Parce que ça m'énerve à chaque fois à un point qu'on a peine à imaginer
Quand au début des années 1990, dans le cadre de mes études, j’ai commencé à m’intéresser aux cours d’eau et à leur gestion, la question de l’hydraulique fluviale, des crues, du risque inondation et de la gestion des espaces alluviaux a été posée avec force. En 1992, il y a eu la « fameuse » crue de l’Ouvèze qui a fait plusieurs dizaines de morts à Vaison-la-Romaine. Peu après, je me suis intéressé à la Loire où plusieurs centaines de milliers de personnes vivent en zone inondable. Et puis toutes ces catastrophes : il ne se passe pas six mois sans qu’il y ait des dégâts épouvantables et souvent des morts. Et à chaque fois que les médias relatent ces événements, je suis en général révolté. Pourquoi ? Par les morts de trop bien entendu. Mais aussi par toute une clique d’irresponsables et de meurtriers en puissance. Depuis les première lois de décentralisation du début des années 1980, les maires sont responsable des plans locaux d’urbanisme (ou assimilés) et de la délivrance des permis de construire. Or que fait-on ? Certes moins qu’avant, mais on continue allègrement à délivrer des permis de construire dans les zones inondables (ou soumises à d’autres risques). Depuis le début des années 1990, la réglementation sur l’urbanisation des zones inondables a été notoirement durcie et les fonctionnaires instructeurs des permis de construire dans les ex DDE font généralement bien leur boulot, mais les préfets n’assument pas toujours les décisions de refus qui devraient s’imposer. Comment un préfet s’oppose à un baron local qui a ses entrées au gouvernement ?
On va dire qu’on ne savait pas. Certains maires se réfugient souvent dans cette posture. Ce fut le cas à Vaison-la-Romaine ou à Chamonix après une avalanche particulièrement meurtrière. Mais à chaque fois, quelques journalistes (dont les enquêtes sont bien discrètement diffusés) finissent par nous révéler qu’on savait très bien, que les archives mentionnaient clairement ces risques que la mémoire de l’homme, très volatile, avait rapidement oubliés.
Et quid des études scientifiques pour savoir si une zone est concernée par un risque et son ampleur ? On s’en soucie parfois, la plupart du temps, on en fait l’économie. Car ça coûte cher. Et puis, il faut bien trouver des zones à urbaniser ma bonne dame. Et puis, il n’y a qu’à rajouter un rang de parpaings. Et puis la digue, elle est solide même si on ne s’est pas trop soucié d’elle depuis des décennies. Et puis il faut bien que les promoteurs immobiliers et leurs complices puissent s’enrichir tranquillement. Et puis, s’il y a un problème, les assurances paieront…
Toutes ces conneries, ajoutées à des conditions climatiques exceptionnelles expliquent les catastrophes dont celles du week-end dernier, notamment sur le littoral vendéen et charentais. Et pourtant, il faut le dire, ce qui est arrivé devait arriver et qu’on n’aille pas me dire qu’on ne savait pas. Le pire, c’est qu’on n’a fait aucun effort particulier pour alerter efficacement les gens et il n’y a eu quasiment aucune prévention.
Certes, on va dire que le « risque zéro n’existe pas » (j’ai horreur de cette expression), ce qui est vrai. Dans un pays où la culture du risque environnemental est très faible, il faudra encore combien de morts pour prendre vraiment les choses à bras le corps, pour garder la mémoire et arrêter de faire des conneries monumentales que les personnes à peu près bien informées s’inquiètent de voir venir à chaque fois ? Et sans paraître vénal, on estime pour cette fois les dégâts à un milliard d’euros. Qui va payer la nouvelle augmentation des primes d’assurance ? Assurément pas les promoteurs immobiliers, pas les élus coupables.