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Cornus rex-populi
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17 juin 2006

LA BÉCASSE, LE PAON ET LA CIGOGNE

Je livre ici un texte écrit en janvier 2006,  recyclé de mon premier blog. Il n’y a rien à changer, sauf qu’il faudra peut-être prévoir une suite.

 

La Bécasse est posée parmi les molinies bleues dans un bois de bouleaux pubescents et de chênes pédonculés. Cet oiseau, un peu intemporel, est d’un naturel timide, réservé et discret. Mais la Bécasse a perdu la flamme qui animait ses jeunes années. A-t-elle souffert de ses multiples séjours sibériens ? A-t-elle dû essuyer des tirs de quelques chasseurs maladroits ? Mais force est de constater que la Bécasse se morfond au fond des bois. Elle est en deuil. Elle a depuis peu, perdu son amie la Bécassine.

La Bécassine était un oiseau secret et insaisissable, souriant toujours à la Bécasse comme elle souriait à tous les oiseaux des forêts, des marais et des prés, à l’exception notable des oiseaux de proie et autres rapaces. Quand elles se connurent, la Bécasse pensa que la Bécassine était un oiseau bien sportif et doué lorsqu’il slalomait de façon compulsive entre les joncs du marais. Et c’était vrai, la Bécassine était un merveilleux oiseau, mais presque personne ne le savait. Quelques rares oiseaux, dont la Tourterelle et la Bécasse avaient bien remarqué les compétences techniques aviennes de la Bécassine, avaient cherché à en savoir plus sur elle. Mais la Bécassine des marais était sourde aux demandes et aux offres de ses congénères. En fin d’hiver, la Bécassine connut une heure de gloire où elle se fit plus impériale que l’Aigle, plus futée que le Roitelet. Mais cette heure de gloire fut interrompue bien rapidement. Du jour au lendemain, elle perdit le désir de prendre en main son destin, masquant son désespoir derrière un sourire de circonstance dont la Tourterelle et la Bécasse ne furent pas dupes.

Un matin d’avril, la Bécasse prit l’idée d’aller faire un tour dans le marais. La Bécasse n’a pas seulement le bec long, elle a aussi la vue bien aiguisée. Elle découvrit de loin, le corps inanimé de son amie la Bécassine. La Bécasse, pourtant très alerte au vol, piqua du nez et tomba à terre. Le choc passé, la Bécasse se rendit à l’évidence : aucun chasseur n’avait réussi à l’abattre, aucune maladie ne l’avait terrassée. Non, la Bécassine s’était laissée mourir, dans l’incompréhension totale de toute la communauté ornithologique.

Dès lors, la Bécasse ne volait plus que sur une aile. Elle se disait qu’elle avait eu bien tort de ne pas aller voir plus souvent son amie la Bécassine, de ne pas avoir engagé une réflexion plus approfondie avec elle. Mais la Bécassine était sourde. Quoi alors ? Rien. Outre leur nom, la Bécasse se sentait proche de la Bécassine, elle partageait bien des points communs avec elle, comme la solitude et sa condition d’oiseau sauvage. La Bécasse avait peur qu’il lui arrive malheur, même si elle se rassurait par le fait qu’elle n’avait pas les mêmes mœurs ni le même instinct que la Bécassine, ce qui la préservait de ce fléau qui frappe les oiseaux de notre époque. La Bécasse est un oiseau des bois ; même si elle s’y aventure parfois, elle n’est pas trop affectée, contrairement à la Bécassine, par la disparition des zones humides. Oui, encore aujourd’hui, les zones humides sont très menacées et les hommes politiques se conduisent encore de façon irresponsable en laissant les Bécassines et ses amies palustres et aquatiques disparaître dans l’indifférence générale. La Bécasse, donc, n’avait plus d’amis et était dans un état de tristesse et de désespoir qu’elle réussissait néanmoins à masquer à tout le monde. Et pourtant, il lui coûtait de voler au dessus du marais, même si elle y était obligée pour survivre. Oui, survivre, et sauver les apparences…

La Bécasse se laissa pourtant attendrir par le jeu d’un Bécasseau. Ce dernier avait été en effet séduit par le chant de la Bécasse et il lui rendit service. Il lui permit de s’ouvrir à un autre monde : celui des oiseaux exotiques.

Le printemps était déjà bien avancé, et il était grand temps que la Bécasse entame enfin sa migration. Peu après le début de la migration, elle fit la connaissance d’un Pingouin. Ce dernier profita de son inexpérience des oiseaux exotiques et il se fit plus menteur que le Geai, l’Étourneau ou le Coucou. Néanmoins, cette rencontre ne retarda pas beaucoup la migration. Au cours de l’été, alors que la migration était toujours en cours, la Bécasse fit la connaissance d’un Paon. Elle fut assez vite séduite par la flamboyance de son plumage, même si celui-ci évita de faire la roue. Le Paon allait néanmoins accompagner la Bécasse jusqu’à la fin de sa migration, lui prodiguant moult conseils. Les deux oiseaux étaient très différents sur les plans taxinomiques et biogéographiques. Ils se connaissaient peu. Ils allaient néanmoins apprendre à se connaître. Alors que la Bécasse errait dans la toundra sibérienne, elle se confia à son amie la Sterne arctique. Celle-ci, bien qu’empêtrée dans des histoires familiales qui, faute de culture adaptée, lui paraissaient plus ou moins ésotériques, se montra compréhensive vis-à-vis des états d’âme de la Bécasse. L’automne venu, le Paon présenta, non sans moquerie bienveillante, la Cigogne à la Bécasse. La Cigogne est un oiseau qui n’a rien d’exotique. A la première rencontre, la Bécasse était séduite de rencontrer une nouvelle amie, et ce sentiment était réciproque. Seulement, la Bécasse, si elle a, comme la Cigogne, un long bec, n’en a pas les longues pattes lui permettant d’être à sa hauteur, et surtout, elle n’avait pas achevé sa migration. Non seulement la Bécasse continuait d’errer dans la toundra désertique des sentiments, mais elle tentait vainement de faire des rencontres. Elle prit alors un comportement compulsif et s’enferma dans le désespoir de ne plus jamais connaître les belles forêts caducifoliées de la France qui l’avait vue naître. Soudain, frappée par je ne sais quelle idée, agacée par un Paon qui se faisait plus distant, dépitée devant la mollesse de la Sterne arctique (pourtant de bonne augure, même pour un oiseau), la Bécasse emprunta alors une voie de migration radicalement différente. Au bout de la migration, la Cigogne l’attendait toujours. La Cigogne est un bel oiseau, gracieux, élégant, compréhensif, très compréhensif. La Cigogne est un oiseau merveilleux, noble et sympathique. Elle accueille très chaleureusement la Bécasse. Cette dernière, d’habitude assez réservée se confie à la Cigogne qui saisit tout de son passé. En retour, la Cigogne explique ses expériences, son passé chaotique et peu enviable. La Bécasse se laisse aller. L’extraordinaire, la fabuleuse Cigogne est sur la même longueur d’onde que la Bécasse, elle comprend tout sur tout. A ce moment là, le Paon, injustement mis en quarantaine pour avoir eu le tort d’avoir raison trop tôt, repointe le bout de son bec. Il sera le témoin (et même l’initiateur) de l’amour naissant et prétendument impossible entre une Bécasse et une Cigogne. Alors que l’hiver naissant commençait à envoyer ses premières intempéries, l’amour entre la rayonnante Cigogne et la Bécasse tranquillisée éclata au grand jour. Quels paradoxes que l’amour hivernal entre oiseaux d’espèces différentes. Eh bien Scolopax rusticola, aussi scientifique soit-elle dans la manière dont elle procède pour échapper aux chiens et aux chasseurs a su se laisser séduire et être séduite par Ciconia ciconia. La Bécasse a enfin trouvé le bonheur et y voit clair dans son avenir. Elle espère ainsi partager sa vie (toute sa vie) avec la Cigogne, son amour, ad vitam aeternam.

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Commentaires
C
A Karagar> Je crois que c'était presque une évidence, mais je ne pensais vraiment pas au mariage à l'époque.<br /> A Kleger> Merci. Je ne sais même pas comment j'ai réussi à écrire ça. La suite, oui, mais je n'ai pas dit quand.
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K
Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à recycler !!!! Va falloir que je m'y mette. Cela dit ce texte m'a autant émue à le relecture. Maintenant, on attend la suite !!!!
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L
"Le Paon sera témoin"... parole prophétique???
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Cornus rex-populi
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