On a tous lu, entendu ou vu des reportages sur les prisons en France ou dans les pays dits démocrates et civilisés. Je n’ai heureusement jamais été confronté directement à la prison. Mais ce que j’en connais, par l’intermédiaire des différents témoignages, me fait horreur. Et quelque part, j’ai honte. Les cas où la prison apporte une certaine efficacité sont assez rares. La plupart du temps, la prison est l’école de la récidive, souvent en pire. Ou bien elle casse les gens, les détruit de façon plus ou moins irrémédiable. Dans de tels cas, où se trouve la mission de réinsertion de la prison ? Elle est quasiment absente.
La faute à qui ? D’abord sans doute à chacun de nous, les « honnêtes gens » qui considérons que la prison est une punition, une « juste » vengeance. Ou bien un bon moyen de se débarrasser des gens encombrants. Effectivement, la prison est un bon moyen de se prémunir des voyous et criminels qui nous empoisonnent l’existence, nous agressent, nous volent, nous tuent… Nous ne voulons pas investir dans ces déchets de la société. Donc, si les prisons sont plus que surchargées, si les gens y sont entassés dans des conditions plus que précaires, nous nous en moquons royalement : après tout, ils l’ont bien cherché, c’est bien fait pour eux. Donc, la prison doit coûter le moins cher possible et à quoi bon faire de la réinsertion, ils n’en valent pas la peine, ils ne valent rien. On ne veut plus les voir. Suis-je si caricatural que ça ? La faute en revient ensuite aux décideurs politiques qui sont pour une bonne partie le reflet de la société toute entière, en particulier sa frange la plus conservatrice. Malgré les rapports officiels qui dénoncent la situation scandaleuse dans laquelle se trouvent les prisons françaises, le monde politique n’a aucune intention d’y remédier. La seule chose que l’on fait, c’est construire de nouvelles prisons dont la conception – une première – est concédée aux grandes sociétés privées de BTP. Mais en même temps, la population carcérale ne cesse de progresser et cela ne va pas s’améliorer avec les nouvelles dispositions gouvernementales.
Je voulais ensuite apporter quelques témoignages qui pourront paraître très insignifiants mais qui m’interpellent.
Le premier concerne un cousin (P.) peu éloigné. Jeune, je le voyais plusieurs fois par an à l’occasion des repas de famille. C’était un jeune comme un autre, pas méchant pour un sou. Il n’était pas très doué à l’école, mais rien d’alarmant non plus. C’est un enfant adopté (je ne sais plus à quel moment ses parents lui ont dit). J’ignore si cela a eu de conséquences importantes, mais je sais que ses parents n’ont jamais eu une grande sévérité avec lui. Enfant, cela ne semblait pas poser de graves problèmes tant il semblait calme, mais à l’adolescence, tout a changé. Ce sont succédés les échecs scolaires, la violence (il a été très tôt beaucoup plus costaud que son père et ce dernier a craint de se faire frapper). Les mauvaises fréquentations sont rapidement arrivées et en définitive, les premiers petits larcins d’abord sans grandes conséquences. Puis après 18 ans et le permis de conduire, des actes de délinquance de plus en plus graves. Et donc la prison. Il a dû faire au moins une demi douzaine de séjours en prison, parfois plusieurs mois d’affilée. Alors ce que je sais de lui fait que je pense que c’est quelqu’un de très influençable et de très naïf. Je ne pense pas qu’il soit fondamentalement méchant. Je n’explique même pas comment ses parents (eux qui sont d’une exceptionnelle gentillesse et honnêteté) ont été traités par la police qui a débarqué je ne sais combien de fois à la maison, ont perquisitionné. Ils ont été maltraités. Pas très étonnant que sa mère, déjà fragile, ait été autant affectée. La dernière fois que je l’ai rencontrée, j’ai vu une petite vieille qui sait à peine si elle est au monde alors qu’elle est plus jeune que ma mère. P., lui, sans doute par un concours de circonstance, a retrouvé sa mère biologique (une patronne d’une moyenne entreprise). Ce fut sans doute une sorte de coup de foudre : elle l’embaucha dans son entreprise, mais bien vite cela s’est dégradé et elle ne voulut plus le voir. Je ne connais pas les détails de l’affaire et même si j’avais des détails, je ne crois pas qu’ils seraient dignes de foi tant P. est mythomane. Il est assez vite retourné en prison. J’ignore s’il y est encore.
En 2004, alors que faisais, seul, de la cartographie de la végétation dans la vallée de la Seine en Haute-Normandie, je me suis retrouvé pendant plusieurs jours avec comme pour horizon plus ou moins proche la prison de Val-de-R*euil au sud-est de Rouen. Une prison moderne avec une triste réputation. Cette prison se trouve complètement en dehors de la ville (elle-même une ville nouvelle très moche). C’était en été, j’y voyais des détenus laisser pendre des sacs plastiques aux barreaux des fenêtres, y passer les mains. Tout aussi déprimant, j’ai vu des familles, comme honteuses venir faire des visites. Une ambiance qui me pesa à un haut point : j’avais hâte d’aller dans une autre boucle de la Seine.
Le week-end dernier, un de nos invités (un gardien de prison), évoqua certains aspects de son métier. Ce n’est pas lui qui avait évoqué le sujet de lui-même, mais avait répondu aux sollicitations de sa compagne. Cette dernière était outrée du comportement des gardiens de prison lorsqu’ils décidaient de « mater » certains mauvais comportements de certains détenus. Lui disait qu’ils étaient obligés de le faire pour « faire un exemple » et en définitive, pour avoir un peu plus la paix et éviter d’autres débordements. Elle prononça le verbe tabasser. Lui non, mais il ne le démentit pas. D’autres choses très glauques nous furent contées, notamment l’assassinat horrible d’un gardien de prison ou un non moins horrible co-détenu. Lui, un homme remarquable de calme, de douceur et de gentillesse se dit, je crois à regret, de plus en plus extrémiste dans sa vision des choses par rapport à son métier. Il semble dégoûté par ce qu’il y vit et y voit. Il préfère donc opter pour les solutions les plus simplistes dans l’exercice de son métier. Sa compagne lui reproche qu’il a oublié sa mission de réinsertion. Lui, répond que cela ne peut fonctionner qu’avec certaines personnes. Elle (instit) lui répond qu’avec ses élèves, elle ne choisit pas d’en laisser sur le côté de la route. Lui, dit qu’il ne peut pas faire autrement, que certains détenus sont profondément mauvais et irrécupérables. J’ai ressenti que cet homme, à qui on faisait des reproches, parfois justifiés, se sentait blessé car il ne pouvait bien entendu pas endosser à lui seul tout ce qu’on reproche au monde carcéral. Il a fini par dire que ceux qui ne connaissent pas la prison ne peuvent pas se rendre compte de la situation. C’est sans doute vrai. Dans un tel contexte, que peut individuellement à son échelle un gardien de prison ? Curieusement, je n’ai absolument pas participé au débat, mais j’y ai pensé une grande partie de la nuit suivante. Je ne sais pas si cela ne m’a pas empêché de dormir. Je voulais en parler dans une note. C’est aujourd’hui seulement que j’y reviens.
Alors, bien entendu, je n’ai pas de solution. Mais ne ferions-nous pas quand même de nous poser la question de la prison ? Ne faut-il pas faire de sérieux efforts de prévention ? Ne faut-il pas inventer d’autres solutions ? Cela coûte cher ? Mais que valent toutes les conséquences de la délinquance et de la prison, financièrement et humainement parlant ?