Cette note montre peut-être une certaine naïveté de ma part, mais je crois être sincère avec moi-même.
Au printemps 1985, avec le collège, j’avais eu l’occasion de visiter une centrale nucléaire en construction dans la vallée du Rhône (voir ici). On nous avait expliqué l’intérêt et la force de cette technologie, sa sûreté compte tenu de la double enceinte de confinement (une enveloppe en béton armé, l’autre en béton précontraint, le double circuit d’eau…). Tout était sous contrôle, tout allait bien.
Et puis, moins d’un an plus tard, boum, un des réacteurs de la centrale de Tchernobyl en Ukraine, explosait, à cause de l’emballement de la réaction et d’un défaut de refroidissement. Et peu de temps après, on se prenait le « nuage » radioactif sur le nez sans que les autorités nous ai engagé à prendre des précautions particulières. Je me souviens très bien de la pluie qui était tombée la nuit lorsque le « nuage » était à son maximum. Franchement, à l’époque, personne n’avait vraiment cru qu’il s’était arrêté à la frontière.
Cet épisode m’avait profondément marqué (je n’étais pas le seul, assurément) et j’avais à l’époque lu beaucoup de choses dans les revues scientifiques de vulgarisation. C’est à cette époque que mes parents m’avait abonné à une de ces revues.
Et puis le temps a passé. Me voilà en 1991 quand dans le cadre de mon Diplôme universitaire de technologie en Génie de l’environnement, j’avais eu des cours de physique nucléaire et de radio-protection. L’enseignement était prodigué par un ingénieur du CEA en radio-écologie. Il était du genre à plaisanter lors de chaque cours et à charrier à peu près tout le monde (j’y avais échappé). Cela avait été le seul enseignant à nous payer un pot pour la nouvelle année, mais auparavant, il avait décerné des prix Nobel de physique pour les plus belles boulettes des uns et des autres qu’il avait relevé dans les copies des partielles. Pour les travaux pratiques, il était secondé par un de ses collègues qui m’avait intrigué. Outre le fait qu’il me paraissait très vieux, ce collègue, au caractère bougon mais bon enfant, semblait brulé sur le côté, avec une oreille atrophiée, presque absente. Conséquence d’une exposition accidentelle aux rayons γ, accident plus « conventionnel » ou malformation congénitale, nous ne l’avons jamais su. Ce cours n’avait pas été de la propagande pro-nucléaire, mais ce qu’on apprenait en terme d’expositions aux rayonnements et de ce qui se passait en réalité dans une centrale nucléaire était déjà dépassé. Dépassé par la compétitivité et la libéralisation au sein des centrales nucléaires qui commençaient à employer des intérimaires. Des intérimaires qui avaient le droit d’aller se faire exposer aux rayonnements et qui le reste du temps, pour ne pas dépasser les doses annuelles maximales admissibles, allaient travailler dans d’autres entreprises, notamment dans celle où travaillait mon père. J’avais du mal à y croire. Et pourtant, il est bien vrai que les exploitants de centrales nucléaires préfèrent les intérimaires précaires à leurs employés qu’ils seraient obligés de payer à ne rien faire dès lors qu’ils ont atteint leurs doses annuelles. Tout cela, c’était avant la libéralisation du marché de l’énergie après 1995 et plus encore depuis les privatisations des années 2000. J’écoutais vendredi soir un reportage où on disait que les conditions de travail de ces gens étaient épouvantables et que de grands risques étaient pris pour leur sécurité, celle de l’installation et donc la notre. La précarité du travail engendre des prises de risques très fortes de la part des ouvriers qu’ils taisent pour être embauchés la prochaine fois. Combien de contaminations, combien de cancers à retardement ?
J’avoue, que sans être pour, je n’étais pas contre l’énergie nucléaire, même si j’ai toujours dénoncé le manque de transparence pour ne pas dire le mensonge organisé. Et encore, je ne pense qu’à la France car il existe des centrales nucléaires un peu partout dans le monde qui ne sont pas forcément entre des mains toujours innocentes ou pacifiques.
Et puis, on a des besoins énormes en énergie (même si l’on pourrait faire de notables économies) et je vois mal le pays se remettre aux énergies fossiles, ni assurer tous les besoins avec les énergies renouvelables actuelles qui ne sont pas complètement opérationnelles.
Je ne souscrivais pas vraiment au discours « écolo », parfois excessif et entaché d’approximations scientifiques. Mais j’ai depuis quelques années, entendu des propos beaucoup plus posés et responsables. Tandis que d’un autre côté, les autorités officielles continuent de mentir et de minimiser. Et puis je me suis dit que si Green*peace et la CRI*IRAD n’avaient pas raison sur toute la ligne, ils avaient quelques raisons de tirer la sonnette d’alarme. Mais pour moi, cela n’allait pas plus loin.
Et puis il y a eu ce séisme, ce tsunami au Japon. Et les Japonais ne sont pas les êtres les plus idiots de la planète et pourtant la situation, certes exceptionnelle, leur a échappé. Et c’est une nouvelle catastrophe épouvantable. Le Japon est irrémédiablement souillé. Là-bas aussi, la libéralisation et la recherche du profit ne sont peut-être pas totalement étrangères à ce qui est arrivé. Et malheureusement, c’est loin d’être terminé…
Il est rare que l’actualité ait une telle influence sur moi. Mais cette fois, elle a opéré un basculement, même si ce dernier était latent depuis un bon moment. De sceptique, me voilà devenu un opposant aux centrales nucléaires. Sortir du nucléaire me semble irrémédiablement la meilleure solution pour limiter un des risques d’extinction de plusieurs pans de la biodiversité et de l’humanité.