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Cornus rex-populi
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5 août 2008

Le Cépiau (5)

Peut-être qu’on l’avait oublié depuis le temps, mais l’histoire n’est pas terminée.

Il œuvrait toujours seul. Tout se faisait généralement dans la discrétion la plus poussée, sauf quand le Cépiau en avait décidé autrement.

Le Comte habitait un château « campagnard » de la fin du XVIIe siècle. Sa famille avait vécu, depuis plusieurs générations déjà, de ses terres, plus exactement de la rente que lui rapportait ses métayers. Mais après la Première guerre mondiale, l’exode rural, les paysans morts à la guerre, les mauvaises récoltes avaient réduit considérablement le train de vie de la famille. Le jeune Comte d’alors avait donc décidé de se lancer dans les affaires : la quincaillerie et les livraisons de ferraille. Durant la Seconde guerre mondiale, le Comte, avec ses relations, avait réussi à faire des affaires avec l’occupant. On ne savait pas si le Comte avait fait du tort à la population locale, mais le Cépiau avait toujours eu du mal à digérer l’enrichissement induit et il avait décidé de le lui faire payer à sa manière.

Le Cépiau, depuis l’épisode de la table qu’on lui avait demandé de fabriquer, arpentait à qui mieux mieux les terres du Comte, en toute impunité puisque Charles, le régisseur et garde-chasse par la même occasion avait promis de le laisser en paix. Bien entendu, le Comte n’était pas au courant de l’arrangement.

Le Cépiau, pour se venger du Comte avait décidé de vider totalement les terres du comte de tout ce qui pouvait ressembler à un poisson ou à un gibier. Ainsi, il avait décuplé le nombre de collets, avait organisé avec Maurice plusieurs chasses de nuit pendant l’été à la lanterne pour écrémer lièvres et lapins. La rivière avait été parsemée de lignes de fond et l’étang en face du château passé au tramail. En mars dernier, lors de la vidange quinquennale de l’étang, le Comte s’était ému de ne presque rien trouver dans l’étang. Il s’était également un peu étonné de la pauvre battue au chevreuil qu’il avait organisée en février. Et puis, il y eut cet épisode pour l’ouverture de la chasse.

Pour l’ouverture de la chasse, le Comte avait coutume d’inviter ses meilleurs amis aristocrates ou notables de tout poil pour une grande chasse parmi les champs et les prairies du domaine. Au menu, en général, des lièvres, perdreaux et faisans à volonté. Il faut même préciser que Charles élevait quelques gallinacés supplémentaires pour soutenir les effectifs et les lâchait de façon échelonnée entre le mois de mai et le 15 août. Durant l’été, Charles avait bien remarqué qu’il ne voyait pas beaucoup de gibier, et s’en était un peu inquiété. Quelques jours avant l’ouverture, il avait donc lâché les derniers faisans qu’il avait conservés.

Le matin de l’ouverture, le rassemblement de tous avait été ordonné, comme tous les ans dans la cour du château pour la revue des chasseurs, des armes et des chiens. A l’issue de la cérémonie d’ouverture, tout le monde se mit en route : les invités devant, le Comte à cheval en arrière pour superviser les opérations, suivi par Charles avec des chiens en réserve. La chasse fut désastreuse : les chiens restaient parfaitement impassibles, sa baladant comme de vulgaires chiens de ville. Il n’y avait pas âme de gibier qui vivait sur l’ensemble du domaine. Dans la dernière parcelle, un chien daigna quand même à regret faire un arrêt sur un pauvre volatile : un faisan qui eut peine à s’envoler et qui fut abattu par Monsieur le curé. Bref, une catastrophe, une humiliation pour le Comte. Ce dernier se confondit en excuses auprès de ses invités, lesquels ne mirent pas longtemps à prendre congé, sans repasser au château.

La catastrophe n’était pas moins grande pour Charles. Alors qu’ils regagnaient le château, le Comte, dans un état de rage rarement vu, demanda des explications. Ils se trouvaient alors au niveau du Pont des Chaumes froides au-dessous duquel le Cépiau relevait ses lignes de fond.

- Mais comment avez-vous pu laisser faire un braconnage pareil ? Comment peut-on se faire berner de la sorte ? Vous êtes un incapable, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Comment avez-vous pu vous faire voler mes perdrix et mes faisans ? Et les lièvres, ils sont où ? Mais qu’avez-vous bien pu fabriquer ?

- Je…

- Taisez-vous ! N’avez-vous donc point vu de traces de braconnage ? Je ne peux pas y croire. Vous êtes un con, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Vous rendez-vous compte dans la situation épouvantable dans laquelle vous m’avez mise ? après avoir vu un tel cataclysme, mes amis ne me feront plus aucune confiance ! Vous êtes nul, Charles.

- Euh…

- Taisez-vous, vous ai-je dit ! Peut-être est-ce vous qui m’avez détruit ma chasse, volé mon gibier ? Vous êtes renvoyé !

- Oui, Monsieur le Comte.

A ces derniers mots, le Cépiau qui avait tout entendu et qui n’en pouvait plus de voir Charles se faire humilier, bondit sur la berge, vint rejoindre les deux hommes et s’écria :

- C’est moi et personne d’autre qui ai passé vos terres au peigne fin, c’est moi qui m’en suis pris à votre gibier. Charles n’y est pour rien.

- Mais, comment osez-vous venir ici me défier sur mes terres. Vous êtes un voleur et je vais vous faire passer l’envie de braconner en vous envoyant directement en prison.

- Pas si vite, Comte, vous ne pourrez rien prouver, je n’ai laissé aucune trace.

- Vous êtes un voleur, un bandit, un assassin !

- Un assassin ? Elle est bien bonne ! Dois-je vous rappeler vos agissements pendant l’Occupation ? Dois-je vous rappeler d’autres agissements lors de la libération en octobre 1944 ? Vous et vos amis, pour donner le change, pour vous dédouaner, qui avez pris les armes alors que tout risque était écarté pour aller pourchasser et tuer des soldats allemands isolés et perdus dans le Morvan ? Vous ne vous en rappelez plus de ça, vous et Monsieur le curé ? Oublié, digéré, ni vu ni connu !

- Mais…

- Taisez-vous ! Alors, vous pouvez toujours me mettre les gendarmes au cul, on va bien rire…

- Je vous ferai condamner. Et puis j’ai Charles comme témoin. Et mon ami le colonel…

- Ah ah ! Votre ami le colonel Jeannin ? Vous avez déjà oublié qu’avec votre partie de chasse à la con, vous venez de le vexer à mort ? Quant à Charles, je vous rappelle que vous venez de le virer à l’instant. Et que je viens de l’embaucher pour faire commerce de mes meubles.

Le Comte, se dressant sur ses étriers et tenant haut sa cravache.

- Je vais vous…

- Vous allez quoi ? Me faire courir ? Vous voulez courir ? Qu’à cela ne tienne ! Eh bien courrez donc, vous !

Sur ce, le Cépiau abat un méchant coup de bâton sur l’arrière train du cheval, lequel se met immédiatement à galoper en direction des écuries.

A suivre.

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Commentaires
C
A Klegdouarn> Oui, merci !
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K
Mais tu as encore changé de bannière ! Celle-ci me plait vraiment beaucoup. Quelle belle lumière, quel calme ! je parierais bien que c'est un petit coin que tu aimes particulièrement ?
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C
A Claude> Je n'ai pas beaucoup d'imagination. Je n'invente presque rien.<br /> Evidemment, les plantes montagnardes sont intéressantes, mais il y en a qui poussent dans des milieux particuliers qui ne le sont pas moins (tourbières, landes, zones humides, coteaux calcaires...).
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C
J'attends vraiment la suite .. quelle imagination !<br /> Tu sais , lors de mes excursions , je regarde trés attentivement toutes les petites plantes , il y en a tellement en ce moment ; mes préférées poussent sur les montagnes, trés haut . bises
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C
A Kleg> Je ne pensais pas que cette réplique pourrait faire rire d'autres personnes que moi. Autrement, merci. J'ai peur de décevoir avec la suite que j'ai du mal à ficeler.<br /> <br /> A Lecracleur> Le braconnier fait une grosse boulette ? Comment tu sais ça toi ?
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L
SOIT LE CON EST COMTE OU LE CONTRAIRE POUR REAGIR AINSI FACE à UN BRACONNIER ET CE DERNIER FAIT UNE GROSSE BOULETTE . C'EST UNE HISTOIRE BIEN MENEE,AGREABLE A LIRE
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K
Ah il me plait de plus en plus ton Cépiau !<br /> Et alors, "Vous êtes un con, Charles ! <br /> - Oui, Monsieur le Comte."ça ça me plie de rire.<br /> La suiiiiiiiiite !
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Cornus rex-populi
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