Conversation ferroviaire
Une femme, la quarantaine presque finissante, pommadée, maquillée mais presque pas trop, masquant tout de même une fraîcheur désormais perdue. Elle est habillée de façon classique, bon chic bon genre, du style que l’on ne remarque pas trop. Elle est assise dans le train pour H. Arrive une jeune femme, toute de noire vêtue, cheveux compris. Une tenue que ne renierait pas le responsable des costumes d’un film de science fiction intergalactique. Le responsable de la coiffure a arrangé la chevelure de façon extrêmement sophistiquée, formant une sorte de casque raide à la manière d’un soldat d’Alexandre de Grand débarqué par erreur au XXIe siècle. Elle s’installe sur le siège en face de la première dame :
- Bonsoir.
- Bonsoir, comment vas-tu ?
- Bien, mais je suis fatiguée. Vivement que les vacances arrivent.
- Oui, c’est vrai, Noël approche. On le voit, on a du boulot au magasin.
- Ah oui, arrête, j’en peux plus.
- Et vous faites quelque chose pour Noël ?
- Non, on ne bouge pas avec Loïc et les enfants. Mais en fait, j’ai hâte d’être au 9 février.
- Ah oui ?
- Oui, mon oncle m’a payé un voyage à New York.
- Ah oui ?
- Oui, c’est génial, j’ai toujours rêvé d’aller à New York.
- Et comment vous vous organisez avec les enfants ?
- Ah ben je ne pars qu’avec mon oncle. C’est son cadeau pour mes 30 ans. C’est trop génial, ça va être super. Que j’ai hâte, je voudrais que nous soyons déjà le 9 février.
- Oui, c’est génial, New York…
- Et puis je vais pouvoir faire du shopping. Là-bas, avec le taux de change du dollar, ça ne coûte rien. C’est bien simple, je n’emporte rien, j’achèterai tout sur place.
- Oui, c’est vrai, ça doit être intéressant.
- Ce qui m’embête le plus, c’est de savoir où je vais mettre tout ça pour le retour ?
- Et ton mari ?
- Mon mari, il fait bien un petit peu la gueule. Mais bon, ça coûte trop cher de le faire venir.
- C’est cher le voyage ?
- Ah ben oui, sûrement, mais mon oncle a des combines.
- Ah oui, sur quelle compagnie ?
- Air France, il ne voyage que sur Air France, il n’a confiance en aucune autre compagnie.
- Il a bien raison. Et il va faire quoi Loïc pendant ce temps là ?
- Il va travailler. Il a exigé que ma mère vienne s’occuper des enfants. Ils s’entendent très bien tous les deux. De toute façon, ça ne l’intéresse pas, New York.
- Ah oui, lui il voudrait aller…
- Ah oui, moi je l’ai fait… et j’ai fait… et patati et patata.
Voilà, tout le monde l’aura compris, il ne s'agit pas d’une caricature mais bien d’une conversation surprise dans le train cette semaine. J’ai si bien entendu ce qui se disait que j’en étais presque gêné. Ce dialogue est la retranscription la plus fidèle possible de ce que j'ai entendu. Peut-être est-ce plutôt banal, mais moi de voir des choses pareilles, cela m’amuse autant que cela me donnerait envie de donner des claques.