Un tout petit morceau de mon Ferrat à moi
Enfant, à la maison, nous n’étions pas très bien équipés en musique, mais nous disposions d’un tourne-disque sur lequel on écoutait quelques 33 tours, un 45 tours et une collection de 78 tours craquants, complètement épuisés. Parmi les premiers, deux Jean Ferrat que j’ai toujours vus à la maison. Nous les écoutions assez rarement, mais c’est là qu’allait la préférence de mon père. De tout temps, j’ai entendu du Ferrat, d’autant que mon père interprétait régulièrement en travaillant à la maison ou au jardin des extraits de « La montagne », « La Commune », « Les derniers Tziganes », « Potemkine ». Un peu plus tard, une cassette audio était venue compléter la collection.
Bien sûr, à l’époque, je ne comprenais à peu près rien de ces chansons. Je ne recevais que certaines caractéristiques de la musique et du chant. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai commencé à comprendre ce qui était dit et il a fallu attendre ma vingtaine bien entamée pour que j’achète cassettes puis CD.
Jean Ferrat n’a certes pas fait que des chefs d’œuvre, mais je considère qu’il y a une grande diversité dans ses chansons. Bien sûr, des chansons retranscrivant la poésie, majoritairement de Louis Aragon, sa poésie à lui (dont « Oural Ouralou » qui me plaît particulièrement), des chansons d’amour, parfois touchantes comme « Deux enfants au soleil », et bien sûr des chansons « engagées » (je suis assez allergique à cette appellation), dont « Nuit et brouillard », découverte assez tardivement, m’a fait pas mal tremblé d’effroi.
Je n’ai pas (bien) connu cette époque, et il n’a certes pas été le seul dans ce cas là, mais il a été la victime de la censure : certaines salles de spectacle lui restaient fermées, il n’était pas toujours le bienvenu à la radio ou à la télévision.
Il y a des chansons de lui que je n’aime pas particulièrement, notamment toute une série des années 1960-70 qui ont mal vieilli ou qui consacrent de façon excessive « l’idéal cubain ».
Après un album de chansons personnelles en 1991, il sort son dernier disque entièrement consacré à Aragon en 1995 et depuis, il n’avait pour ainsi dire plus chanté.
L’homme n’était pas consensuel, était atypique, ne faisaient guère de concessions, n’était pas une « star » (comme d’autres, certes), a été un compagnon du parti communiste français, mais il est resté libre, s’en est désolidarisé, parfois de façon assez violente (« Le bilan » en 1980).
Voilà, j’ai été « bercé » par ses chansons depuis le plus jeune âge, mais je suis tombé sous le charme plus tard. Artiste majeur, chansons incontournables pour moi. Ce n’est pas par hasard, si nous avions choisi « Que serais-je sans toi » pour notre mariage après avoir hésité avec « Aimer à perdre la raison ».
Nous avons appris en coup de vent sa mort hier après-midi et ce matin, j’ai entendu quelques courts extraits d’ « hommages et récupérations » à mourir. Lamentable. S’il pouvait ressusciter quelques instants pour venir leur botter le cul à ces bandes d’incultes, d’abrutis, de manipulateurs, de salopards…