SANS ABRI
Il est des instants où l’on se sent mal. Ce n’est pas aujourd’hui ni hier que j’ai découvert la misère qui s’abat sur le pauvre monde. Je n’ai jamais vécu à Paris, mais j’y ai vu des SDF (j’ai horreur de ce mot surtout quand il désigne des personnes sans abri, sans domicile, même mobile…). Ce vendredi, c’était la troisième fois en l’espace de moins de deux ans que je me rendais à Tours pour y donner un cours et pour participer aux activités d’un « comité de thèse ». Et ce fut trois fois le même scénario. Voyage aller et retour dans la journée en train. Départ à 6 h 45, changement de gare à Lille. Pour rejoindre la gare TGV, on passe sur une place. La première fois, il faisait un froid de canard par un petit matin de février. La place est parfois encombrée de menus déchets (il y a un centre commercial tout près). Je vois donc un carton qui traîne à terre. La lumière est faible, il fait nuit. J’approche, je passe près du carton et là, stupeur, c’est un homme qui dort là, à même le sol, sur une grille genre bouche de métro. Depuis, j’ai revu ces malheureux. Ils (eux ou d’autres) doivent être là toutes les nuits. Naïveté de ma part, bêtise ? Non.
Le froid et vivre dehors sous les intempéries, c’est quelque chose de purement abominable. Un « temps à ne pas mettre un chien dehors » comme on dit chez nous. J’ai l’incroyable prétention de dire que j’ai testé, de façon douce et courte au bonheur de dormir dans le froid à la belle étoile. Et de fait, je ne sais pas comment on peut résister longtemps de la sorte.
Tout cela pour dire que de telles situations sont évidemment inadmissibles. Je ne me dope pas à l’EPO (Enfoncements de Portes Ouvertes), mais voilà des années et des années que l’on feint de s’étonner de telles situations de misère, que l’on feint d’y mettre fin. Et en définitive, aucun résultat. Nos politiques sont des gens d’une rare efficacité. Ils ont des complices : nous tous (ou presque) ! Dans le même temps, on plaint les sans abri, et on leur trouve toutes sortes de défauts : fainéants, bons à rien, profiteurs. Profiteurs ! Le terme n’est pas dit, il est souvent inconscient. Mais après tout, ILS l’ont bien mérité, c’est bien fait pour eux. Certains d’entre-nous vont aller se donner bonne conscience en allant avaler une plaque tournante à la messe dominicale. D’autres vont royalement faire un don à telle ou telle association ou vont se gargariser de bons sentiments. C’est-à-dire faire la charité. Une bien piteuse charité que nous confondons avec solidarité et entraide. Une charité qui ne résout rien ; juste un emplâtre sur une jambe de bois. Entendons-nous bien, je ne remets pas en question les personnes qui ont la foi, et qui apportent leur concours pour tenter de faire le bien. On doit leur rendre l’hommage qu’ils méritent.
Mais voilà, je me suis livré à quelques petits calculs que j’espère assez réalistes. Sauf erreur de ma part, il suffirait d’une dizaine de milliards d’euros par an pour régler le problème des sans abri et des plus mal logés. Dix milliards, pour un pays riche comme la France, c’est quoi ? Rien. Et que l’on ne me parle pas de l’équilibre du budget ou de je ne sais de quel « bon » argument. Non, on peut facilement éradiquer ces misères les plus criantes, mais on ne veut pas, assurément. Parfois, je ne sais plus dans quelle société inhumaine je vis.