Une note chez Kab-Aod m’avait d’abord inspiré un commentaire, mais comme c’était décidément trop long et que je parlais trop de moi, j’en ai fait cette note. Je précise tout de suite qu’il ne s’agit que de deux ou trois faits mis par écrit.
L’alcoolisme, je n’y ai pas été directement confronté, mais il faut dire que j’ai été durant toute mon enfance et mon adolescence extrêmement sensibilisé à la problématique, notamment par ma mère. Jeune, donc, je ne buvais pas une goutte d’alcool, ma mère me l’interdisant. Après 18 ans, on consentit à me verser quelques larmes de bons vins ou de certains apéritifs. Avant ça, même le café m’était rationné dans des fonds de tasse.
Après mon départ de la maison pour mes études à 500 km de là, j’avais une chambre chez des gens avec lesquels je m’entendais bien. Ils m’invitaient souvent le dimanche et on me faisait boire essentiellement des vins du Loir-et-Cher, de Touraine et d’Anjou, ce qui fut une vraie nouveauté pour moi (je n’avais goûté jusque là pratiquement qu’à des bourgognes). Je m’étonnais alors qu’on puisse ainsi me remplir mon verre. Je découvrais, j’appréciais. C’est à cette période que j’ai commencé à développer mon goût pour les vins.
Deux ans plus tard, j’ai vécu seul pendant deux ans dans un petit studio et c’est là que j’ai commencé à acheter du vin, mais je n’en buvais jamais seul. Je ne souffrais nullement de solitude à l’époque, mais elle était bien réelle.
Il y a un peu plus de dix ans, alors que je vivais à Chi*non, pour la première fois, j’ai commencé à boire seul ou presque. Cela se traduisait par un ou deux verres de bière deux à trois fois par semaine dans le bistrot du coin. J’y allais seul le soir avant de rentrer dîner chez moi, à 50 m de là. J’y allais surtout pour discuter, souvent pendant plus d’une heure avec le patron et la patronne avec lesquels je m’entendais bien et qui avaient une conversation autrement plus intéressante que celle, classique, du café du commerce. Chez moi, le week-end, je me buvais une bouteille de vin, alors même que je me préparais des plats un peu moins ordinaires qu’en semaine.
Arrivé dans le Nord, j’ai arrêté d’aller au bistrot seul et cela ne m’a pas manqué, en dehors d’une solitude plus marquée. Un sentiment de solitude qui allait pourtant s’amplifier début 2004, alors même que je ne sortais pour ainsi dire jamais.
Aujourd’hui, le week-end, nous aimons nous boire une bouteille, parfois avec gourmandise et c’est une joie de le faire.
Le fait que le père de S., que je n’ai pas connu, soit mort, pour une large part, à cause de l’alcoolisme, m’interroge. S., elle-même me dit souvent sa crainte d’y basculer un jour, même si les éléments favorables semblent être bien loin d’être réunis. Dans une partie de ma belle famille, je constate malheureusement que le mal fait son œuvre, sans qu’ils semblent en être conscients. Personnellement, je n’ai pas cette crainte. On pourra penser que je suis bien sûr de moi, mais j’ai l’impression qu’il y a chez moi une limite physiologique, mais bien sûr, je n’ai pas de certitude absolue.
Dans mon entourage de voisins amis quasi familiaux à Aut*un, un des jeunes (D.), sans emploi, en charge de la ferme suite à la mort de son oncle en 2000, mais néanmoins partiellement désoeuvré, s’est mis à boire vers l’âge de 25 ans. Boire à partir du lever (vers 11 heures) jusqu’à la nuit. Au moins un accident de voiture dû à l’alcool, heureusement sans gravité. Il faut dire que dans le coin, les gens, sans s’enivrer, boivent beaucoup, vraiment beaucoup d’alcool. C’est un fait, c’est une « culture » là-bas, on feint de ne pas avoir vraiment conscience des méfaits de l’alcool. Lors des fêtes et alors que je ne suis pas contraint par la nécessité de prendre le volant, il m’arrive de boire, en quantités non négligeables et je ne crois pas être du genre à rouler facilement sous la table, mais mes concurrents me battent haut la main. Et alors que je sature, eux paraissent frais comme des gardons. Je croyais que D. était un garçon qui s’était mis dans une situation inextricable, sa famille et lui ne semblant pas prendre la mesure de la situation, dans un aveuglement assez généralisé. Heureusement pour D., après le règlement de la succession de la ferme il y a un an, il ne s’occupe plus de la ferme, a trouvé un emploi et, me dit-on, ne boit plus. Il a par ailleurs retrouvé un certain punch qu’il avait complètement perdu. Comme quoi, des événements, des changements, des ruptures, même non traumatisantes, peuvent amener à boire et d’autres à s’en sortir.