Voici une note que j’aurais dû écrire et publier au mois d’août.
La plus jeune (environ 12 ans) de nos nièces (la dernière des filles de la sœur de Fromfrom) a fait sa rentrée en classe de cinquième en ce mois de septembre. Cet été, elle est venue passer une quinzaine de jours à la maison pour la quatrième année consécutive avec sa grand-mère (la Duchesse mère). Pourquoi je parle de ça ? Parce que le destin de cette gamine ne m’est pas complètement indifférent et parce que sa situation est particulièrement compliquée. Quand j’ai connu les parents et les trois filles, c’était le 31 décembre 2005, ils vivaient encore tous ensemble à la maison dans un charmant pavillon HLM de la « Lande à genêts ». Depuis, la fille aînée a quitté le domicile familial. Bac en poche, elle vit sa vie, de façon plus ou moins désordonnée, mais elle se débrouille a priori fort bien. La deuxième fille, elle, n’a aucun diplôme significatif et avait pris la suite de sa grande sœur comme serveuse dans un restaurant de Concarneau. Mais contrairement à la première, elle semble poursuivre dans ce métier. Au cours de l’été 2008, les parents se sont séparés (le divorce n’a été effectif qu’à l’automne 2011). La mère, après formations « pour s’occuper des vieux » fait des petits boulots dans ce domaine, mais semble désormais être plutôt au chômage. Elle est alcoolique même si elle essaye de le cacher. Caractéristique de la maison pour la petite demi-douzaine de fois où j’y suis passé : on n’a quasiment qu’un seul liquide à vous offrir (ce n’est pas le problème), mais on vous apporte individuellement à table le verre préalablement rempli (pas question de voir la tête de la bouteille). L’explication est évidente : on a probablement un peu honte du vin blanc pétillant servi qui est un liquide corrosif acheté probablement à moins d’un euro la bouteille. C’est surtout qu’on en fait une consommation non négligeable. Je précise que je n’ai jamais fait le moindre début de remarque ni jamais évoqué avec elle ou son ex-mari mes préférences ou que j’étais amateur de vins (je n’ai même jamais fait le moindre commentaire). Si des choses leur sont venues aux oreilles, je n’y suis pour rien.
Le père travaillait dans une usine de plats cuisinés de poissons à Concarneau. Pour des raisons qu’on a du mal à s’expliquer, il s’est retrouvé en arrêt maladie et n’a jamais repris le travail. Avant cela, il avait eu un retrait de permis (à vrai dire, pas le premier) pour conduite en état d’ivresse. Car lui aussi est alcoolique et cela se voit. Depuis longtemps, il faisait les bistrots en buvant et en jouant aux jeux de hasard, en y laissant une part très significative de son salaire. Après avoir habité dans divers endroits, il séjourne depuis environ deux ans dans une caravane à la campagne, dans un confort et une hygiène très relatifs. Il a globalement un comportement d’adolescent attardé et s’est longtemps complu à raconter monts et merveilles pour l’avenir de ses filles, suscitant des espoirs toujours déçus. Sa mère est quant à elle une personne particulièrement infecte d’après ce qu’on m’a rapporté.
Voici un portrait particulièrement peu flatteur, mais il est hélas en dessous de la réalité. Comment en est-on arrivé là ? Difficile à dire dans le détail, mais on peut émettre des hypothèses. Tout d’abord, la sœur de Fromfrom a voulu quitter le domicile parental le plus tôt possible, pour fuir son père essentiellement. En exagérant un peu, on peut dire qu’elle a presque pris le premier venu pour concrétiser cette « fuite ». On peut penser qu’il en allait un peu de même pour celui qu’elle avait épousé. Et puis, ils ont pris un restaurant près de Carhaix. Cela a été une erreur majeure. Ils se sont voilés la face et cela a été une catastrophe. Lui, devait se débrouiller à peu près en cuisine, mais il n’avait aucune formation pour tenir les affaires. Sa naïveté et ses aptitudes d’adulte inaccompli ont fait le reste (elle n’est sans doute pas innocente dans l’affaire non plus). Ils se sont donc enfoncés dans les difficultés et les dettes. Et ils sont revenus à la « Lande à genêts », très abîmés par cette mauvaise expérience. Elle, qui était titulaire d’un bac+2 n’a jamais pu retrouver du travail dans son domaine car entre temps, informatique oblige, tout avait évolué plus vite que la musique. Et peut-être aurait-il fallu s’éloigner. Et quand on deux puis trois filles… Les premières ont dû d’ailleurs pas mal se prendre en charge pendant ce temps-là, ce qui n’a peut-être pas eu que des effets négatifs (enfin, je l’espère car ce n’est pas une certitude).
Revenons donc à notre nièce de 12 ans. Elle vit donc chez sa mère et va voir son père au moins une partie des vacances. Elle va voir aussi son autre grand-mère (du moins elle y allait). Ces deux personnages ne sont malheureusement pas des références très palpitantes pour qu’une telle gamine puisse se construire.
La première année où elle est venue à la maison, elle ne voulait rien manger de ce qu’on lui servait car cela sortait largement de son quotidien monotone que l’on pourrait résumer en « jambon-purée » ou en « steak haché-nouilles ». Probablement jamais de légumes verts frais (et même en conserve ?), jamais de poisson non carrés, jamais de fromage en dehors des yaourts premier prix, très peu de fruits. Et surtout, elle mange toujours seule quand elle est chez elle, ses parents ayant pris l’habitude depuis le restaurant de manger en décalé. Mais cette habitude logique à l’époque est devenue détestable après. Le repas ne constitue pas ce moment de « socialisation » familiale. Un moment qui n’est pas forcément positif dans toutes les familles, mais qui l’est quand même dans la majorité des cas. Cependant, d’années en années et singulièrement cette année, notre nièce s’est mise à manger de tout ou presque de ce qu’on lui offrait, même si elle reste très dissipée à table. Elle reconnaît elle-même que c’est bon et varié et qu’elle mange très bien chez nous. Elle qui a un appétit d’oiseau (elle est très grande pour son âge et maigre comme un clou) mange bien à la maison. Au détour d’une phrase, elle nous a avoué que le soir chez elle, il lui arrive de dire à sa mère qu’elle a encore faim. Et sa mère de lui répondre qu’elle est fatiguée et qu’elle n’a qu’à se débrouiller. Je précise qu’on ne lui a jamais montré comment se faire cuire des choses simples.
Sur le plan de la santé, ce n’est pas toujours flamboyant : eczéma et asthme ont des conséquences fâcheuses. Elle n’est visiblement pas suivie correctement sur le plan médical (eh oui, cela a un coût de se faire soigner). Il en a été de même lorsqu’elle s’était cassé le bras : la rééducation chez le kiné avait été jugée superflue. Certes, cela peut être le cas, mais si cela se fait en général, c’est qu’il y a sans doute une raison. Bref, j’ai le sentiment très net que la santé de la gamine n’est pas considérée comme une vraie priorité par ses parents. Je vais être plus vache en disant que les vraies priorités sont clairement la cigarette et l’alcool. La mère n’avait-elle pas dit un jour à Fromfrom que la cigarette était son seul luxe. Que dire de cela sinon une absence de prise de conscience (apparente ou avouée du moins) que l’on est drogué et que l’on ne tente pas de faire quelque chose pour y remédier. Mais la prise de conscience ou faire quelque chose n’est peut-être plus possible pour la mère ? Ou tente-elle par là une sorte de lent suicide plus ou moins inconscient ? Je ne sais pas.
Si l’on tente d’observer le niveau scolaire de la gamine (ce que j’ai fait l’an dernier et cette année), j’ai pu constater qu’il est assez faible dans l’ensemble. Le plus déstabilisant pour moi est surtout qu’elle ne montre aucune curiosité. Par exemple, elle n’a ouvert aucun des livres que nous avons à la maison, et pourtant nous sommes bien pourvus en livres illustrés et de qualité dans tous les domaines (Fromfrom avait beaucoup gagné à Questions pour un champion). J’ai la fâcheuse tendance à comparer par rapport au gamin que j’étais au même âge. Comme me l’a fait remarquer Fromfrom, cette comparaison n’est pas raison dans la mesure où j’ai pu bénéficier d’une cellule familiale autrement plus stable, stimulante et interactive. Pourtant, je n’étais pas un élève brillant ni un grand lecteur. Par ailleurs, il s’avère que cette gamine n’a pas la mémoire de ce qu’elle fait en classe. Elle n’a quasiment rien pu me dire de son programme de l’année dans les différents domaines scientifiques. Je suis également surpris qu’elle ne connaisse pas à cet âge ses tables de multiplication (je me souviens que je les maîtrisais en fin de classe de CE2). Bon j’arrête de faire mon « ancien combattant » et mon vieux schnock, mais force est de constater que notre nièce est bien délaissée sur le plan scolaire et il serait étonnant qu’elle fasse des flammes au collège dans les années qui viennent. C’est vraiment dommage et quelque peu rageant, d’autant qu’on ne peut pas faire grand-chose.