Depuis quelques années, dans les médias, on parle d’éco-anxiété (voir des précision sur la page Ouiqui ici). Personnellement, je m’interroge sur ce phénomène, non pas qu’il n’existerait pas, mais sur le fait que son importance soit en partie construite par les médias. Ce qui me semble plus intéressant, c’est la crainte qui peut exister sur la destruction ou la dégradation de la nature. Et je vais parler de ma propre expérience, d’autant que mon activité professionnelle est clairement engagée vers un objectif de protection de la nature. Et sans faire des déductions à la petite semaine, il n’y a pas véritablement de hasard.
J’en viens à m’interroger sur un fait qui m’inquiétait très jeune. Jusqu’à l’âge d’environ trois ans et demi, j’habitais le logement de fonction de ma mère, en ville très proche d’une chute d’eau de la rivière Gier qui n’était pas encore recouverte par une route. Cette couverture avait aussi pour vocation de cacher un égout à ciel ouvert pour une des rivières les plus polluées de France. Cela, je ne le savais pas encore, mais à l’époque, il n’y avait aucune forme d’assainissement et les très nombreuses usines en tous genres rejetaient directement leurs effluents à un point que l’on peine à imaginer aujourd’hui : sidérurgie, métallurgie, verreries, galvanoplastie, constructions mécaniques, teintureries en nombre très élevés entre Saint-Chamond et Rive-de-Gier / Châteauneuf, sans compter ce qui venait du Janon, de l’extrémité sud-ouest de Saint-Étienne. Au final une eau extrêmement et perpétuellement contaminée par la pollution d’origine domestique mais surtout par des produits hautement toxiques : ce qu’on appelle communément les métaux lourds (mais pas que des lourds) ou plus correctement « éléments trace métalliques – ETM » qui n’avaient rien de traces à l’époque mais avec de fortes concentrations assez peu concevables aujourd’hui, d’autant que la surveillance de la qualité de l’eau ne se faisait pas bien ou était encore en partie balbutiante, sans compter le fait que les pouvoirs publics, les hommes politiques s’en moquaient royalement. Finalement, une rivière aseptisée, sans aucun poisson sur plusieurs dizaines de kilomètres. Je ne vais pas dire qu’il n’y avait pas de vie, mais cela devait se résumer aux bactéries / cyanobactéries voire à quelques champignons résistants et à quelques larves d’insectes les plus polluorésistants même si j’ai quelques interrogations. Les végétaux qui ne trempaient pas directement dans l’eau devaient encore s’accrocher sur les berges. Pour quoi je parle de cela ? Parce que même si l’enfant que j’étais n’y connaissait rien, la pollution crevait les yeux. Je m’en émouvais alors auprès de mes parents alors que j’étais à l’école (classes élémentaires, très certainement). Pour apaiser mon inquiétude, ma mère m’avait évoqué certes le cycle de l’eau et les phénomènes de filtration et d’évaporation, de sorte qu’on récupérait de l’eau « pure » en haut des montagnes. Cela m’avait à moitié tranquillisé, mais je me demandais quand même comment cette « filtration » pouvait se faire. Ma mère avait en partie raison et aussi tort dans le détail, on le sait, car la pollution ne disparaît pas comme cela. Même l’eau récupérée dans les montagnes peut être polluée, en particulier par la pollution atmosphérique, mais bien sûr infiniment moins que l’épouvantable cloaque qui s’écoulait dans le Gier. Je pense pouvoir dire que ma première préoccupation environnementale a d’abord été liée à l’eau : celle que l’on boit, celle des rivières et plans d’eau aux eaux d’excellente qualité. Mes références à l’époque étaient celles d’un affluent du Gier et plus encore les cours d’eau des environs de l’étang du Dragon terrassé.
Après cela, j’avoue que ma prise de conscience a stagné. Mes études supérieures n’ont pas été guidées au départ par une « conscience écologique », mais sans doute en partie par un attrait pour la nature, ce qui est un peu différent. Mais au cours de la deuxième année postbac, la situation a commencé à changer puisque les enseignements, les choses vues sur le terrain m’ont clairement ouvert les yeux sur la pollution des eaux douces, en particulier dans les rivières, mais pas seulement. La suite de mes études allait clairement m’orienter vers des activités qui tenteraient de mettre en évidence les pollutions pour tenter de les corriger (oui, on peut, quelquefois). En même temps, la sauvegarde de la biodiversité (que l’on ne commençait que timidement à appeler ainsi) faisait clairement partie de ma motivation. La composante végétale de ma motivation n’était pas encore complètement identifiée, mais elle le devint au cours du temps. Mon travail de thèse, même si cela n’apparaît pas forcément au premier regard, comportait clairement cette dimension, cette finalité de préservation de la biodiversité floristique et phytocénotique. Le fait de vouloir travailler (souhait aigu) dans un établissement spécialisé comme celui où je suis depuis bientôt 22 ans résulte de la volonté d’agir et de ne pas être le plus mal armé pour le faire de manière correcte. Cela étant, on est confronté à d’autres réalités, souvent assez difficiles et éloignées des objectifs. Capitaine dans la tourmente ? Oui et non, mais là n’est pas la question.
Pour en revenir à la question initiale, j’ajoute les éléments suivants. Si l’on est éco-anxieux, il faut en sortir, soit en comprenant vraiment ce qu’il en est sur le plan scientifique et technique. Cette compréhension n’est pas forcément accessible à tous, certes, mais on peut avoir des éléments qui ne sont pas que de l’intox. La compréhension peut apaiser ou au contraire déprimer davantage encore. Mais dans un tel cas, on a encore la possibilité de se mobiliser. Certains font le choix du militantisme pacifique ou un plus revendicatif, voire violent (je ne puis approuver cette dernière option). D’autres font le choix du professionnalisme. Ce dernier est parfois vérolé, je l’ai constaté chez plus d’un responsable de bureau d’études en environnement, ce qui m’a d’ailleurs incité à quitter une association qui avait pourtant institué un code de déontologie. En parlant de vérole, il y en a aussi chez les militants prétendument écologistes, j’en connais quelques-uns. Personnellement, en tant que détenteur d’une voix scientifique dans certaines instances, il m’est arrivé à plusieurs reprises de me taire officiellement et d’agir en toute discrétion. On parle parfois des lanceurs d’alerte, je n’en suis pas là, mais clairement, j’ai (eu) des craintes, non pas sur ma vie, mais sur les budgets de ma structure. D’ailleurs, cela n’a pas été que des craintes, mais il y a carrément eu des sanctions, ce qui reste une honte, même à la minuscule échelle où j’ai connu cela. La protection des lanceurs d’alerte (les vrais) est très loin d’être assurée, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire, les exemples sont multiples. Et cela ne serait pas aussi un peu ça, l’éco-anxiété ?