DÉVASTÉ
Mon père, dans la seconde moitié des années 1960 a été conseillé par des forestiers, en particulier par des ingénieurs et techniciens de l’administration des Eaux et Forêts (maintenant, c’est l’Office National des Forêt qui gère des forêts domaniales et de celles des collectivités ou conventionnées). Ce conseil visait à abattre un boisement de 5 ha de feuillus composé en majorité par un peuplement de bouleaux ou de trembles, et de le remplacer par une plantation d’épicéas (essentiellement de l’Épicéa de Sitka (Picea sitchensis (Bong.) Carr.). Une opération non rentable à l’époque puisque le bénéfice lié à la vente du bois servit à la fourniture des plants puis au débroussaillage de la plantation pendant plusieurs années. Moi-même, dans la première moitié des années 1980, j’ai apporté ma contribution pour permettre aux épicéas de pousser dans de meilleures conditions. Une opération pas très futée non plus sur le plan sylvicole, puisque la parcelle se situe en grande partie sur des sols tourbeux et humides. Enfin, une opération écologiquement pas terrible du tout. En effet, sous un tel boisement, la flore est particulièrement peu diversifiée et il est probable que la faune s’en ressent également. En revanche, un collègue mycologue y trouva son compte il y a quelques années en découvrant ici une espèce de champignon qui n’était alors connue, en France, que dans le massif de Fontainebleau.
Les scolytes représentent diverses espèces d’insectes de l’ordre des Coléoptères qui pondent au niveau de l’écorce des arbres. Leurs larves creusent des galeries sous l’écorce, ce qui mène à une mort rapide des arbres touchés. Jusqu’à présent, la plantation d’épicéas fut épargnée par cette « épidémie » galopante. Mais peut-être à cause de la canicule de 2003, certains arbres ont été fragilisés dans la région et les scolytes se sont propagés encore plus rapidement, jusqu’à atteindre la plantation cette année. Alerte rouge ! Décision de faire venir le technicien forestier (pas l’ONF cette fois) et même conclusion que celle que je redoutais : abattre l’ensemble des épicéas. Décision prise immédiatement en août. Travaux commencés la première quinzaine de septembre, et le week-end dernier, constat des dégâts.
Lorsque je découvris la chose, je fus à la fois impassible, car résigné, mais réellement ému. La forêt, même très artificielle, n’était plus. Mon environnement familier avait disparu. Ces arbres que j’avais vu pousser au fil des ans se retrouvaient bêtement entreposés le long de la route, sans branches, saucissonnés. Surtout, les histoires intimes que j’avais eues avec ce lieu semblaient être englouties avec les arbres. Quel pincement au cœur. A ce moment là, j’avais l’impression d’être le seul à m’émouvoir d’une telle situation, à m’inquiéter aussi des capacités de régénération forestière et enfin de la vitesse de cicatrisation de cette plaie ouverte. Comme si, moi aussi, je portais cette plaie. Heureusement, sans que j’éprouve le besoin de m’exprimer, lorsque, le même jour, je fis découvrir la scène à S., cette dernière comprit d’emblée ma meurtrissure. Heureusement encore, je me plut à penser que cette parcelle allait, in fine, retrouver un boisement spontané et diversifié et que j’allais en être le témoin privilégié. Et qu’en dehors d’une parcelle plantée au début des années 1990 en Sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesii (Mirb.) Franco), il n’y aurait plus de « conneries ». Plus de telles inepties comme ces coupes à blanc traumatisantes à la fois pour l’écosystème forestier et pour moi-même. Du moins, je m’y engage, à moins que mon paternel ne m’écoute pas, mais le risque est assez faible, tant je suis entêté, parfois…
Avant, un jour de neige :
Et après...