Le Cépiau (1)
Voici, en première mondiale, le premier et court épisode d’une insignifiante et maladroite fiction. Mes lecteurs me pardonneront-ils ?
Le Cépiau était un homme assez petit, osseux, non pas maigre, mais il possédait un squelette saillant. Il était loin de disposer d’un corps « bodybuildé » et prétentieux, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des muscles d’acier. Pour s’en assurer, il fallait l’avoir vu enfoncer des piquets de clôture à la masse ou abattre un vieux châgne de pian à la cognée. L’hiver habitait en lui puisqu’il était presque systématiquement habillé de gris, des vêtements non pas gris par essence, mais qui s’étaient délavés en cette couleur à force d’exposition aux intempéries. L’avait-on vu un jour arborer des vêtements neufs ? Personne au village ne le savait. Et puis, il y avait ce chapeau de feutre noir qu’il portait en permanence et qu’il lui avait valu son nom. Un chapeau à larges rebords qui lui permettait de se protéger à la fois des pluies froides et des rayons brûlants du soleil estival.
Le Cépiau était un homme sans âge, c’est-à-dire que parmi les villageois, personne n’était en mesure de lui donner un âge. Cela s’expliquait par son allure, ses vêtements qui le vieillissaient incontestablement. De plus, comme il passait une bonne partie de son temps en plein air, à travers les bois, le bocage, le long des rivières, par tous les temps, le soleil et la pluie, malgré les rides creusées, avaient poli sa peau. Cependant, tout bien pesé, on s’accordait à penser qu’il devait avoir une quarantaine d’années. Le Cépiau avait un visage plutôt fin, avec de grands yeux gris clair. Avec ses sourcils noirs et épais, cela lui donnait un air extrêmement sévère et ce regard lui permettait de fusiller tous ses adversaires potentiels. Il disposait aussi d’un nez assez grand mais élégant, légèrement busqué. Ce nez était un de ses outils indispensables à l’exercice de ses talents puisqu’il avait un odorat extrêmement développé.
Le Cépiau habitait Les Ravatins, une ferme isolée à l’orée de la forêt. Une immense forêt sombre où seuls les bûcherons et les chasseurs osaient s’aventurer. Pour arriver chez lui, il fallait emprunter un long chemin de terre plus ou moins bien empierré et où les ornières étaient fréquentes et ralentissaient la progression des voitures. En contrebas, coulait la Canche, une magnifique rivière qui serpentait parmi les grandes prairies du Comte et où paissaient dans l’herbe toujours verte, plusieurs troupeaux de charolaises.
Le Cépiau avait un atelier au village, il était ébéniste (dans son jeune âge, il avait été compagnon du tour de France). Il ne faisait qu’y travailler, notamment les quatre premiers jours de la semaine. On ne savait jamais où il se trouvait entre son atelier, son domicile, la visite à ses clients, les déplacements avec les marchands de bois et même l’ingénieur des eaux et forêts lorsqu’il s’agissait d’aller choisir un arbre sur pied. Il se déplaçait indifféremment à vélo, en cyclomoteur, en camionnette, et bien souvent à pied. Bref, il était insaisissable. Le seul instant où on était sûr de le trouver, c’était le lundi matin à son atelier. Et le reste du temps, il exerçait une autre activité clandestine. Non pas une activité criminelle, non pas une activité rémunératrice, mais une activité néanmoins répréhensible.
A suivre.
* châgne : chêne, le plus souvent, dans cette situation, Quercus robur L. (Chêne pédonculé).
* pian : synonyme de bouchure, haie.