Nous avions depuis plusieurs mois parlé d’une petite virée à Chartres et dans la vallée de la Seine haut-normande à l’occasion du week-end prolongé de la Saint-Martin.
Fromfrom avait donc concocté avec mes parents un traquenard dans mon dos. Le premier novembre, je me vis offrir un fusil en plastique à bouchon (j’ai heureusement pu le refiler à un gamin que cela martyrisera toute sa vie, ou plutôt ses parents et grands-parents), une bouteille de piquette effervescente (inférieure au Pol Rémy pour ceux qui connaissent) et surtout un lapin en peluche, qui ne fut pas inutile pour exciter le chien de mes parents. Bien sûr, j’ai pensé assez vite au nounours que Lancelot emmène partout en vacances.
Puis vint le vrai cadeau. Une invitation dans un grand hôtel de Chartres ainsi qu’un repas précédé d’une visite des caves. Tout cela pour fêter mes 40 balais et les 5 ans jour pour jour de notre première rencontre physique en haut d’un escalier de la gare de Lorient. Déjà 5 ans, j’ai peine à y croire. Fromfrom m’a dit que ma mère lui avait rappelé combien elle avait été inquiète à l’époque durant tout un week-end parce qu’elle pensait que j’avais disparu. Durant 3 jours, je n’avais répondu ni rappelé sur aucun de mes téléphones fixe ou portable. Car bien sûr, je n’avais voulu dire à personne (sauf Karagar bien entendu) que j’allais voir quelqu’un en Bretagne. Et j’avais volontairement coupé tout lien. Un peu comme le cordon ombilical très virtuel qui me reliait encore à mes parents. Quelle folie ! Qu’étais-je allé faire dans cette galère ? Me corrompre définitivement avec la Bretagne et surtout avec les Bretons. Rencontrer des gens sans le moindre intérêt. Me récolter deux mariages sur le dos avec la même personne. Bref, déjà 5 ans d’enfer ! Mais je signerais bien pour le reste de l’éternité.
Ce 11 novembre, donc, nous sommes arrivés à Chartres en début d’après-midi (nous avions calculé notre coup pour passer aux abords de Paris à une période où la circulation automobile serait la plus fluide possible. Avant d’aller prendre possession de notre chambre, nous avons fait quelques passages en basse ville le long de l’Eure. Bien sûr, il pleuvait. Nous visitons l’église Saint-André, en réalité une ancienne collégiale romane du XIIe siècle. Au XIIIe siècle, on construisit un chœur au dessus d’une arche enjambant la rivière. On en voit encore les vestiges. L’intérieur accueillait une exposition d’art contemporain : quelques peintures sympas, beaucoup de pas terribles, mais surtout quelques sculptures de bronze pas mal du tout (pas de photos, malheureusement interdites).
Puis, nous allons prendre possession de notre chambre dans notre hôtel. Nous en profitons un peu (inutile de dire que pour moi, dormir dans une chambre pareille était une première).
Après ça, première visite à la cathédrale sous une pluie insistante. Quelques photos sans trépied, mais je n’insiste pas trop, car nous prévoyons de revenir le lendemain.
Retour à l’hôtel où la nuit tombe.
Juste le temps de se changer et nous voilà conviés dans les caves. L’un des sommeliers nous y conduit. Je n’en crois pas mes yeux. Nous visitons deux ensembles de caves, et c’est déjà énorme. Un troisième ensemble ne se visite pas et accueille la plus importante partie du stock, avec aussi les bouteilles les plus précieuses. Pas moins de 45 000 bouteilles en tout et 1000 références ! Le Cornus se sent minuscule. Pour le consoler, le sommelier lui offre un bon Montlouis pétillant, planqué entre deux rangées de bouteilles (ça, je ne m’y attendais pas). Avec les bulles, quelques amuse-gueule : gambas grillées, pâté en croûte chartrain maison, foie gras maison. Une discussion amusée s’engage sur les vins. Le jeune sommelier nous explique aussi son métier et ne surjoue pas son rôle.
Nous remontons finalement à la surface où le repas peut commencer. On nous positionne à un endroit stratégique de la salle où on peut à peu près tout voir. Je ne connais pas le menu (et Fromfrom non plus, elle m’avouera que c’était une surprise pour elle également). De fait, il s’agit d’un menu spécial et nous n’avons pas été déçus. On choisit d’abord les vins. Le sommelier, lui connaît le menu : il me laisse choisir un blanc ligérien presque bourguignon et décide du rouge qui sera tourangeau ; les deux se révèleront excellents (pas des vins de l’année, des vins dans la fleur de l’âge, un peu comme moi). Pendant ce temps, on a commencé à emplir un peu la salle, qui n’est néanmoins pas pleine. Sept personnes sont au service, dont trois sommeliers. La décoration est assez dorée, mais reste sobre. La musique est là mais est loin d’être envahissante. Tout se passe dans une ambiance feutrée, mais pas collet monté. Le rêve. L’ensemble du service, y compris les liquides, se fait naturellement et on ne se sent jamais épié.
Comme amuse bouche (encore ? ben oui, ce qu’on a eu à la cave ne compte plus), de la bettrave rouge dans tous ses états : chips, mousse, millefeuille avec de la Saint-Jacques. En entrée, carpaccio assaisonné de Saint-Jacques, accompagné d’une mousse de potimarron surmontée d’une émulsion crémeuse. En premier plat (en fait, c’est déjà le quatrième), une cassolette de Saint-Jacques mi-cuites avec une sauce orange sublime aux légumes, accompagnée d’un rouleau de printemps.
C’est le moment du trou normand, en réalité, un granité de pamplemousse. Nous nous apercevrons définitivement que nous sommes les seuls à avoir pris ce menu. Je pense au traquenard. Nul doute que le plat suivant sera constitué de Saint-Jacques. Gagné ! Elles sont cette fois bien cuites, accompagnées de cèpes et de rouleaux de pieds de cochon pannés reconstitués. Un régal, une nouvelle fois. Nous craignons le pire pour le fromage et le dessert. Mais, non, un somptueux chariot de fromage arrive. Le « meilleur fromage du monde » (dixit le regretté Bernard Loiseau) fait partie du choix et il se révèlera plus qu’à la hauteur. Le dessert ? Fromfrom a repéré de superbes soufflés qui arrivent sur des tables voisines. Mais nous, nous aurons droit à des soufflés spéciaux, au chocolat ! Alors là, je ne peux plus y croire. Comment Fromfrom a-t-elle pu dire qu’elle n’y était pour rien dans le menu ? Elle qui adore à ce point les Saint-Jacques et le chocolat (reconnaissons que je ne donne absolument pas ma part au chien). Eh bien apparemment non. Pleine saison de la Saint-Jacques oblige et le chocolat est un hasard ! J’ai fait mienne l’expression qu’avait le père de Fromfrom à qui à la fin d’un repas on demandait s’il voulait un café : « Je ne prends de café qu’après un bon repas ». Bon je ne l’ai pas dit à la serveuse, mais Monsieur a bien sûr pris un café. Puis (eh oui, on ne pouvait pas partir comme ça), mignardises maison : guimauves, pâtes des fruits et caramels au citron. Malgré toute notre bonne volonté, nous avons calé. En conclusion, un somptueux repas dans un grand restaurant gastronomique, c’était pour moi une première et j’en suis très heureux. Il faut bien des conditions exceptionnelles comme ça pour avoir l’idée d’aller dans de tels lieux de perdition. Merci de la chouette idée, Fromfrom !
Alors nous sommes montés nous coucher. Il fallait bien un minimum profiter de notre chambre de luxe.