Vacances juilletistes 2010 (1)
Le jour du 14 juillet, nous partîmes vers 9 heures. Au fil des kilomètres, la chaleur montait. Je ne suis pas forcément un immense adepte de la climatisation, mais je préfère y recourir – avec mesure – sur l’autoroute au lieu de se faire, vitres ouvertes, arracher la tête. Au moment du repas, sur une route assez peu circulée pas très loin de Chaource dans l’Aube, malgré l’ombre, on sentait déjà bien la chaleur. Après le sandwich fromfromien, nous reprîmes le volant dans les plaines céréalières de l’Yonne et de la Côte d’Or. Le thermomètre de la voiture passa alors au dessus des 30 °C. Mais l’arrivée en pays éduen central nous ramena sous la barre des 30 °C. Et les derniers 6 km de grimpette nous firent atteindre 25-26 °C. A peine arrivés, ce fut l’orage, heureusement sans gravité.
Le lendemain, en fin de matinée, j’étais curieux d’essayer la nouvelle débroussailleuse que mon père venait d’acheter. Depuis des années, je lui disais que l’ancienne, vieille de trois décennies était non seulement dépassée, capricieuse, peu pratique, mais vibrait abominablement. Et je refusais de m’en servir, préférant des objets de coupe non mécaniques. Mais mon père disait qu’elle allait très bien et qu’il n’avait pas les moyens de s’en payer une autre. Mais ce printemps, il a fini par avouer que même lui n’arrivait plus à la tenir en main tant elle vibrait ; sous-entendu, jusqu’à présent, je n’étais qu’un « pouillot » si je n’étais même pas capable de me servir de l’engin (pas de méchanceté de sa part, surtout sa mauvaise foi légendaire). Premier contact avec la bête : elle n’est pas légère, mais elle est sustentée par une sorte de harnais style sac à dos. Démarrage impeccable. A l’usage aux abords de la chaussée de l’étang (pour couper les ligneux qui ne sont plus limités par les vaches qui n’y pâturent plus), la machine se révèle increvable. Contrairement à l’ancienne, elle ne cale jamais, elle s’arrête juste de tourner en cas d’obstacle ou si elle se coince et redémarre quand on remet les gaz. Que du bonheur. Le lendemain matin, j’ai fait le tour de l’étang avec l’engin afin de couper les jeunes Aulnes glutineux, Bouleaux, Saules cendrés et à oreillettes et autres Ronces, Aubépines, Frênes communs… mais j’ai commis l’erreur de positionner son centre de gravité trop en avant et de trop me servir de mes bras au lieu de mes « reins ». Résultat, les jours suivants, d’abominables courbatures aux biceps. Mais à présent avec l’entrainement, s’il y a des amateurs de bras de fer…
Le 17 juillet au soir quelqu’un avait proposé dès 16h30, un enduro à la carpe, autrement dit, une pêche qui durerait toute la nuit jusqu’au lendemain en fin de matinée. Je précise que les carpes sont sensées mordre davantage la nuit. Admettons. La veille, les protagonistes de l’enduro avaient amorcé de façon extrêmement savante avec force diversité de graines, bouillettes (oui, c’est comme ça qu’on appelle des farines complexes agglomérées et savamment colorées et parfumées), fragrances exotiques ou non, tout un tas de choses improbables et sophistiquées avec des tas de poudres ou plutôt de liquides de perlimpinpin. Moi aussi, j’avais amorcé mon coin habituel avec un simple maïs précédemment cuit avec une vieille cocotte-minute.
A 16h30 donc, personne (nous apprendrons ultérieurement qu’un des pêcheurs avait du retard). S. et moi tendons donc nos trois lignes à carpes, complètement dépareillées et pour le moins rustiques. La canne la plus ancienne est celle que mon père utilisait au brochet et n’a pas loin de 35 ans (une Shakespeare) sur laquelle j’ai monté un gros moulinet Mitchell à la mode il y a 25 ans. La deuxième, une Silstar passe-partout de 25 ans sur laquelle j’ai mis un autre moulinet Mitchell : une version ultime haut de gamme d’un modèle initial conçu en Savoie en 1948 et que j’avais acheté il y a plus de 15 ans. Enfin, la troisième canne, achetée en solde il y a trois ans, est une canne d’entrée de gamme, mais spécifiquement conçue pour la carpe et je l’ai équipée d’un moulinet Michell (hélas, ce n’est plus du made in France) acheté sur internet. Les cannes étaient fixées sur des supports faits maison (ancienne usine de mon père) en acier rouillé, solidement plantés dans le sol.
A 17h30, les autres pêcheurs n’étant pas encore arrivés, nous quittons les lieux. Lorsque nous revenons une heure plus tard, les pêcheurs sont déjà à moitié installés. Après les avoir salué, je retourne voir mes cannes et je constate qu’en mon absence, une carpe a trouvé le moyen de mordre et m’a cassé le bas de ligne. Je le change et demande un plomb de secours à l’un des pêcheurs. Je ne me presse pas, mais je retends ma canne. A ce moment là, 3 autres pêcheurs et leurs 12 autres cannes sont en action de pêche. Matériel évidemment de pointe et spécifique pour cette pêche. Les enfants et épouses sont aussi là et on prépare l’apéritif avant le barbecue sur site.
Vers 21 heures, nouveau départ sur la canne précédemment retendue. Contact est pris. La belle saute à près de 50 m du bord. Plus loin on s’affole, on s’excite. Je reste de marbre. Fort heureusement, car la reine des Cyprinidés recrache l’hameçon comme si de rien n’était. Un des pêcheurs veut vérifier que mon hameçon piquait bien, et il est presque déçu de constater que tout est en ordre. Par acquis de conscience, je retends. Nous mangeons à présent avec les pêcheurs et rien ne bouge. Comme je ne suis pas fou au point de passer une nuit presque blanche dans la fraîcheur et l’humidité de l’étang, je retire mes lignes et S. et moi allons nous coucher à la maison (les épouses et enfants rentreront se coucher peu après également).
Dès lors, je donnais peu de chance de réussite à mes pêcheurs. Le Cornus, il n’est peut-être pas très futé, mais les carpes de Saint-Georges, il les connaît par cœur.
Le lendemain matin (nous sommes le 18 juillet), je me lève peu après 6 heures et je descends à l’étang voir où en sont mes acolytes. Rien n’a bougé. Je tends mes lignes, mais je n’y crois qu’à moitié. Un des pêcheurs, pour tuer le temps, prend un brochet de 71 cm qu’il décide de relâcher (j’en prendrai un à peine plus petit le surlendemain, mais que nous déciderons de manger). Peu avant midi, aucune carpe au tableau.
Vers 16h30, je retends mes lignes. Après le dîner, je descends surveiller mes lignes. C’est calme. Seuls quelques petits poissons mouchent à la surface. Des Gerris (« araignées d’eau ») viennent contrarier le fil de mes lignes. Je me couche sur la chaussée et j’observe la fin de course du soleil et l’excellent premier quartier de lune qui se reflète dans l’eau assombrie. L’humidité tombe, les moustiques commencent à ronronner. Je relève le col de ma veste. Et je songe. Et je pense aux anciennes parties de pêche en solitaire à la carpe. Le temps tourne, le ciel s’assombrit encore. Au moment où je m’apprête à aller me dégourdir les jambes jusqu’au déversoir de l’étang, le moulinet (encore la même canne) se met à gémir. Ça y est, c’est reparti. C’est du capricieux et du lourd. J’ai du mal à y voir clair dans cette pénombre. Mais quelques minutes plus tard, je mets la bête dans l’épuisette. Un cri intérieur de triomphe résonne en moi (cela faisait cinq ans que je n’avais pas capturé un engin de cette taille). Je n’ai pas le courage de remonter la bête à la maison et en plus je risque de déchirer mon filet. Je reviens donc chercher la voiture. J’annonce à S. que la carpe fait dans les 6 kg (je minimisais volontairement), mais la suite nous montrera qu’elle pesait près de 13 kg.
Et bien sûr, sitôt arrivés à la maison, « épluchage » du poisson et tout ce qui va bien. Bref, près de deux heures et demi de boulot. Car bien sûr, envisager de cuisiner un tel poisson farci relève du doux rêve : il n’y a pas beaucoup de fours capable de l’avaler, sans compter qu’on n’avait pas envisagé d’inviter 30 personnes. Donc, j’ai levé les filets et ce fut ma mère qui s’occupa d’en cuisiner une partie en meurette (ben oui, c’est pas forcément très connu, mais ça se fait, et c’est bon).
Alors voici la bête (ou les bêtes) :
Un échantillon des filets :
La meurette (le parasol rouge amplifie la couleur) :