Voici donc la suite de l'histoire. Car oui, même si c'est vraiment pas terrible, je n'abandonne pas l'affaire. Les épisodes précédents sont ici :
Le Cépiau (1)
Le Cépiau (2)
Le Cépiau (3)
Le Cépiau (4)
Le Cépiau (5)
Le Cépiau (6)
Le Cépiau (7)
Le maire-comte et le curé s’étaient entendus. Pour éviter tout scandale, malgré l’athéisme revendiqué du Cépiau, on ferait une rapide cérémonie à l’église et on irait ensuite le repiquer au cimetière. De toute façon, personne n’irait protester contre une telle décision.
Au bistrot en face de la gare, Maurice s’était installé à la table qui lui permettait de voir arriver par la fenêtre le train de Robert. Maurice était extrêmement nerveux. Pour se calmer, il avalait son troisième passetoutgrains, lorsque enfin il vit l’ingénieur des eaux et forêts se pointer. Maurice se précipita dehors.
- Bonjour Robert, te voilà enfin. Si tu savais, je ne vis plus…
- Bonsoir Maurice. Tu sais, il me fallait bien la journée pour revenir, l’administration n’a pas les moyens de me payer l’avion. Et puis, il faut que tu te calmes. Moi aussi, ça m’a fichu un coup, le Cépiau et moi, c’était aussi une longue histoire. Il nous faut raisonner pour essayer de tirer cette histoire au clair. Ce matin, avant de partir de Montpellier, j’ai pu passer un coup de fil à Yves. Il nous attend au commissariat.
Les deux compères montèrent dans la camionnette de Maurice et en moins de cinq minutes, ils furent sur place. Yves attendait nos deux compères. Il vint les accueillir en bas des escaliers.
- Salut Robert. Un peu désolé de se voir en de telles circonstances…
- Bonjour Yves, je suis venu avec Maurice, un autre ami du Cépiau.
- Bien, à cette heure, il faut que je donne congé à mes gens. Je vous rejoins dans mon bureau à l’étage.
En montant, Maurice ne put s’empêcher de détailler le travail des escaliers de bois. Il crut y voir la patte du Cépiau.
- Bon, eh bien dites-moi tout !!
- Maurice et moi pensons que la mort du Cépiau est suspecte. Certes, il lui est arrivé de faire des virées, certes il aimait les bonnes bouteilles, certes il avait le vin joyeux, mais une chose est sûre, le Cépiau n’était pas du genre à être ronflé comme un parrain quand il avait du boulot. Et justement, le matin où on l’a retrouvé sec, Maurice devait le retrouver pour travailler ensemble.
- Et tu penses que…
- Je pense que les gendarmes chargés de l’enquête là-bas ne sont qu’une équipe de bras cassés. A vrai dire, quand on n’est même pas capable d’attraper les voleurs de poules, il ne faut pas trop s’étonner de la pertinence des investigations.
- Oui, j’en ai entendu parler. Mais tu sais que je ne peux pas intervenir à la gendarmerie, à moins que…
- A moins qu’on trouve quelque chose de flagrant qui permettrait de rouvrir l’enquête.
- Exactement, mais il nous faudra du solide. Et à ce moment là, on pourra les dessaisir. Mais c’est à vous d’aller fouiner là-bas. Moi, je dois rester dans l’ombre.
- Très bien, Maurice et moi partons au village demain matin à la première heure.
Le lendemain matin, peu après 7 heures, la camionnette s’arrêta devant la boutique de la mère Vieillard. Cette dernière tenait un bar-restaurant-épicerie tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Il était donc tout naturel que Maurice et Robert mettent cette étape au menu de leur enquête, d’autant plus que la mère Vieillard était une des rares personnes du village qui appréciait vraiment le Cépiau. En effet, il venait souvent la visiter et ils mangeaient régulièrement du poisson ensemble. Elle disait tout le temps : « Cépiau, que lai diable ait vôt’ pouchon, vôt’ pouchon est tout ! ». Effectivement, si la mère Vieillard aimait cuisiner, elle avait horreur d’éviscérer les poissons.
Les deux compères entrent dans le bistrot, ils sont les premiers clients.
- Bonjour mère Vieillard, comment allez-vous ?
- Bonjour Maurice, boujour Robert. On fait aller, mais c’est pas la joie avec la mort du Cépiau. Qu’est-ce que je vous sers ?
- Deux ptiots cafés.
- Alors, qu’est-ce qui vous amène au juste ?
- La mort du Cépiau, vous pensez bien. On ne croit pas trop à une mort naturelle.
- Tiens donc, figurez-vous que je me pose moi aussi des questions.
- Vous aussi ?
- Oui, moi ce qui me paraît bizarre, c’est qu’on n’a pas retrouvé le chapeau du Cépiau.
- Alors ça, fit Maurice, c’est impossible, il ne le quittait jamais, hiver comme été, sauf pour dormir.
- Oui, il ne l’aurait pas quitté pour un empire.
- Avec le fait qu’on l’ait retrouvé bourré, cela fait déjà deux choses suspectes, marmonna Robert.
- Trois, déclara la mère Vieillard.
- Trois ? Quoi d’autre ?
- Eh bien la veille que l’on a retrouvé le Cépiau sec le long de la rivière, je l’ai aperçu avec le curé avec son vélo près de l’église. Curieux, non, en compagnie du curé ? Et ils n’avaient pas l’air de s’engueuler cette fois.
- Bizarre en effet. On ne peut pas imaginer ces deux là autrement que de se cracher des insanités à la figure.
- Et je crois bien qu’il n’avait déjà pas son chapeau sur la tête.
- A croire qu’on ne parle pas du même homme, fit Maurice.
C’est alors qu’on vit rentrer Charles, complètement affolé.
- Qu’est-ce qui t’amène, Charles, demanda la mère Vieillard ?
- J’ai vu la voiture de ces Messieurs garée devant chez toi, et je me suis dit qu’il fallait que je les voie de toute urgence.
- Ah oui, Charles, et en quel honneur, demanda Maurice ?
- Moi, j’ai une idée, fit Robert. Il se demande s’il ne va pas se retrouver au chômage. Le Cépiau venait de l’embaucher après que le comte l’eut mis à la porte.
- Oui, et maintenant, c’est pas le comte qui va le reprendre après toutes ces histoires, déclara Maurice. Bon, que veux-tu, Charles ?
- Robert a raison. Avec la mort du Cépiau, je suis grillé partout dans le village, vous pensez bien. Personne ne voudra plus jamais me faire confiance.
- Encore que ne pas être copain avec le comte soit plutôt une qualité à mes yeux, déclara Maurice.
- Ce n’est pas si grave, fit Robert. Si ce n’est que ça qui te tracasse, je verrai ce que je peux faire avec mon administration et on trouvera bien à te recaser quelque part.
- Merci Robert.
- Ne me remercie pas, Charles, tu es un bon gars dans le fond. Le Cépiau ne s’y trompait pas.
- Et puis il y a autre chose. Une chose curieuse, dont je viens tout juste de m’apercevoir. Le paquet de taupicine que je gardais dans ma remise a disparu.
- Très curieux en effet, d’autant que ce n’est pas la saison où on empoisonne les taupes, fit Robert. Tu n’as rien dit à la gendarmerie ou à quelqu’un d’autre au moins ?
- Non, vous êtes les premiers à qui je dis ça.
- Eh bien, s’écria Robert, continue ainsi, ne dis plus rien à personne. Et toi non plus mère Vieillard. Maurice et moi, allons poursuivre notre enquête parallèle. Pas un mot à personne.
Maurice et Robert avalèrent leurs seconds cafés et, alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, le facteur entra.
- Ah, voilà not’ facteur, s’écria la mère Vieillard.
- Bonjour facteur, dit Maurice en l’invitant à s’asseoir. Nous voulions justement vous rencontrer.
- Bonjour Messieurs. Que voulez-vous ? C’est pour une lettre, un paquet, un mandat ?...
- Non, non, dit Robert. C’est juste que nous voudrions quelques éclaircissements sur le Cépiau.
- Le Cépiau ? Mais, je le connaissais à peine !
- Oui, nous le savons, fit Maurice. Mais c’est bien vous qui l’avez retrouvé le long du chemin le long de la rivière ?
- Pour ça, oui, c’est bien moi qui l’ai trouvé le Cépiau. Etendu de tout son long qu’il était. Et puis déjà tout froid et tout raide.
- Et son chapeau ?
- Son chapeau ? Je n’en sais rien.
- Avait-il son chapeau quand vous l’avez trouvé, s’impatienta Robert.
- Eh bien, maintenant que vous le dites, non, il n’avait pas son chapeau. Les gendarmes l’ont aussi remarqué. Et puis, qu’est-ce que cela peut faire ?
- C’est essentiel, répondit Maurice. Et les gendarmes ont-ils retrouvé le chapeau ?
- Ça, vous n’avez qu’à aller le leur demander.
- Très bien, très bien, fit Robert. Nous vous remercions. Au fait, mère Vieillard, le docteur Rouleau, où peut-on le trouver ?
- Eh bien, ce matin, vous le trouverez sûrement à son cabinet au Moulin Roypol.
- Très bien, merci, répondit Robert en sortant du bistrot. Nous mangerons là à midi.
Sur ce, Maurice et Robert se mirent en route en direction du Moulin Roypol.
A suivre.