Sciences participatives grand public
L’heure est aux « sciences participatives ». Ce n’est pas nouveau, cela fait une bonne quinzaine d’années que cela s’est développé grâce à l’internet. Très bien, cela permet à tout le monde d’apporter sa pierre à l’édifice. C’est le cas dans le domaine des sciences naturalistes, dont la botanique. J’y vois néanmoins plusieurs problèmes. Quelle validation des données apportées par les amateurs ou les professionnels qui font des erreurs ? Car le principe est généralement que les données recueillies soient directement visibles et consultables sur l’internet, même si ce sont des âneries. Bien sûr, on peut prévoir que les données soient validées par un vrai pro payé pour ça (et donc ça a un coût que personne ne veut prendre en compte). Cette validation est parfois prévue, mais ce n’est pas une généralité, loin s’en faut. La plupart du temps, on compte sur le fait que le « système » se corrige lui-même. On sous-entend qu’il y a suffisamment de contributeurs qui peuvent faire remonter les erreurs ou corriger directement eux-mêmes. Ouiquipédia repose sur ce principe. Sauf que la spécialisation demandée dans la discipline, la complexité de ce qui est analysé restreint considérablement le panel des correcteurs compétents potentiels. Cette croyance en l’autocorrection m’agace quelque peu, d’autant que le correcteur potentiel n’a pas forcément toujours le temps ou l’envie de corriger. Cela a des conséquences plus importantes que l’on croit. J’ai vu de mes propres yeux, dans un document présenté par un expert au tribunal, des textes et cartes issus du site internet participatif le plus connu en botanique. Du grand n’importe quoi. Il est exact que les sources plus fiables sont encore au format papier ou sur l’internet avec bien peu de publicité. Je ne parle pas des cartes de répartition du Muséhomme, qui elles-mêmes sont toutes pourries, mais faut pas le répéter – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne faut pas faire de publicité pour pas qu’on sache qu’on est obligé d’en faire d’autres. Comme quoi, y a pas que le participatif qui n’est pas validé par des personnes compétentes. De quoi faire se retourner les Jussieu dans leur tombe, mais c’est ainsi.
A mon travail, la Région a voulu lancer une opération de « sciences participatives » « grand public ». Qui dit flore sauvage dit erreurs fréquentes chez Monsieur Tout le Monde. On est un peu payé pour le savoir avec les personnes qui nous appellent ou nous écrivent. Il a été difficile de faire comprendre aux élus et aux techniciens qu’on ne voulait pas recueillir des tas de données entachées d’erreurs. Et du coup, la porte est étroite pour trouver des espèces dont l’inventaire, la cartographie revêt un réel intérêt scientifique (oui, parce que certains techniciens pensaient que c’était secondaire, faut quand même le faire) et la facilité de reconnaissance et la quasi-impossibilité de faire des confusions. Pour la première année, le choix s’est porté sur Viscum album L. (Gui) dont on explique mal l’absence en Flandre et qui n’est pas systématiquement inventorié par les botanistes professionnels ou amateurs parce qu’il peut rester relativement discret pendant la période de végétation, masqué par le feuillage des arbres. En hiver, c’est plus facile. L’opération est un succès.
Mais qu’est-ce que le « grand public » ? Personnellement, j’estime que cette acception ne rime pas à grand-chose dans le cadre de mon travail. Les personnes qui viennent aux conférences auxquelles nous participons, aux portes ouvertes que nous organisons dans nos jardins, qui regardent les émissions auxquelles nous sommes invités, ne sont pas le « grand public », mais un public déjà intéressé, sensibilisé ou qui pourrait le devenir. Il ne faut à mon avis pas l’oublier.
Mercredi soir, on m’a demandé d’intervenir, avec ce qui devait être en majeure partie du « grand public ». Personnellement, je ne suis pas spécialement à l’aise avec ça (mes collègues animateurs sont formés pour ça). Mais disons que le « commanditaire » de la soirée avait demandé aux scientifiques. C’est presque la première fois que je me livre à un tel exercice avec un tel public. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais il n’y a pas eu beaucoup de questions.
De mon point de vue, « grand public » ne signifie pas « bas de gamme » ou des réalités simplifiées de façon excessive. Je m’en agace quand je le constate dans le discours de certains de mes collègues ou dans d’autres domaines à l’occasion d’un article du journal local, d’une émission de télévision, dans la bouche d’un guide lors de la visite d’un édifice, etc. Fromfrom en est parfois le témoin.