Mon oncle, mon parrain
Hier matin, alors que j’arrivais à peine dans mon bureau et saluait un collègue au passage, mon téléphone portable a sonné. Quand j’ai vu qui me téléphonait, j’ai immédiatement songé au motif de l’appel. Mon père m’a annoncé le décès de mon oncle et parrain, le mari de la sœur de mon père. Ils habitent près de Valence dans la Drôme.
Ce n’était donc pas véritablement une surprise puisqu’il avait fait un nouveau séjour de quelques jours à l’hôpital, était rentré à la maison depuis une dizaine de jours dans le cadre d’une sorte de formule d’hospitalisation à domicile. Difficile de dire exactement de quoi il est mort, car c’est très certainement multifactoriel : le diabète de longue date, problèmes de régulation rénale, affection broncho-pulmonaire et sans doute d’autres choses. Il y a aussi un état général. Depuis des années, il avait pas mal maigri et était assez « éteint ». Dans la conversation, s’il était assez actif et pertinent au départ, il finissait par lâcher prise et sommeiller.
Depuis des années, il était devenu complètement aveugle, non pas à cause du diabète, mais à cause d’une maladie de la rétine qui a commencé à l’atteindre bien avant l’âge de 40 ans (il avait 81 ans). Sa cécité a été très progressive. Il était receveur à la poste, donc le patron, et si ma tante n’avait pas travaillé avec lui, il n’aurait pas été en mesure d’assumer son travail jusqu’au bout durant ses 15 dernières années d’exercice. Il y voyait encore, un peu comme dans un trou de serrure et arrivait à écrire en gros avec un marqueur. Il compensait par une mémoire extraordinaire, par la parole (dont le téléphone) et par un côté avenant, agréable, très apprécié par la clientèle.
Apprécié pas que par la clientèle d’ailleurs, par beaucoup de monde. Il avait aussi cette facilité de plaisanter avec tout le monde. Comme il avait une culture générale assez étendue, les plaisanteries étaient souvent assez fines, avec son air de ne pas y toucher. Cependant, cela dépendait parfois à plat, parce que ses interlocuteurs étaient parfois assez bas de plafond et comme il ne voyait pas bien clair (puis plus du tout), il ne pouvait pas bien se rendre compte de la réaction de ses interlocuteurs. Mais peu importe, je me souviens bien de fous rires avec des commerçants. Quand nous étions en famille, il arrivait qu’après une interruption, il poursuive une conversation avec moi, alors que j’avais quitté la pièce.
Il était natif du Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire et était de religion protestante. J’avais séjourné là-bas avec mes oncle, tante et cousins, avec ses parents et j’avais pu voir combien ils étaient inféodés à leur religion : pas question de commencer un repas sans certaines simagrées, pas question de passer sous silence la prière du soir. Sinon, ses parents étaient des personnes d’une grande gentillesse. Lui, en dehors du fait qu’il était agacé par les références à la Vierge Marie, je ne l’ai jamais entendu parler de religion.
Depuis une dizaine d’années, je voyais moins mon oncle et ma tante, car ma tante qui conduisait tout le temps, a désormais plus de mal à conduire. Auparavant, je les voyais assez régulièrement à Autun car ils venaient souvent voir ma grand-tante, jusqu’à son décès en 2007. Ils étaient néanmoins venus à notre mariage en Bretagne, avec mon cousin et sa compagne.
A la fin des années 1950 ou au tout début des années 1960, ma tante et son futur mari devaient débarquer en gare d’Autun. Mon grand-père et mon père devaient venir les chercher. Comme les deux compères étaient en avance, ils étaient allés boire un coup au bistrot faisant face à la place de la gare. Ils les ont donc vus débarquer avec des valises à travers les vitres. Avant de sortir du bistrot, mon grand-père avait déclaré un truc du genre : « Tiens, on dirait Gaston » en référence à l’un des personnages du fameux feuilleton radiophonique La famille Duraton qu’incarnait Jean Carmet. Pourtant prénommé en référence au saint patron des boulangers, mon père l’a régulièrement surnommé ainsi et répondait quand on il l’appelait ainsi. Je n’ai jamais entendu La famille Duraton (ni vu les films), mais je puis néanmoins témoigner que mon oncle n’avait ni la façon de parler, ni le vocabulaire supposés de Gaston et pas davantage le physique de Jean Carmet. Au contraire de ce dernier, mon oncle était un homme assez grand et élégant, et préférait le Bourgogne au Bourgueil. D’ailleurs, son élégance était globale : il était toujours aimable avec tous ses interlocuteurs et portait la même attention à tout le monde.
Je n’avais que deux oncles et deux tantes, tous proches, tous des gens bien. En voilà un de moins. Je suis triste parce qu’il va me manquer, je suis triste parce les autres, ainsi que mes parents, sont tous sensiblement du même âge et ne sont, comme tout le monde, pas éternels. Mais il reste aussi des souvenirs qui font que j’ai l’impression de n’être pas sorti de l'enfance, mais aussi que le temps a inexorablement passé, tant les choses ont bougé depuis.
Les obsèques ont lieu mardi, mais nous partons plus tôt (escale chez mes parents).