En première année à l’Institut universitaire de technologie à Tours, j’ai connu une forme particulière de bizutage. L’opération s’est déroulée la deuxième semaine de notre arrivée là-bas.
En ce qui me concerne, je n’avais que peu voyagé avant de me retrouver un peu isolé à Tours, à 500 km de mes parents ou de toute autre chose connue. Avec ma timidité encore bien implantée en moi à l’époque, avec ma naïveté, l’affaire ne s’engageait pas forcément très bien pour moi. Bien sûr, je ne savais même pas que nous serions la cible d’un bizutage. Je tiens à préciser que ce bizutage n’a pas versé dans les excès dont on a déjà entendu parler à plusieurs reprises dans les médias, mais je dois quand même dire que c’était une furieuse connerie.
Tout commença par l’affichage sur le tableau d’un cours supplémentaire d’une heure à 18 heures. Ce cours avait été ajouté pour répondre aux nouvelles directives du programme : un cours de physique nucléaire. Le professeur, que nous ne connaissions pas (mais qui n’était pas un imposteur), fit son entrée dans l’amphithéâtre à l’heure prévue. Il commença son cours de façon presque normale. Ce qu’il nous racontait et écrivait au tableau était crédible, réel, mais était exécuté à une vitesse foudroyante. Nous avions tous vraiment du mal à suivre, mais ça se tenait. Au bout de longues minutes, le professeur déclara que ce qu’il venait d’expliquer allait être illustré par un petit film. Le noir total se fit et le professeur disparut. Par l’arrière de l’amphithéâtre cependant, on entendit une clameur, puis une lueur. Des individus, vêtus de blouses blanches et de capuchons blancs façon Ku Klux Klan, avec chacun une bougie à la main. Ils nous encerclèrent. Il s’agissait bien entendu des « camarades » de seconde année. Dès cet instant, débutèrent les petites humiliations stupides de potaches écervelés du genre boire dans un simili pot de chambre, les barbouillages divers à la mousse à raser, à la farine, aux colorants divers dont le bleu de méthylène. Nous fûmes ensuite attachés avec un antivol autour de la tête et tous reliés par une grosse corde, une main attachée avec une autre personne (un garçon et une fille). Nous dûmes déposer nos affaires dans une pièce (cartable, sac, veste et une chaussure) : tout cela afin que nous puissions pas nous échapper avant la fin des « réjouissances ». Ensuite, on nous emmena manger au restaurant universitaire (chacun devant bien sûr payer, même s’il n’y mangeait jamais – moi, j’y mangeais midi et soir). Je ne me souviens plus du menu qui était tout à fait ordinaire, mais je me rappelle très bien que l’on nous empêcha de prendre des couverts (je rappelle que l’une de nos mains était liée). Après avoir mangé quand même, place pour une nouvelle séance d’humiliations ridicules. J’étais à la fois angoissé de ne pas retrouver mes affaires (nous étions environ 130 bizuts), d’avoir encore à subir des conneries pendant des heures voire des jours et en colère de voir ces conneries se poursuivre. Je dois vous dire que j’ai ressenti à ce moment là une grande solitude parmi ces plus de 250 personnes. La soirée devait se poursuivre ensuite dans une boîte de nuit à 2-3 km à peine d’ici. Mais nous avions encore notre antivol autour du coup, impossible à enlever. Il y avait un indice écrit dessus permettant de retrouver notre « maître » quand nous serions en boîte. Le mien (l’indice) était à peu près illisible et je l’avais perdu dans la bataille. On commença à nous rendre une chaussure pour aller en boîte. Ceci fait, je réussis à reprendre mes affaires et je fis en sorte de partir malgré toutes les protestations. Je réussis à téléphoner aux propriétaires de ma chambre d’étudiant et ils étaient inquiets : il se faisait tard et je devais appeler mes parents ce soir là (pas de téléphone portable à l’époque) et comme je ne m’appelais pas, ma mère s’était affolée. Il n’y avait plus de bus (il était environ 23 heures), alors le propriétaire vint me chercher en voiture. Arrivé à la maison, il s’acharna quelques instants pour couper le câble de l’antivol.
Ce que j’avais fait là n’était, paraît-il, pas très « sport » et je n’eus pas de « parrain », en fait une « marraine ». J’étais grillé, l’« intégration » était ratée. Peu m’importait, mais je ne pus bénéficier de son aide. Je n’ai dû compter que sur moi-même et je ne m’en suis pas plus mal porté. Certains ont essayé de me faire passer pour un ours mal léché. Je n’étais pas le seul : une de mes camarades avait très mal réagi face à ce qu’elle avait ressenti comme une agression. A l’époque, mes « collègues » n’avaient pas compris que sa réaction n’était pas si anormale. Je n’étais pas sur la même longueur d’onde que les autres (du moins la grand majorité). Moi aussi, je me suis senti agressé et je n’ai pas ri un seul instant à cette stupide mascarade.
Lorsque je me suis retrouvé en seconde année, la coutume voulait que l’on fasse subir le même traitement que ce que l’on avait subi. Dans mon option, nous n’étions pas très motivés, mais je crois que je fus un des rares à me contenter de faire l’entrée dans l’amphithéâtre avec mon costume et ma bougie. Ensuite, je me suis immédiatement sauvé.
Voilà, pas de quoi casser trois pattes à un canard boiteux, mais c’est quelque chose qui m’a marqué. Mes chers lecteurs ont-ils eu des expériences similaires ?