Je disais ici il y a quelques temps qu’un jour j’avais envoyé le contenu plein d’eau à la figure de mon père, mais sans avoir donné les détails de l’affaire. J’y reviens donc à la demande de Lancelot.
Tout d’abord, je dois faire un petit retour en arrière pour mettre les choses en perspective. Que l’on n’aille pas croire que je n’aime pas mon père ni que je n’aie aucun respect pour lui. Entre nous deux, c’est un peu compliqué.
Quand j’étais enfant, il m’arrivait de faire des bêtises. Pour être honnête, ces bêtises n’avaient vraiment rien de grave, et même sans doute beaucoup moins fréquentes et beaucoup moins importantes que la moyenne de celles des gamins de mon âge à l’époque. J’étais un enfant sage, calme et timide, et à la maison, il n’y avait en général aucun autre enfant avec qui j’aurais pu éventuellement interagir ou qui aurait stimulé l’émergence de bêtises. Mon père n’était pas toutefois quelqu’un à se laisser emmerder, et si problème il y avait, il y avait sanction : par les vives réprimandes d’abord, par les gifles ensuite (par deux fois, mes lèvres ont amorti sa montre, ce qu’il a regretté immédiatement), par des coups de ceinturon (rarement, il est vrai, mais donnés avec une rage certaine) et plus rarement encore, des coups donnés avec des objets divers (dont une fois une grande pompe à vélo qui a rendu l’âme à l’occasion). Je précise tout de suite qu’en dehors de la lèvre ouverte malencontreusement par deux fois, je n’ai jamais été blessé et je ne considère pas avoir été un enfant battu. Il devait y avoir dans ma personnalité, dans mon attitude de l’époque un quelque chose qui énervait particulièrement mon père qui était peut-être aussi excédé parfois par d’autres éléments (son ulcère à l’estomac, le travail…). Mais le résultat était là : j’avais peur de mon père et je n’ai pas toujours compris le niveau de la sanction, qui ne devait pas toujours être très bien proportionné vis-à-vis de l’importance de la faute.
Plus tard à l’adolescence, avec l’échec scolaire, j’ai ressenti, très probablement à tort, une forme de brimade, lorsque mes parents, mon père en tête, ont décidé de me priver de télévision le soir (on me l’accordait davantage auparavant) et ce jusqu’à un âge assez avancé. J’étais censé faire mes devoirs et réviser mes leçons pendant ce temps là, ce que je faisais en bonne partie d’ailleurs, mais avec une efficacité proche de zéro (je parle de mes premières années de 4e et de 1ère) : d’une part, j’avais décroché sur plusieurs matières et je n’ai pas eu l’aide dont j’aurais eu besoin au moment le plus opportun et d’autre part, il ne servait à rien de s’obstiner des heures sur des choses où le déclic ne pouvait pas venir.
Je le répète, j’étais timide et sans doute aussi peureux. D’ailleurs, devrais-je parler au passé à ce sujet ? Je fais mine de ne plus l’être. Disons, que je sais sans doute mieux le cacher et que j’ai fini par connaître instinctivement quelques artifices pour donner, en partie, le change.
Mon père a toujours des accès de colère, s’emporte, dit des choses abominables, le plus souvent sur des choses assez dérisoires. C’est quelqu’un d’extrêmement têtu, tenace, coriace, qui ne tolère pas beaucoup qu’on remette en cause ses certitudes. Je suis sans doute pareil, pour ne pas dire bien pire, car outre l’héritage paternel, j’ai sans doute l’atavisme que m’a transmis mon grand-père maternel. Toutefois, mon père ne m’impressionne plus du tout depuis un bon moment, ce qui ne nous empêche pas de nous engueuler cordialement. C’est peut-être aussi un sport familial qui a beaucoup impressionné Fromfrom quand elle en a été témoin les premières fois, puisque cela l’a mise très mal à l’aise et en larmes. Un malaise fromfromien qui faisait écho à ce qui se passait avec son père et qui n’avait pas les mêmes conséquences. Car oui, chez Cornus père et fils, les engueulades ne durent pas longtemps et tout rentre rapidement dans l’ordre, comme s’il ne s’était rien passé (Fromfrom est toujours étonnée de cette capacité particulière qui est en réalité une règle immuable de fonctionnement).
J’en viens à présent à l’objet premier de la note : le broc d’eau. Cela se passait au printemps ou en été, très probablement en 1996 ou en 1997. Un dimanche en fin de matinée, j’étais parti chercher ma grand-tante qui habitait encore sa maison de La Cel*le-en-Mor*van. Ma mère et mon cousin J.-L. m’accompagnaient. En repartant de chez ma grand-tante, qui habitait le long d’une route avec une circulation relativement importante, j’ai démarré devant une voiture que j’avais jugée comme étant loin derrière, alors même que la vitesse était limitée à cet endroit. Et du fait de la vitesse probablement excessive de la voiture en question, elle s’était retrouvée assez vite derrière nous. Il ne s’était rigoureusement rien passé (pas de queue de poisson, pas de coup de frein intempestif, pas de mise en danger, rien, rien du tout), mais ma mère qui se situait à l’arrière de la voiture, avait trouvé le moyen de faire un commentaire désagréable et largement erroné sur ma façon de conduire. Arrivés à la maison, elle a répété l’affaire à mon père et mon cousin n’avait pas cru bon de dire ce qu’il en pensait, mais son silence devait valoir approbation des propos de ma mère. Bien sûr, je m’étais défendu et j’avais dû rabaisser largement les propos et les capacités de ma mère. Et un peu plus tard au cours du repas, mon père a remis le couvert sur le sujet (alors qu’il n’avait pas été témoin et prenant sans doute la défense de ma mère). Une chose complètement disproportionnée sur un non événement. Une situation complètement surréaliste, alors que mon père continuait à me mettre en défaut de façon complètement injuste et ridicule. N’y tenant plus, je me suis levé, et probablement en hurlant de rage, je lui ai envoyé le contenu complet du broc d’eau à la figure, puis je suis sorti dehors puis je me suis réfugié dans la pièce du haut de l’autre bâtiment.
Après cela, que s’est-il passé ? Eh bien rien ou presque. Ma mère est venue toute penaude me demander de revenir manger le fromage ou le dessert. Je ne me suis pas excusé (ah ça, non !) et mon père n’a rien dit (rien de rien). Il a dû comprendre qu’il (et ma mère) étaient allés trop loin. Et l’affaire a été oubliée très rapidement.
Mon père n’est pourtant pas du genre à se laisser prendre une puce sur le nez, ni à se faire ridiculiser impunément. Il n’est pas du genre à se lier d’amitié avec le premier inconnu venu. Faut-il rappeler le « round » d’observation glacial qu’il avait réservé à Fromfrom quand ils se sont rencontrés pour la première fois ? Cela n’avait pas duré longtemps (sans doute pas plus de 24 heures), mais Fromfrom en a encore le souvenir. Et depuis, ils ne cessent de se dire de vaches amabilités, et lui a gagné le surnom de « joli papa ». Cela me fait penser qu’il faudra qu’à l’occasion, je lui demande s’il se souvient de cet épisode du broc d’eau.
Dois-je considérer que psychanalytiquement parlant, cet événement a marqué une certaine forme d’émancipation vis-à-vis de mon père ? Eh bien, je n’en ai rien à faire. Ce n’était pas la première, ni la dernière. J’aime mon père et il me le rend bien.
Complément rédigé le 25 novembre à 10 heures
Ma mère aussi m’a giflé nombre de fois, mais je ne la craignais pas. Et cela ne m’a pas empêché aussi d’entretenir de grandes complicités avec mon père quand l’atmosphère se détendait. Je précise a contrario que par peur de mon père, il m’est arrivé, quand cela allait mal à l’école, de le cacher, de dissimuler mes mauvaises notes (phénomène qui m’a entraîné assez loin dans le silence, voire dans le mensonge, souvent par omission). Le tout n’avait guère arrangé ma situation. Et cela a duré. Même en classe de 1ère ou en terminale, il m’est arrivé de cacher des notes peu flamboyantes ou d’en retarder l’annonce pour l’associer à une note plus valorisante dans la même matière ou dans une autre. Après, j’ai évolué.
Dois-je préciser que mes parents, et singulièrement mon père ont toujours voulu que je fasse des études les plus poussées possibles. Mon père n’aurait pas accepté que je fasse le même métier que lui (tourneur sur métaux dans l’industrie métallurgique) ou un quelconque métier manuel peu qualifié. Quelque part, il avait placé énormément d’espoirs en moi. Il espérait que j’aille loin dans les études, que j’agisse d’une certaine manière par procuration, car lui n’avait pas su, pas pu, faire des études très importantes (même s’il faut préciser que l’apprentissage qu’il a suivi était d’un très grand niveau à l’époque, par exemple en trigonométrie). Même si mes parents auraient sans doute préféré que je fasse un métier plus rémunérateur, ils sont, j’en suis sûr, très fiers de ce que je suis devenu dans l’ensemble.