Ma mère (1) : contexte
Je reprends les mots de mon père : ma mère « tire ses dernières cartouches » en ce moment. Avant le 21 avril et malgré mes avertissements, il n’avait pas réellement conscience de l’état réel de ma mère, d’où le choc violent qu’il a eu en apprenant la dégradation brutale de son état. Les premiers jours du retour de ma mère à l’EHPAD, il pensait que ça irait et en effet, il y avait une forme d’espoir. Mais la situation s’est de nouveau dégradée. Lundi, un des médecins lui a clairement dit qu’il fallait penser à contacter les pompes funèbres (j’ignore la façon dont cela a été formulé). Il a donc très bien compris, c’est clair. Et il est effectivement allé à la boutique des pompes funèbres le lendemain avec mon oncle.
Ma tante qui a pourtant vu ma mère à plusieurs reprises ces derniers temps (la dernière fois samedi à l’hôpital) est complètement affolée à l’idée de voir mourir sa sœur. Cela se comprend parfaitement, mais je pense qu’en général, elle ne réalise les choses qu’avec un temps de retard. Par exemple, elle n’a compris que tardivement les problèmes cognitifs de ma mère. Elle l’avait d’ailleurs appris à ses dépens lorsqu’à l’occasion d’un repas de fin d’année, ma tante avait dit à ma mère, de manière anodine, qu’elle ferait bien d’aller se promener dans la rue (peu fréquentée) pour faire un peu d’exercice. Elle lui avait répondu un violent « tu me fais chier » qui avait clos toute discussion. Ma mère n’avait absolument pas pour habitude d’avoir de tels propos (ni aucune autre forme de grossièreté), en particulier avec sa sœur. Il était néanmoins déjà arrivé qu’elle prononce de tels mots, quand elle allait encore bien, mais pas avec une telle violence et quand je la poussais au bout du bout (pas par méchanceté mais par jeu, d’autant que c’est quelque chose que j’avais appris à faire depuis mon adolescence – le côté « rebelle » de mon âge ingrat). Je dois dire qu’un peu plus tard, le fait de pousser à bout ma mère se faisait parfois en stéréo quand mon père s’y mettait de son côté. Je précise que cela n’était que superficiel et c’était oublié immédiatement. Cependant, bien plus tard, au fur et à mesure que les problèmes cognitifs sont arrivés, elle s’est mise à nous dire cela de manière de plus en plus fréquente et avec une forme de violence, au départ parce qu’on lui demandait des choses assez normales et logiques (qui demandait un effort, même faible) et ensuite parce qu’on l’empêchait de faire quelque chose qui n’était pas bon pour elle (comme aller se coucher à tout moment de la journée – les médecins demandaient d’y être attentif) ou encore au milieu d’une conversation qui ne la concernait même pas.
Quand on ne vit pas au quotidien avec une personne, on ne se rend pas compte du véritable état cognitif dans lequel elle se trouve. Lors de la première opération du genou de mon père au printemps / été 2018, je n’avais moi-même pas pleinement conscience de l’état réel de la situation, mais je l’ai compris grâce à mon autre tante (la sœur de mon père) qui avait passé un temps à la maison, par les mots « démence vasculaire » écrits pas son médecin traitant pour constituer le premier dossier d’aide du Département, puis par moi-même, à l’occasion d’un week-end prolongé. En sa présence, ma mère arrivait à donner le change en se servant de mon père comme une béquille… mais en son absence, cela ne fonctionnait plus. En revanche, la sœur de ma mère, qui avait pourtant passé plusieurs semaines à la maison presque en continu, n’avait pas du tout compris l’ampleur du problème, qui restait pourtant encore gérable à l’époque. Le « tu me fais chier » avait donc, l’année suivante, fait l’effet d’un coup de tonnerre.