Collège
L’ancien collège menaçant ruine, nous arrivâmes dans un nouvel établissement flambant neuf (une sorte de préfabriqué haut de gamme). Pour l’occasion, la rentrée avait dû être décalée d’une bonne semaine en septembre.
L’entrée en 6ème n’avait pas été sans m’inquiéter : locaux paraissant gigantesques, pas loin de 600 élèves, plein de profs, de nouvelles disciplines et un éloignement géographique relatif depuis la maison. Je devais donc manger à la cantine tous les midis. A ce propos, en attendant notre tour, nous étions parqués dans une cour intérieure où avaient été disposées d’affreuses grenouilles-jets d’eau jaunes ou rouges. Cette première année se passa globalement bien. Le principal passait pour être une terreur ; un des parents d’élèves, en fait le grand-père d’un élève l’avait assimilé à la gestapo ou à un SS, mais il est vrai qu’il avait vraiment souffert des nazis pendant la guerre et voyait le mal partout. Je me suis finalement aperçu que le chef d’établissement était un chic type et il m’a rendu service. Nous avions un prof de français qui nous enseignait également l’histoire-géographie. Ce prof, qui faisait vaguement partie de ma famille éloignée était fan de préhistoire et celle-ci était au programme. Il s’est donc débrouillé pour nous emmener dans le Périgord pour aller voir en fin d’année les grottes ornées telles que Font de Gaume ou Rouffignac.
En 5ème, j’avais été mis dans une classe assez faible et j’avais donc un bon niveau par rapport aux autres. Alors, en 4ème, je connus un sérieux décrochage en anglais, en allemand, en latin, en français, en maths, en histoire-géographie et même en dessin. En langues, pour simplifier, on peut dire que j’étais faible, je faisais des fautes d’orthographe et ne comprenait rien à la grammaire française ou plutôt à ce qu’expliquait le prof. En maths, ce fut terrible : la prof me faisait peur. Un jour, elle me traita d’abruti. A mon père, elle expliqua un jour que je n’arriverai jamais à rien. En histoire-géographie, la prof était sympa, mais prise dans son truc, elle parlait très vite, ne répétait pas et je n’avais pas le temps de tout écrire. Et surtout, dans toutes les matières, je n’osais pas demander quoi que ce soit aux profs ou à mes « chers » camarades. En dessin, je n’étais pas bon non plus. Mon daltonisme avait été diagnostiqué au CM2 (seulement), mais personne n’avait jugé bon de le dire à la prof de dessin, surtout pas moi (je devais le taire longtemps encore, ce qui n’a pas été sans me causer des problèmes). Alors le daltonisme a sans doute bon dos, mais cela ne passait pas bien avec la prof. Je crois que c’est de cette époque que j’ai commencé à détester dessiner. Comme mon niveau global était notoirement insuffisant, je devais redoubler ma 4ème, avec succès. Je ne fis pas de latin et les profs étaient tous différents. Le dessin fut avantageusement remplacé par la « musique » qui était en fait de l’éducation artistique. Le prof, musicien à la base, depuis la fin de la 6ème jusqu’en 3ème passait en revue l’architecture, la sculpture, la peinture et la musique de l’Antiquité jusqu’à la période actuelle, à raison d’une heure par semaine. Tout ce qui n’était pas musical, c’est-à-dire la quasi totalité de l’enseignement se faisait à partir de séances de diapositives. C’était formidable. Mon niveau en histoire-géographie fit une hausse vertigineuse et, succès aidant, mon intérêt pour la discipline ne fut jamais mis à mal jusqu’en terminale.
La classe de 3ème se passa bien, sur la lancée de la seconde 4ème. J’ai obtenu mon brevet des collèges avec succès la première année de son rétablissement. Auparavant, nous étions allés en voyage en Espagne du côté de Barcelone. Au programme, le Prado, la Sagrada familia, la Costa brava, entre autres. Lors de ce voyage, il y eut une soirée discothèque près de notre hôtel. Ce fut terrible pour moi : je ne supportais pas la musique ni la danse, ni le son assourdissant, pourtant faible me dit-on le lendemain. J’étais bien un des rares à ne pas aimer, et je profitai de la première occasion pour m’éclipser. De ma vie, je n’ai jamais remis les pieds dans ce qui peut ressembler à une boite de nuit.
Que retenir du collège ? Là encore, je n’y ai pas eu de véritable ami, sauf un qui quitta l’établissement à la fin de la 5ème. Un conseiller d’éducation (nouvelle appellation du surveillant général) qui portait un nom de conifère nous colla une ou deux heures de retenue collective. Je n’avais pas trop compris, mais apparemment, à la fin du cours de sciences physiques, avant même que la prof donne l’autorisation de sortir de la classe, le brave homme qui devait être planqué derrière un pilier, tomba sur les élèves sortis en avance. Évidemment, moi, grâce à ma lenteur légendaire, je n’avais pas encore quitté ma place. Comme punition, nous eûmes droit à une rédaction relatant ce qui s’était passé. Ma prose ne lui plut guère puisqu’il me convoqua pour me demander des explications car j’y dénonçais son côté sournois et j’évoquais surtout mon incompréhension et mon innocence. Je n’eus heureusement pas droit à une rallonge. Je me souviens aussi d’un genre de test de QI (ou un truc dans le genre) réalisé en 6ème ou 5ème par un intervenant extérieur (un psychologue ?). Les résultats devaient être suffisamment mauvais pour que ce dernier convoque mes parents pour leur faire part que je devais être « à la limite de la débilité » [expression paternelle]. Bien sûr, on n’avait pas tenu compte de ma lenteur. Le psy avait montré un dessin d’éléphant à mon père en lui demandant à quoi cela lui faisait penser. Il lui répondit « à un cirque », mais il aurait fallu répondre « à l’Afrique ». Constatant le même niveau de débilité chez les géniteurs [sic], le psy n’insista pas outre mesure. En dehors de l’année ayant conduit au redoublement, j’étais donc plutôt un élève « convenable ». Était-ce dû à mon calme, à ma relative nonchalance, à mon humeur égale, à mon air sérieux et appliqué, mais je passais souvent comme un lèche-bottes auprès de certains de mes camarades, ce qui n’aidait bien entendu pas à mon insertion dans le groupe. J’en ai souffert, d’autant que je le voyais comme une injustice. Une fois, à cause de cela, deux de mes camarades me poursuivirent pour me faire payer je ne sais quoi. Ils réussirent à me piquer ma trousse et à casser mon stylo plume qui loin d’être un modèle luxueux avait une certaine valeur. J’eus d’autres fois affaire à d’autres individus semblables du collège. Je pris la fuite à plusieurs reprises parce que bien entendu, le courage ne leur faisaient pas peur et ils m’attaquaient généralement à plusieurs. A cette époque, je courais vite et ils ne réussirent jamais à me mettre la main dessus. D’autres fois, l’adversaire fut plus à ma taille et je pus riposter. J’ai encore le souvenir d’un garçon râblé et rondouillard : mes poings lui rebondissaient dessus. Enfin, tout cela n’est pas allé très loin. J’étais aussi au collège l’heureux bénéficiaire de splendides sobriquets. Plus grave, j’étais l’objet d’insultes. De la 6ème à la 4ème, je fis du judo (deux fois par semaine). Or certaines choses sympathiques franchissaient allègrement le collège et j’étais raillé y compris par des élèves du collège privé. Les noms d’oiseaux ne me quittaient plus et certains baraqués se vengeaient de moi, même s’ils ne me connaissaient pas, sur le tatami grâce à certains coups bas tout à fait dans l’esprit du judo ! En plus de l’esprit de compétition qui se faisait de plus en plus jour, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté le judo. Lors des séances de sport qui se déroulaient non loin du collège, il y avait parfois des sports collectifs, le plus récurrent étant le foot et des petits chefs étaient chargés de choisir leurs joueurs. Inutile de dire que j’étais choisi en dernier et à contrecœur. Comme je l’ai dit dans la partie (2), je n’entendais rien à ce sport et j’y étais très maladroit et en tout état de cause, on m’en avait exclu avant de m’en exclure moi-même. Parfois, par l’intervention du prof, je devenais gardien de but, endroit où finalement j’étais le moins mauvais, mais c’était un endroit où je pouvais me faire faire mal en toute quiétude. Parfois, quand j’étais simple joueur et quand le prof n’était pas à me surveiller de près, j’allais discuter avec le gardien de l’équipe adverse, ce qui avait la fâcheuse manie de mettre mon équipe hors jeu (j’ai toujours un peu de mal à visualiser ce qu’est un hors-jeu). Enfin, pour revenir aux côtés toujours très attachants de mes camarades et de leur vocabulaire très étendu (il y avait des mots, même non insultants, que je ne comprenais pas), il y eut aussi les très récurrents « PD » et « tapette » dont je ne connaissais pas le sens au départ. Il arrive que ces mots possèdent un caractère amical (eh oui), mais ce n’était évidemment pas mon cas. J’ignore pourquoi on m’appelait ainsi car je ne crois pas avoir eu un jour une attitude qui aurait pu le laisser penser. En tout cas, je ne me conduisais pas en macho et je ne courais pas les filles. Tout cela ne me souciait pas une seule seconde. Ceci dit, c’est comme cela que j’ai commencé à m’interroger sur la nature de mon orientation sexuelle. Il n’y avait pas que les garçons qui m’agressaient verbalement, il y avait aussi des filles qui n’avaient pas inventé la poudre. L’ensemble de ces charmantes personnes, je ne voulais pas en entendre parler et c’est avec joie que je suis allé au lycée. Inutile de vous dire que le sort de ces personnes m’indiffère, mais je suis persuadé que certains d’entre eux sont devenus des délinquants.