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Cornus rex-populi
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28 août 2019

Une lettre de 69 ans

J’ai retrouvé une lettre chez mes parents (qui n’était pas perdue mais aurait pu être mise à la poubelle) que ma grand-mère Jeanne a écrite le 24 novembre 1950 à son fils aîné (André) qui faisait son service militaire en Allemagne. Ce fils, elle ne l’avait revu tout au plus que quelques rares fois depuis 1940 et sans doute en coup de vent. Il vivait avec son père et était aussi sous l’emprise du curé de la paroisse (La Celle-en-Morvan), sa mère étant considérée dans tout le village comme une mauvaise mère suite à son divorce. A l’époque, les mères n’avaient pas les droits qu’elles ont aujourd’hui, surtout avec un père déficient. Heureusement, mon père et sa sœur avait suivi leur mère dans la Loire (Rive-de-Gier) suite à la mutation du nouveau futur mari de ma grand-mère (Maurice Renault). Et puis, c’était la guerre et on ne peut définitivement pas comparer avec la situation actuelle…

Cette lettre est la seule du genre et elle a avait été retrouvée chez le père d’André car André est mort en 1986 (de mémoire) et avait donc dû récupérer cette lettre à sa mort, laquelle a été conservée jusqu’en 1991.

Je reproduis donc la lettre de ma grand-mère, en retirant les fautes d’orthographe (elle n’était allée à l’école que jusqu’à 12 ans) et en ajoutant la ponctuation. Elle a 44 ans lorsqu’elle écrit à son fils de 20 ans. En italique entre accolades, des précisions de ma part.

 

Rive-de-Gier, vendredi 24 novembre

Mon Cher André,

Depuis quelques jours, je remets à t’écrire, mais le temps passe, ce n’est pas pour cela que tu es oublié, bien au contraire, nous parlons de toi et nos pensées de suivent. Aujourd’hui, nous avons reçu une lettre de notre mémère {la mère de ma grand-mère, restée dans le village du Morvan} qui nous donne ta nouvelle adresse. Nous sommes heureux de te savoir en bonne santé. J’espère que tu ne seras pas trop malade de tes piqûres ; tu nous raconteras cela car j’espère que tu nous donneras toi-même de tes nouvelles. Si tu as besoin de quelque chose, dis-le car tu sais bien que tu es pour moi et même Maurice, autant que ton frère et ta sœur : tu nous diras ta vie à la caserne et si tu es bien nourri. J’espère que vers toi, il ne fait pas trop mauvais, ici il pleut un peu mais presque rien et pas froid, c’est toujours ça. Roland {mon père qui avait 14 ans} travaille bien à l’école, toujours quelques fautes ; il est 9e sur 33, ce n’est pas bien mal. Il fait 2 heures d’atelier par jour, enfin il te racontera, je le ferai écrire. Mireille {ma tante, alors âgée de 11 ans} fait ce qu’elle peut, mais n’a pas encore eu de classement. Quant à ton beau-père, lui roule toujours {mécanicien SNCF sur machines à vapeur, autrement dit, l’équivalent des conducteurs de train actuels} et moi comme d’habitude, je reste à la maison.

Je vais te quitter mon Cher petit André en te disant surtout fais bien attention à toi et prends soin de ta santé. Nous nous joignons tous les quatre pour t’envoyer toutes nos amitiés et nous t’embrassons tous bien fort.

Ta maman qui ne t’oublie pas et à bientôt de tes bonnes nouvelles.

Excuse mes fautes.

Jeanne

Voici l’adresse : Renault – 35 grande rue Feloin, Rive-de-Gier, Loire.

 

J’avais déjà vu cette lettre auparavant, mais je ne l’avais pas lue, contrairement à cette fois. Et certains mots m’ont ému. Ma grand-mère faisait semble-t-il un nouvel effort pour entrer en contact avec son fils aîné, profitant peut-être qu’il était au service militaire, donc pas sous l’influence de son père et du curé. Je ne sais pas s’il lui a répondu cette fois-ci, mais je sais qu’il n’y a presque plus jamais eu de contact puis plus du tout après. Il refusait le contact avec ses frère et sœur. Il est mort quand j’avais 16 ans et je n’ai jamais entendu ma grand-mère parler de lui (ni de mon grand-père biologique, mais ça c’est davantage compréhensible). Cela a été une blessure épouvantable pour elle, de sorte qu’elle avait fini par faire un « black-out » complet et définitif.

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Commentaires
C
Calyste> Oui, toujours bien sûr ! :-) Mais moi en tout cas, je ne me cache pas complètement pour écrire.
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C
Comment ça : j'étais ? C'est toujours le cas, non ?
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C
Calyste> Ah bon, d'accord... Tu étais donc sacrément impressionnant ! :-)
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C
Mais ma grand-mère ne faisait pas beaucoup de fautes : elle était juste traumatisé par le mot "prof de français" : j'étais bien sûr le premier de la famille !
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C
Plume (bis)> En fait, Fromfrom avait imprimé nos échanges électroniques, alors nos héritiers pourront en profiter ! :-)
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C
Karagar> Oui, mon père peut assez facilement parler de son frère fantôme, mais ce qu'il a à dire est vite limité. Moi aussi, c'est bien l'histoire de ma grand-mère qui m'intéresse, la lettre n'est qu'une mince partie de l'histoire.<br /> <br /> Mes parents ont sans doute échangé des lettres dans leur jeunesse, mais cela ne me regarde pas et cela n'est pas important car il n'y a pas grand-chose à découvrir<br /> <br /> Les lettres sur lesquelles tu es tombé ne sont pas inintéressantes, surtout quand on ne connait pas bien l'histoire (il me semble que tu avais évoqué des choses pour ta mère).
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C
Calyste> Je pense que la mère de ma grand-mère paternelle était meilleure en orthographe (autour de 1950), mais elle était allée davantage à l'école et surtout n'avait pas connu la guerre de 1914-18, les privations, la perte du père... Ma grand-mère n'avait pas peur des fautes car elle m'écrivait. Il est très probable qu'elle avait assez notablement amélioré son orthographe au fil du temps car elle lisait quand même pas mal (l'accès aux livres a sans doute été facilité après la fin des privations après 1950).<br /> <br /> Oui, ma grand-mère n'a pas eu une belle vie depuis qu'elle était toute gamine... et puis son premier mari qui était un bon à rien et puis les effets à long terme de ce divorce. Après, elle a quand même eu un second mari qui tenait bien la route, hélas décédé trop tôt et deux autres enfants qui la voyaient souvent et des petits enfants dont moi qui la voyait le plus souvent.
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C
Plume> Les deux protagonistes principaux de cette histoire sont morts en 1986 et 1989 et André est resté un total inconnu. Mon père et ma tante l'ont à peine connu entre deux portes, et encore. Auparavant, je ne me souciais pas trop de ces lettres. Il y a quand même les lettres de mon arrière grand-mère (la mémère) à son petit-fils que j'avais récupérées et partiellement lues. C'est un témoignage intéressant, mais pas émouvant à mes yeux car je ne l'ai pas connue et parce que les propos m'ont paru plus anodins, détachés. Quant à André, le fait qu'il ait conservé de 1950 à 1986 cette lettre tendrait à montré qu'il a été une victime dans cette histoire. Il l'a été de toute manière comme les autres et c'est triste. On sait presque rien de sa vie en gros à partir du début des années 1960 jusqu'à sa mort. Bon, cela ne change pas beaucoup de choses pour moi, mais tout de même, je pense qu'il y a eu beaucoup de souffrances quand même dans ces histoires.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour en venir aux lettres reçues ou envoyées, je ne puis trop dire sur l'attitude à avoir tant j'ai peu pratiqué la chose. Les messages électroniques échangés entre Fromfrom et moi ont disparu pour de bon il y a quelques temps. Je trouve ça dommage. Nos nombreux enfants ne les retrouveront pas, mais je pense que cela ne m'aurait pas posé de problème, le cas échéant. Mais je dis bien "je pense", car je n'en suis pas sûr. Fils a récupéré ces lettres. A sa place, je ne sais pas si les lirai non plus. Pas évident, car pas évident de tout comprendre tout le contexte, l'exprimé, le non exprimé, le sous-entendu, y compris celui qu'on ne peut pas entendre... Car lire une lettre 69 ans après qu'après moitié moins de temps quand tous les protagnistes sont morts.<br /> <br /> Au sujet de ton grand-oncle, il est aussi possible que les commentaires rigolards d'alors le seraient moins ou pas du tout à présent. Beaucoup de monde a évolué sur le sujet et heureusement, les gens savent mieux, même s'il reste d'épouvantables irréductibles crétins.<br /> <br /> oui, tu as été longue et j'ai été long en retour ! :-)
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P
Karagar > Il me l'a dit. J'ai bêtement répondu par une phrase à prétention humoristique, je crois qu'il a senti ma gêne derrière cette pitoyable pitrerie et...nous avons changé de sujet. Ce qui est extrêmement rare entre nous.
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K
Plume> IL t'a dit qu'il les avait trouvées ou tu l'as su... Si il te l'a dit, il n'a pas évoqué l'éventualité de les lire (ou de ne pas le faire)...?
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K
c'est assez triste cette histoire, en effet. ton père parle-t-il de ce frère fantôme?<br /> <br /> c'est drôle par ce qu'en lisant ton poste j'ai pensé à l'histoire de la grand-mère, pas du tout à l'aspect "lettre"...<br /> <br /> et en lisant les commentaires suivants, j'y ai pensé.... il m'est arrivé de lire des lettres (ou fragments) à la dérobée... je n'y résiste pas je crois... c'est mal sans doute... une lettre d'une correspondante de ma mère qui faisait deviner la teneur de la lettre qu'elle avait reçue de ma mère :"tu dis que tu l'aimes, alors épouse le..." elle parlait donc de mon père... une autre de sa copine à mon frère (devenue ma belle soeur) qui est le propos le plus raciste qu'il m'a été donné de lire... et d'autres encore, toujours instructives mais si on a honte de les avoir lues..; quant à celles qui m'ont été adressées j'en ai perdu deux que je regrette de ne pouvoir relire au moins une fois...
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C
Les fautes d'orthographe ! C'est à cause d'elles que ma grand-mère paternelle ne m'a pratiquement jamais écrit, surtout à partir du moment où je suis devenu prof. Je le regrette, car on ne conserve pas les coups de téléphone. Les lettres, je les garde sans pourtant les relire, ou alors rarement. Et je me fous comme de l'an quarante des réactions qu'elles provoqueront chez mes "héritiers". <br /> <br /> Celle-ci est un témoin émouvant d'une sorte de tragédie familiale. Pauvre femme !
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P
Ah c'est bien compliqué les vieilles lettres je trouve. Les lire ou ne pas les lire ? Apparemment tu t'es posé la question aussi puisque tu dis ne pas l'avoir lue d'abord. Moi j'ai décidé très tôt (ado, pour cause de curiosité parentale) de détruire toutes les lettres que je recevais et je m'y suis tenue, sans regret. Mais des fois la vie vous joue des tours :) : par exemple j'ai appris il y a peu que Fils avait récupéré mes lettres à son père après son décès, et j'avoue que ça m'a un peu gênée. Je ne suis pas sûre qu'il les lira d'ailleurs. Peut-être un jour j'oserai lui poser la question, pas sûre non plus...<br /> <br /> Lorsque mes parents sont décédés nous n'avons pas retrouvé la moindre lettre. Pourtant ils étaient l'un et l'autre très écrivains, d'autant plus qu'ils avaient été séparés 5 ans par la guerre. Visiblement mon père avait "fait le ménage" et j'avoue que ça m'a rassurée. <br /> <br /> Je raconte ça parce que j'ai aussi le souvenir désagréable d'une simple carte postale, reçue par mon grand-oncle (en 1914), retrouvée au grenier, et qui avait déclenché des commentaires rigolards dans la famille parce qu'elle évoquait un voyage probablement amoureux entre lui et un ami de l'École Normale (Tro Breizh à vélo !) . En plus c'était triste parce que la guerre les séparait aussi., c'était une carte d'adieu. J'avais trouvé ça odieux comme réaction. J'admets que c'était un cas limite, en général les découvreurs de correspondance sont infiniment respectueux. J'ai subtilisé la carte. Le pire c'est que je ne la retrouve plus !<br /> <br /> Et j'ai encore un autre souvenir, tiens quand j'y pense : à une certaine époque je fouillais pas mal les décharges, un jour j'avais trouvé un paquet de lettres, en breton, entouré d'un ruban bleu. Le ruban m'a fait penser que c'était des lettres d'amoureux, vu l'écriture c'était pas tout récent, les amoureux en question devaient être morts, je n'ai jamais pu me résoudre à les lire, je les ai brûlées.<br /> <br /> Ben dis donc, tu me fais causer !!!!! :)
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Cornus rex-populi
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