Une forme de note anniversaire car aujourd’hui, cela fait exactement vingt ans, un mois et deux jours que j’ai soutenu ma thèse (je n’avais pas la tête à rédiger cela le mois dernier). Le mois de mai est une période où l’on ne soutient généralement pas de thèse (cela se fait plutôt entre septembre et décembre), mais ce n’est qu’une étrangeté parmi beaucoup d’autres…
Comme j’ai eu sans doute plusieurs fois l’occasion de le dire ici, je voudrais rappeler qu’avant le bac, je n’avais jamais imaginé faire de longues études. Lors de mes années au lycée, je me souviens très bien d’un rendez-vous, en compagnie de ma mère, chez la conseillère d’orientation où elle disait que des poursuites d’études après un bac + 2 (BTS, DUT) étaient possibles, notamment vers des bac + 4 (MST) et qu’elles connaissait pas mal d’étudiants qui avaient emprunté ce chemin-là.
En classe de terminale, le proviseur avait dit : « dans cet établissement, vous (s’adressant à nous, futurs bacheliers), partez peu pour des études longues, alors que vous en avez largement les capacités ». Cela m’avait marqué. Cependant, je trouvais qu’un DUT ferait bien l’affaire dans un premier temps et ce serait déjà bien si je parvenais à obtenir ce diplôme (je doutais beaucoup de moi à l’époque). Et il fallait déjà rentrer à l’IUT compte tenu de la forte sélection à l’entrée. La première année d’IUT me plongea dans une vie d’étudiant que je ne soupçonnais pas, mais je restais concentré sur mon objectif, aidé en cela, par un grand nombre d’heures de cours/TD/TP. Aucune participation à une fête estudiantine durant mes études (après, si).
Et puis ce fut la MST et après le service militaire. L’occasion me fut donnée de poursuivre (je n’y songeais pas, je me suis fait un peu forcer la main). Enchainer sur une thèse me paraissait aussi très long, difficile à concevoir… alors que ce fut finalement presque « facile ». Il fallut le sujet. Contrairement aux usages, c’est moi à 99 % qui avais proposé et rédigé le sujet de thèse. Il fallut aussi trouver le financement et, le plus délicat, la structure d’accueil (pour ne pas dire le laboratoire), etc. C’est bien ça qui a finalement été le plus difficile et long à mettre en place. Je n’y serai pas arrivé sans la complicité de mon directeur de thèse et du président de l’université avec lequel j’échangeais directement et qui m’a sauvé la mise. J’ai dû m’accrocher, certes et insister, mais ça a payé. Je me demande vraiment si au final, je me serais engagé pour une thèse dont je n’aurais pas moi-même défini le sujet ? Enfin, la question ne se pose pas puisque cela s’est passé autrement.
Les premiers mois de mon travail de thèse avaient notamment consisté à faire de la bibliographie et je dois dire que je n’avais pas été énormément aidé à ce niveau. Certes, ma codirectrice de thèse m’avait bien orienté du côté des forêts (alluviales), mais pas grand-chose au sujet des autres végétations, notamment aquatiques (je n’ai pu récupérer des choses modernes que tardivement auprès de l’un de mes rapporteurs de thèse). D’une manière générale, ma thèse pèche par un relatif manque de références bibliographiques internationales, ce qui a été (vite) dit en soutenance et j’en suis pleinement d’accord. J’ai souffert d’une forme d’isolement et d’un mauvais accès à la littérature scientifique internationale. Cela dit, n’exagérons pas, il y a de la matière… et parfois, il ne faut pas aller chercher sur les rives du Mississipi, du Congo, du Yang-Tsé-Kiang ou de l’Amazone, quand on a de la matière sur le Rhône, le Rhin et quelques bricoles sur la Loire…
Je ne vais bien sûr pas parler du fond de ma thèse, puisqu’il suffit de la lire (sur la HAL science ouverte – thèses en ligne) et je pense vraiment qu’elle est relativement accessible, blague à part. En revanche, quelques anecdotes.
L’un des rapporteurs de ma thèse, hélas décédé en 2020, de l’Université de Marseille, que j’avais eu comme intervenant lors de mon DEA passé là-bas, avait notamment écrit dans son rapport autorisant la soutenance : « L’ampleur des collectes de données pour établir ce modèle est à mettre au crédit de Monsieur Cornus. Il concerne tant les bases floristiques que les paramètres écologiques. L’échantillonnage stratifié, le maillage conséquent des stations donnent à ce travail une marge de sureté qui tourne le dos aux méthodes souvent estimatives utilisées par nombre de chercheurs pour établir et construire des modèles structuro-fontionnels ». Pour être plus clair, il se réjouissait que mon travail se base sur de vraies données recueillies précisément sur le terrain (relevés semi-quantitatifs d’espèces de plantes) et non sur de vagues estimatifs. Il est notoire de constater que nombre de travaux scientifiques sur la flore se basent sur des « méthodologies simplifiées » alors même que les études de fond, non simplifiées, n’ont pas été menées et qu’elles ne le seront probablement jamais. D’un point de vue scientifique et épistémologique, c’est sacrément problématique. Et effectivement, j’ai vu depuis pas mal de travaux qui sont menés ainsi et arrivent à des conclusions merdiques. Cela n’a sans doute pas d’importance puisque presque personne dans la communauté scientifique académique ne s’en rend compte, dès lors que la forme de l’article scientifique dans la revue Machin coté Truc au rang international, que l’on a produit ses statistiques bien comme il faut et qu’on en sait pas beaucoup plus après qu’avant… Et comme c’est merdique, il vaut mieux faire de la génétique et de la biologie moléculaire, il n’y a que ça de vrai, de préférence sur des plantes qu’on ne connaît pas, qu’on n’a jamais vues dans la nature. Aujourd’hui, il n’existe pratiquement plus d’universitaires naturalistes en botanique. On ne sait pas reconnaître un Pâturin à feuilles étroites d’une Fétuque rouge (ou si vous voulez pour être plus parlant un pissenlit d’une laitue… cela n’a pas d’importance puisque tout est de la salade !). Je pense qu’au contraire, c’est très grave puisque les chercheurs n’ont pas tous conscience de leurs lacunes ou alors les minimisent. À quoi bon reconnaître les plantes, c’est la science des ânes, puisqu’il y a PlantNet (voir ici : c’est vrai que c’est un outil intéressant et performant pour l’avoir testé, mais qu’il faut savoir utiliser et ne pas forcément écouter en retournant bien sûr aux fondamentaux).
Après la soutenance, en attendant le retour du jury parti délibérer, un ancien professeur de chimie qui avait assisté à ma présentation et aux questions, et que je n’appréciais guère (mais avec lequel j’étais toujours resté poli) était venu me voir pour me balancer, entre autres, une vacherie du genre : « je n’ai pas bien compris telle chose, tu aurais dû mieux expliquer… ». Ce jour-là, je n’étais pas dopé, mais remonté comme un coucou et hypersensible. Je lui ai répondu un truc du genre : « Comme l’a dit le professeur C. (président du jury), ce travail s’adresse à un public averti et compétent ». Du coup, il avait fichu le camp. Il est clair qu’en 45 minutes, on ne peut pas détailler les résultats des travaux d’une thèse en allant réexpliquer ce qu’est un type biologique, une communauté végétale, un transect…). Je suis 100 % partant pour expliquer le contenu de ma thèse à des gens qui n’y connaissent rien et je pense que je sais le faire sans souci, mais aller expliquer ça aux cons, persuadés détenir la vérité, alors qu’ils sont eux-mêmes des billes en pédagogie, il ne faut pas pousser ! Une connaissance, aujourd’hui perdue de vue, avait eu ce triste individu comme directeur de thèse. Lors de sa soutenance à laquelle j’avais assisté, cette andouille malfaisante n’avait pas trouvé d’autre saloperie à dire à la fin que : « C. est têtue, elle a fait ceci et cela… ». Cela aurait pu être de l’humour, mais cela ne l’était pas du tout. Et après délibération, c’était la plus faible appréciation, « honorable », qui lui avait été donnée. Alors je ne suis pas compétent pour juger de la qualité du travail qui avait été mené, mais je pense que le travail avait été réalisé avec beaucoup de rigueur. Je pense que l’appréciation ne l’a pas énormément aidée dans les années qui ont immédiatement suivi sa thèse.
Contrairement à ce que j’avais imaginé ou ce qui était prévu initialement, peu d’étudiants dans les formations dont j’étais issu ou dans lesquelles j’avais enseigné, car ils étaient partis en sortie. Mais quelques amis dans la salle et quelques inconnus que je revis néanmoins plus tard. L’un d’eux dira plus tard à plusieurs occasions que ma thèse était son livre de chevet. Je pense quand même qu’il faut avoir un grain pour ça !
Après les remarques constructives formulées par l’un des rapporteurs, à la fois dans son rapport et oralement, j’avais remanié légèrement ma thèse pour y répondre autant que possible dans le temps qui m’était imparti. Sans pouvoir tout remanier en si peu de temps, cet effort avait été apprécié dans le document final. Néanmoins, je reste persuadé que la thèse comporte certains défauts de naissance auxquels je n’ai jamais su répondre. Parmi ces défauts figurent pas mal d’éléments d’analyse qui n’ont pas été menés jusqu’au bout notamment faute de temps et un défaut de structure puisque je commence à fournir des résultats et des analyses personnels avant les résultats « officiels » principaux. Cela ne m’a pas empêché d’obtenir l’appréciation maximale du jury et l’année suivante le prix des thèses de la Société botanique de France (le premier de la série) ; le plus fort a été que je n’avais pas candidaté à ce prix (uniquement honorifique à l’époque).
Finalement, je suis heureux de cette aventure que fut la thèse (pas uniquement le temps du travail, mais aussi les années qui ont précédé). Cela m’a permis de faire la connaissance de pas mal de personnes, parfois pas du tout conventionnelles et tranchantes mais néanmoins très intéressantes quand on a su faire le tri, mais aussi des belles personnes, modestes et riches que l’on n’oublie jamais, et des amitiés. Bref, une aventure structurante dont je puis dire que j’avais sans doute besoin, à deux niveaux non disjoints : une partie de ma personnalité et la reconnaissance de ma valeur professionnelle voire de ma valeur tout court. Il m’a fallu encore bien des années pour dépasser en partie certains de mes complexes et un certain besoin de reconnaissance. Ce besoin est encore là, même s’il est souvent mis en sourdine, quitte à rejaillir. J’essaye cependant de ne pas succomber à l’orgueil, mais peut-être que cette note dit le contraire…