Le Cépiau (13 et fin)
Je publie ce treizième épisode puisqu’il était écrit, mais je ne suis pas du tout satisfait de la tournure prise, de la qualité et de l’intérêt. Par conséquent, j’ai écourté le texte pour en finir.
Comme convenu la veille, Robert attendait, avant même la pique du jour, dans une sommière du bois de la Coiffe. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit monter, non pas un, mais deux hommes dans la voiture.
- Mais, qui…
- Salut Robert !
Robert n’en croyait pas ses yeux. Était monté à l’avant de la voiture une forme de réincarnation de son ami, mais hirsute au possible et accoutré comme un peyant*. Robert en resta coi.
- Robert, y’o bien moué, le Cépiau.
- Mais d’où c’est donc que tu sors ? Tu es mort !
- Eh bien oui, Maurice en a pété à la renverse* lui aussi.
- C’est bien le moins que l’on puisse dire, s’exclama Maurice, il a failli m’étrangler pour de bon !
- Mais vous allez m’expliquer, s’énerva Robert.
- Ne t’inquiète pas Robert, dit Maurice. On va tout t’expliquer. Mais ne reste pas là, Robert, il ne faudrait pas qu’on nous repère. On fêtera nos retrouvailles plus tard.
Sur ce, la voiture s’élança pour regagner A.
Après un bon bain et après avoir revêtu des habits propres que Maurice lui avait apporté (Robert était trop grand), le Cépiau descendit dans le séjour de la maison de Robert où Yves attendait aussi.
- Eh bien, Messieurs, dit Robert d’un ton solennel, pour fêter la renaissance du Cépiau, nous allons boire cette petite bouteille de Chambertin-Charme 1947 !
- Un moment, Messieurs, coupa le Cépiau, je n’ai jamais été mort. Je boirai volontiers un verre de sommet de l’art vigneron, mais n’oublions pas que dans cette affaire, mon frère Pierre, lui a bel et bien été assassiné.
- Bien sûr dit Robert, et c’est la raison pour laquelle Yves nous a rejoint. Je crois que tu ne le connais pas, Cépiau.
- Non, pas que je sache. Et qui êtes-vous ?
- Je suis un ami de Robert et accessoirement, commissaire de police de cette bonne et vieille ville.
Tout le monde se salua et on trinqua en se jurant de mettre l’assassin sous les verrous dans les plus brefs délais.
- Bon, et maintenant fit Robert, dîtes-nous ce que vous avez vu ou entendu chez le curé ?
- Eh bien, dit Maurice, nous sommes passés par la remise sur le côté de la cure. Et devinez ce que nous avons trouvé là-bas dedans ?
- Je n’en sais rien, dit Robert.
- De la taupicine, essaya Yves.
- Ah, je vois que Monsieur a de l’idée fit le Cépiau. Non, on a trouvé un manuel de toxicologie appliquée.
- Je vois, dit Yves, et la taupicine, il a dû s’en débarrasser. Je suis à présent persuadé que c’est lui le meurtrier de votre frère.
- C’est vrai, répondit le Cépiau, que ce pauvre type ne m’a jamais été sympathique, mais de là à en faire le meurtrier…
- Mais c’est peut-être que vous n’êtes pas au courant. Si je me souviens bien, la mère Vieillard a dit à Robert et Maurice que le soir où votre frère Pierre est arrivé, vous a vu en compagnie du curé, ce qui n’avait pas été sans étonné la mère Vieillard, tant la chose lui avait paru curieuse.
- Et moi, dit Maurice, je crois avoir dit à la mère Vieillard : « on ne croirait pas le même homme » en parlant de toi, Cépiau.
- Évidemment Maurice, je ne l’ai pas vu ce soir là, je ne lui jamais adressé la parole que devant témoin et en général, ce n’est pas des compliments.
- Mais alors, dit Yves, comment a-t-il pu attirer votre frère chez lui, pensant que c’était vous ?
- Je n’en ai aucune idée répondit le Cépiau, mais il avait du mettre le paquet pour attirer mon intention ou me séduire. Et Pierre, lui n’aura pas fait attention. Peut-être voulait-il me proposer un marché ? N’avait-il pas les boiseries du chœur à remettre en état ? Je n’en sais rien.
- Mais il va bien falloir trouver un moyen de le faire parler dit Yves.
- Les faire parler, parce qu’à tous le coups, le comte est mêlé à cette histoire. Tout s’éclaire maintenant. Je les ai vu tous les deux à plusieurs reprises, pas l’air tranquilles. Je les ai aperçu bien souvent ensemble ces derniers temps, mais les rendez-vous ne duraient jamais bien longtemps.
- Le maire pourrait être dans le coup, demanda Robert. Ce grand escogriffe ?
- Escogriffe peut-être, mais pas si con lorsqu’il s’agit de faire valoir sa gloriole et surtout ses intérêts, répondit le Cépiau.
- Oui, je sais, je l’ai vu manœuvrer dans les ventes de bois. Car c’est lui qui dirige le syndicat des propriétaires forestiers et il n’est pas tendre en affaire.
- Et puis comment crois-tu qu’il est devenu maire ? Certes, avec son copain le curé, il s’est mis dans la poche toutes les grenouilles de bénitier du pays, les bien pensants, les gens qui disent amen à tout. Crois moi, ils sont nombreux ces gens là et à eux deux, ils ont su embobiner tout le monde.
- Bon très bien, dit Yves, j’ai une idée. Robert va demander une audience au maire, prétextant un projet de coupe de bois sur la forêt communale. Maurice, lui se débrouillera pour amener le curé à la mairie. Et moi, je rameuterais les gendarmes d’A. pour cueillir les coupables. Et vous Cépiau, vous resterez planqué dans la roseraie près de la mairie jusqu’à ce qu’on vous fasse signe.
Sur ces bonnes paroles, ils trinquèrent de nouveau.
- C’est vrai qu’il est pas mauvais ton petiot vin rouge fit Yves à Robert en clignant de l’œil.
Après avoir mis au point dans les moindres détails leur plan d’attaque, les quatre hommes se quittèrent en fin d’après-midi.
Quelques mois plus tard, le curé fut reconnu coupable de l’assassinat de Pierre, frère du Cépiau. Il fut condamné à la peine maximale. Le maire-comte du village fut condamné à 25 ans de prison pour complicité dans l’assassinat. L’adjudant de gendarmerie fut révoqué pour incompétence et le docteur Rouleau, mis à la retraite d’office avec interdiction d’exercer.
L’évêque qui voulait faire un exemple nomma un prêtre-ouvrier, Alphonse comme curé de la paroisse. L’évêque reçut des centaines de lettres de protestation mais n’en tint aucun compte. Le curé devint bientôt l’ami du Cépiau. Les bigotes et les bien pensants du village ne tardèrent pas à être victimes d’une épidémie de crises d’apoplexie, ce qui fit la fortune du nouveau médecin.
Maurice et le Cépiau s’associèrent définitivement. Le château du comte fut mis en vente et la mairie le racheta un bon prix. Le sous-préfet confia la gestion du domaine à Charles.
Le commissaire Yves Taxus et Robert furent nommés à un grade supérieur dans leurs administrations respectives.
Tous les vendredis soir Yves, Charles, Maurice, Robert, Alphonse et le Cépiau se réunissaient aux Ravatins pour rendre hommage à la vie et à l’amitié. Au menu, les « productions locale »s et de « l’eau végétale »de Bourgogne !
AMEN.
* peyant : vagabond, chemineau, gueux.
* péter à la renverse : être stupéfait, frappé d’épouvante.