soit sur dossier, soit sur dossier et entretien (BTSA). Ma candidature n’avait pas été retenue pour un des deux DUT de Lyon et ironie de l’histoire, pour le BTSA en gestion et protection de la nature. À l’entretien, j’avais en effet montré une bien plus grande motivation pour la pisciculture. Mais j’avais finalement choisi l’IUT de Tours parce que la formation était plus généraliste, plus théorique, offrait plus de perspectives de débouchés différents et de poursuites d’études. En effet, je n’avais pas l’intention de devenir un « simple » pisciculteur, même si à l’époque l’idée ne m’aurait pas déplu. Je ne regrette pas d’avoir choisi une formation bien plus généraliste et qui m’a montré plein de choses auxquelles j’aurais eu difficilement accès en BTSA pisciculture. D’autant qu’au final, je ne suis pas devenu ichtyologue ou hydrobiologiste, mais je crois pouvoir affirmer que ces métiers me tendaient tout aussi bien les bras. Mais il fallait bien choisir…
Un long préambule pour rappeler mon cas personnel et il est vrai assez ancien, à mettre en parallèle avec le système d’orientation actuel post-bac dont on parle tant. Je pense réellement que la situation est extrêmement complexe, bien plus que ce que le gouvernement d’un côté et les organisations d’étudiants de l’autre prétendent. L’objectif d’arriver à 80 % d’une classe d’âge ayant le bac, louable sur le papier, a été atteint il y a déjà pas mal d’années, mais cet objectif ne s’est-il pas fait au détriment d’autres choses ?
Même si les investissements, les frais de fonctionnement se sont beaucoup accrus dans les universités françaises ces dernières décennies, est-ce que cela n’a pas conduit cependant à une baisse significative des moyens alloués en moyenne à chaque étudiant ? J’imagine que la réponse n’est pas homogène en fonction des lieux et des filières, mais la question se pose cruellement. A-t-on encore les moyens de financer davantage ? Ma réponse est affirmative par principe car l’enseignement, la formation devraient être des priorités absolues. Mais devons-nous le faire cependant ? Ou doit-on réfléchir à d’autres choses ? Et faire différemment ?
Est-ce qu’avant même d’en être arrivés à ce manque de place chronique pour les bacheliers dans les universités, il n’y avait pas déjà un cruel problème ? L’absence de sélection engrangeait tous les étudiants en première année, mais force est de constater qu’il y avait énormément d’échecs pour le passage en deuxième année, au moins dans certaines filières, sans même parler des études de médecine.
En finirons-nous un jour avec l’opposition entre les métiers « intellos » et « manuels » ? Bien sûr, il existe de notables exceptions, mais dans l’idée de la population générale, « si tu n’es pas capable de réussir à l’école, tu feras un métier manuel », ce dernier étant dévalorisé socialement et financièrement. Et de fait, bien peu de jeunes prennent cette voie par réel choix. Si l’on regarde le niveau des exigences attendues, les métiers manuels n’ont cessé d’être dépréciés décennies après décennies. J’ai pu m’en rendre compte, par exemple, dans le cas du CAP de tourneur sur métaux (métier principal de mon père) dans lequel, par exemple, le niveau en trigonométrie était devenu anecdotique, alors qu’au milieu du XXe s., il était l’alpha et l’oméga du tourneur. Et bien sûr, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Alors, le niveau baisse ma pauvre Madame Michu ? Sur certaines disciplines, sur certains diplômes, cela me paraît indiscutable. On a fait baisser le niveau pour augmenter artificiellement le nombre de diplômés. Il y a quelques décennies, le CAP ou le BEP dans l’industrie représentaient des diplômes suffisants pour commencer dans le métier comme ouvrier qualifié et bien s’en sortir, alors qu’à présent, avec de tels diplômes, on se retrouve manœuvre de base, quand l’entreprise veut bien vous embaucher. Car à présent, l’entreprise pour ces mêmes métiers recrute des bacs techniques ou des BTS. Mais le niveau a-t-il baissé globalement ? Je n’en suis pas du tout sûr. Il y a eu une certaine forme de « translation » du niveau des diplômes, mais le pourcentage de personnes non formées ou formées de manière incorrecte ou inadaptée n’a pas forcément évolué de manière négative. Et puis l’instrument de mesure ne peut pas être le même aujourd’hui qu’il y a quelques décennies alors que les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’existaient pas, et tous les accès aux savoirs et à la culture qu’elles permettent (même si cela ne suffit pas). Certes, la culture dite « classique » a pris un peu de plomb dans l’aile. Moi qui ne suis pas particulièrement cultivé en ce sens, je m’en rends compte avec nombre de collègues, plus jeunes ou moins jeunes, ce qui me laisse un peu parfois interdit. Mais il existe aussi tellement d’autres cultures, d’autres formes de compétences que l’on n’aurait même pas imaginé auparavant. Alors finalement, je ne sais pas, mais je constate que cela change, ma pauvre Madame Michu !
Bon, et alors ? Comme le réclame le MEDEF (entre autres), il faut développer l’apprentissage ! Il faut adapter les formations aux entreprises ! Oui, sûrement !?! Certains disent que non, parce que cela réduirait de manière drastique la culture générale, la capacité à pouvoir s’élever intellectuellement et pas uniquement pour exercer une activité professionnelle, mais pour mieux vivre tout simplement. Personnellement, je n’ai pas de vision dogmatique sur le sujet. Tout cela est à voir finement, intelligemment de manière apaisée. J’espère que cette intelligence pourra encore être à l’œuvre demain, loin des contingences de profit ou de rentabilité à courte vue.
Pour en revenir au système de sélection (qui n’ose pas dire pas son nom, notamment parce qu’il y a eu le précédent et l’échec de la réforme Devaquet en 1986) à l’entrée à l’université, je pense que l’on ne peut pas traiter le sujet si l’on n’a pas une approche globale qui interroge la société dans sa totalité. Et je suis plus que dubitatif vis-à-vis de l’approche gouvernementale sur le sujet. Il n’en demeure pas moins que dans l’absolu et loin des dogmes ou autres appréciations politiques, qu’il serait louable d’orienter intelligemment les étudiants, de limiter certaines filières, d’en accroître d’autres. Ne pas céder aux sirènes uniquement utilitaristes des petits soldats pour les entreprises, mais ne pas non plus trop écouter tous ces étudiants qui veulent s’orienter dans les filières « sports-études » par exemple et qui génèrent beaucoup d’échecs et bien peu de débouchés. Et en même temps, il faut innover vers de nouvelles formations, faire des paris pour l’avenir. J’ai moi-même été dans la deuxième promotion d’une nouvelle formation (bac + 4 puis bac + 5) qui dénotait complètement dans le paysage universitaire et à l’époque, personne n’aurait parié sur cette formation initiée par un professeur (celui qui deviendrait mon directeur de thèse) un peu marginal, mais qui y croyait. Un pionnier qui avait raison avant tout le monde. Une formation qui a désormais pignon sur rue, puisque depuis quelques années, c’est un diplôme d’ingénieur intégré à l’école polytechnique.
Alors quoi ? Je ne voudrais pas être à la place des lycéens et des étudiants. Ils n’ont pas forcément raison et le gouvernement n’a pas forcément tort, mais ce dernier détient le pouvoir et la force. Ma sympathie va donc clairement et définitivement aux étudiants, d’autant qu’ils sont les seuls à prendre de vrais risques et à « jouer » leur avenir.