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Cornus rex-populi

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3 janvier 2010

Chronique des vacances de fin d'année (1)

Une fois n’est pas coutume et sans vouloir forcément imiter Lancelot qui nous a habitué à un tel exercice, je me suis mis à rédiger quelques lignes, en léger différé, sur quelques événements de nos vacances. En voici le premier épisode.

 

Mercredi 23 décembre 2009

Nous partons vers 9 heures. Le soleil se lève sur une campagne encore toute blanche de neige et gelée. Nous prenons l’autoroute et après quelques kilomètres, nous tombons dans le brouillard givrant qui ne nous quittera pratiquement pas avant la Champagne.

A Reims, nous obliquons en direction d’Epernay. En traversant la forêt de la montagne de Reims, nous retrouvons un couvert neigeux plus abondant. Non sans avoir tourné en rond parce que, travaux obligent, je ne me reconnaissais plus dans les lieux dans lesquels nous étions pourtant venus deux ans et demi plus tôt, nous arrivons enfin chez notre fournisseur officiel de bulles. Une fois encore, nous sommes accueillis par des personnes fort sympathiques. Pas un grand nom du Champagne, mais des coteaux gâtés par la nature. Après avoir avalé un échantillon représentatif de notre chargement, nous reprenons la route.

Ayant rejoint l’autoroute au sud-est, nous faisons une halte pique-nique. Fromfrom roule, avale les kilomètres avec détermination. Prudents, nous écoutons les nouvelles de la radio autoroutière qui nous signale des problèmes à venir. La neige garnit encore quelques ubacs. Sur le plateau de Langres, nous tombons sur un premier bouchon, non signalé (il s’agit d’un rétrécissement de chaussée dû à des nids de poule en formation du fait du dégel). Remis de cette difficulté, on nous indique ensuite un prochain bouchon et un itinéraire de délestage. Rapidement, je consulte la carte et j’approuve l’itinéraire recommandé. A peine avons-nous pris cette option (plus longue) qu’on nous signale que le bouchon est résorbé. Et en même temps, on gagne un nouveau rétrécissement de chaussée, pour les mêmes raisons.

On nous annonce ensuite un bouchon au niveau de notre sortie bourguignonne favorite, bouchon en réalité inexistant lorsque nous passons moins de cinq minutes plus tard. Mais une vingtaine de kilomètres plus au sud, j’ai la joie de me récupérer, toujours pour les mêmes raisons et sous la pluie, le deuxième gros bouchon de la journée aux environs de Mâcon.

Avant même d’être sortis de ce traquenard, les nouvelles des bouchons lyonnais (hélas, pas les bons) deviennent de plus en plus mauvaises. A l’habituel bouchon sous Fourvière, viennent s’en ajouter plusieurs sur le contournement est de Lyon, puis un accident impliquant plusieurs voitures. C’est catastrophique. De décide de prendre Lyon centre et de sortir à Eculy. Hélas, nous n’avons pas ce loisir et nous devons prendre la sortie d’avant. Là, tout est bloqué, alors nous décidons de prendre des chemins de traverse que ne nous indique pas la carte routière. Nous nous égarons presque dans l’ouest lyonnais. Après un long moment de lutte désespérée (aucun panneau d’indication de direction pendant un très long moment), nous finissons par trouver des directions connues. En serpentant dans les petites communes de la grande banlieue pavillonnaire, nous finissons par rejoindre une direction qui pourrait s’apparenter à l’axe de l’aqueduc du Gier. Puis, s’affichent enfin sur les panneaux notre ville de destination.

Epuisés, nous arrivons chez mes parents après près de onze heures et demie de route. Pour nous réconforter, un plaisant repas de « pré-réveillon » nous attendait.

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3 janvier 2010

Bonne année 2010

Cela fera bientôt quatre ans que j’ai commencé à écrire des bêtises sur les blogs et je dois dire que je ne le regrette pas. J’ai d’abord commenté sur un blog ami, avant même de le connaître en tant qu’ami à part entière. J’ai ensuite découvert le blog d’une grande dame, elle aussi avant de la connaître pour de vrai. J’ai fait aussi d’autres rencontres « bloguesques » dont certaines m’ont marquées et continuent pour la plupart de nous accompagner. Et en 2009, j’ai vu apparaître de nouveaux, intéressants et attachants blogueurs dont j’aime lire les écrits et commentaires.

A tous, mais aussi aux fidèles lecteurs, j’adresse mes plus sincères amitiés et je vous souhaite une excellente année 2010. En attendant d’aller vous commenter, vous visiter ou vous répondre, voici ce ciel ligérien du 30 décembre 2009 dont j’aurais l’occasion de reparler.

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22 décembre 2009

Dactylorhize de Noël

Curieusement, depuis que je suis passé au numérique, je n’ai que peu fait de photos de conifères. Pas de sapin de Noël, mais en lieu et place une orchidée du genre Dactylorhiza dont je renonce à donner un nom d’espèce, tant ce genre est capricieux à déterminer.

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Joyeuses fêtes à toutes et à tous et à très bientôt pour de nouvelles aventures extraordinaires.

21 décembre 2009

Paysages de neige

Dimanche après-midi, le soleil aidant, nous sommes allés faire un petit tour en voiture. Nous nous sommes laissés surprendre par ces paysages inédits.

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20 décembre 2009

Alphabet grec, vieux botaniste et Castafiore

Lancelot et KarregWenn sont plus doués que moi, mais ils m’ont provoqué, alors voici le résultat. J’avoue que j’ai été aidé par Fromfrom pour deux lettres, et même plus car devinez qui est la Castafiore ?

Voir pousser ici à Paris une touffe d’alfa n’avait pas étonné le vieux botaniste. Il n’était pas bête à ce point là et il n’avait pas été exposé si longtemps que ça aux rayons gamma dans sa carrière de jeune chercheur.

Il se rappelait son voyage dans le delta du Danube. Il lui restait encore un epsilon d’intelligence pour tenter de comprendre le spectacle qui se déroulait sous ses yeux.

Pourtant, il se souvenait de ce spectacle affligeant où il avait vu Zézette à la télévision dans « Le Père Noël est une ordure ». Il se demandait vraiment ce que faisait l’État au lieu d’interdire ces conneries. Néanmoins, ce n’était pas pire que la chanson de Brassens où un chat téta le sein de Margot.

Il n’avait pas bougé d’un iota, il en était incapable tant il était subjugué de voir sa belle dans ce merveilleux spectacle. Pourtant, il n’était pas un spectateur lambda, puisqu’il avait inspiré le metteur en scène. Il se serait bien mu, mis à nu, mais il restait discret dans le fond de l’opéra. Les magnifiques boiseries de sa loge lui rappelaient le xylème de l’amphithéâtre de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle où il fut intronisé comme professeur. Au micro, on entendit enfin la voix soprano de Marguerite dans l’air des bijoux. Tout sigmatiste [école de la phyto*sociologie, comme chacun sait : station internationale de géo*botanique méditerranéenne et alpine] qu’il était, il se dit, tant pis pour les lustres de cristal de Bacarat, avant de roter de plaisir, en souvenir de la saucisse de Morteau qu’il avait avalée au dîner. « Oups, si l’on applaudissait maintenant » fit-il après qu’il vit le grand lustre s’écraser au milieu du parterre. Rien qui n’aurait plus le faire rire davantage, en dehors de son psy. Alors il déclara à la scène : « ô mes filles, ô mes gars, vous avez gagné votre soirée et merci pour ce magnifique spectacle ».

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20 décembre 2009

Il neige sur H.

Ce matin, on nous annonçait entre 1 et 5 cm de neige. Pourtant, vers 8 heures, on devait constater que la couche était plus importante qu’annoncé.

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J’ai bravé le blizzard du grand Nord pour aller chercher du pain et des croissants, sans faire de dérapage incontrôlé avec la voiture. Devant moi, j’ai vu une voiture qui s’est pris un méchant coup de trottoir. Je ne suis pourtant pas particulièrement doué, mais j’ai quand même une petite habitude de conduite sur la neige, ce qui n’est pas le cas de la plupart des gens par ici. En sortant de la boulangerie, comme KarregWenn n’a pas aimé l’hôtel de ville de B., j’ai pris celui d’H.

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Une heure plus tard, notre rue, le jardin et ses arrière-plans.

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19 décembre 2009

Mairie verte

L’année dernière, j’avais montré ici l’hôtel de ville de B. et son beffroi. Ce n’est pas notre ville, c’est juste celle où je travaille. Cette année, les couleurs ont changé. Contrairement à l’an dernier, j’ai pris cette photo à nuit noire en rentrant hier soir (l’heure précise est sur la photo). Je précise que le maire n’est pas spécialement écolo.

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19 décembre 2009

Le Cépiau : l'intégrale

Voici la rediffusion intégrale du mon histoire la plus longue jamais écrite. Certes, on aura raison de me dire que j’aurais pu m’abstenir de l’écrire (et de le rediffuser), tant il y a des choses médiocres là-dedans. Mais disons que je voulais un peu meubler, d’autant qu’il fait froid dehors.

Les numéros entre crochets renvoient aux notes en fin de texte.

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Dans le Morvan, au début des années 1960

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Le Cépiau était un homme assez petit, osseux, non pas maigre, mais il possédait un squelette saillant. Il était loin de disposer d’un corps « bodybuidé » et prétentieux, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des muscles d’acier. Pour s’en assurer, il fallait l’avoir vu enfoncer des piquets de clôture à la masse ou abattre un vieux châgne [1] de pian [2] à la cognée. L’hiver habitait en lui puisqu’il était presque systématiquement habillé de gris, des vêtements non pas gris par essence, mais qui s’étaient délavés en cette couleur à force d’exposition aux intempéries. L’avait-on vu un jour arborer des vêtements neufs ? Personne au village ne le savait. Et puis, il y avait ce chapeau de feutre noir qu’il arborait en permanence et qu’il lui avait valu son nom. Un chapeau à larges rebords qui lui permettait de se protéger à la fois des pluies froides et des rayons brûlants du soleil estival.

Le Cépiau était un homme sans âge, c’est-à-dire que parmi les villageois, personne n’était en mesure de lui donner un âge. Cela s’expliquait par son allure, ses vêtements qui le vieillissaient incontestablement. De plus, comme il passait une bonne partie de son temps en plein air, à travers les bois, le bocage, le long des rivières, par tous les temps, le soleil et la pluie, malgré les rides creusées, avaient poli sa peau. Cependant, tout bien pesé, on s’accordait à penser qu’il devait avoir une quarantaine d’années. Le Cépiau avait un visage plutôt fin, avec de grands yeux gris clair. Avec ses sourcils noirs et épais, cela lui donnait un air extrêmement sévère et ce regard lui permettait de fusiller tous ses adversaires potentiels. Il disposait aussi d’un nez assez grand mais élégant, légèrement busqué. Ce nez était un de ses outils indispensables à l’exercice de ses talents puisqu’il avait un odorat extrêmement développé.

Le Cépiau habitait Les Ravatins, une ferme isolée à l’orée de la forêt. Une immense forêt sombre où seuls les bûcherons et les chasseurs osaient s’aventurer. Pour arriver chez lui, il fallait emprunter un long chemin de terre plus ou moins bien empierré et où les ornières étaient fréquentes et ralentissaient la progression des voitures. En contrebas, coulait la Canche, une magnifique rivière qui serpentait parmi les grandes prairies du Comte et où paissaient dans l’herbe toujours verte, plusieurs troupeaux de charolaises.

Le Cépiau avait un atelier au village, il était ébéniste (dans son jeune âge, il avait été compagnon du tour de France). Il ne faisait qu’y travailler, notamment les quatre premiers jours de la semaine. On ne savait jamais où il se trouvait entre son atelier, son domicile, la visite à ses clients, les déplacements avec les marchands de bois et même l’ingénieur des eaux et forêts lorsqu’il s’agissait d’aller choisir un arbre sur pied. Il se déplaçait indifféremment à vélo, en cyclomoteur, en camionnette, et bien souvent à pied. Bref, il était insaisissable. Le seul instant où on était sûr de le trouver, c’était le lundi matin à son atelier. Et le reste du temps, il exerçait une autre activité clandestine. Non pas une activité criminelle, non pas une activité rémunératrice, mais une activité néanmoins répréhensible.

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Le Cépiau était un excellent ébéniste. Il fabriquait des meubles dans des styles assez différents. Lorsqu’il avait besoin de sculpter des éléments plus sophistiqués, il faisait appel à son ami Maurice, qui lui, travaillait à la ville. Ils s’étaient connus il y a bien longtemps lorsqu’ils avaient sillonné la France lors de leur compagnonnage. Seulement voilà, notre homme, aussi doué fut-il, ne travaillait qu’en fonction de ses humeurs, de son inspiration et surtout dans le temps libre que lui laissaient ses autres occupations. Il travaillait vite et bien. Sa rapidité d’exécution, sa dextérité avaient toujours étonné ses maîtres et ses collègues. La vitesse de réalisation faisait partie intégrante de l’œuvre qu’il réalisait. Les morceaux de bois étaient choisis avec un soin méticuleux, voire tatillon. Mais lorsque le choix était enfin arrêté, le bout de bois brut se transformait en un tiroir ou une porte de buffet à une vitesse stupéfiante. L’homme maniait ses outils avec une assurance incroyable, l’œil acéré guidant l’outil à chaque fraction de seconde. Il était très exigent vis-à-vis de ses outils, il fallait qu’ils soient toujours à leur tranchant maximal, il en était même maniaque. Grâce à la petite forge qui occupait l’arrière de son atelier, que seule une petite fenêtre éclairait, il avait créé ou adapté un grand nombre d’outils inédits qui lui facilitaient la tâche. Maurice, qui connaissait lui-même bien le métier en était stupéfait ; il lui arrivait même de venir le voir pour créer ses propres outils.

Les clients du Cépiau devaient savoir à quoi s’en tenir. S’ils voulaient des délais de réalisation suffisamment courts, ils devaient venir le harceler chaque lundi matin. En revanche, ils étaient assurés d’une chose, le travail était d’une qualité irréprochable et les meubles et autres objets d’une rare solidité.

Un jour, Charles, le régisseur du comte se pointa à l’atelier. Que pouvait-il bien faire là, lui qui ne lui avait jamais rien commandé ? Charles venait ici un peu comme à reculons. Il était très embêté. Le Cépiau, lui, ne se souciait guère de son visiteur, occupé qu’il était à manier la varlope sur un large plateau de noyer. Charles finit par accoucher :

- Voilà, Monsieur le Comte avait acheté l’an dernier une grande table de cérémonie en chêne à l’usine de Dijon. Et voilà que la semaine dernière, elle s’est partagée par le milieu. Bref, elle est fichue. Je me suis fait engueuler. J’avais cru bien faire en achetant cette table, moins chère qu’une table d’artisan. Et maintenant, il faut que je trouve une solution, sinon, je suis viré.

- Que veux-tu que j’y fasse ? Je n’y peux rien si vous n’êtes même pas capables de vous fournir dans les bonnes maisons. Ta table, elle a sûrement dû être fabriquée avec un mauvais chêne qu’on avait tout simplement oublié de faire sécher. Bref, les beusenots [3] qui l’ont fabriquée sont plus cons que les souliers que tu portes.

- Mais oui, ne remue pas le couteau dans la plaie. Je voudrais que tu voies…

- Pas question !

- Mais on te paiera le prix que tu demanderas, dussé-je y mettre un peu de ma propre paye.

Le Cépiau avait lâché son rabot et réfléchissait. Puis après avoir réajusté son chapeau :

- Voilà ce que je te propose. Pour la table, tu ne me paieras que le bois et je te fais cadeau de la main d’œuvre. En échange, il faudra que tu fasses un effort pour me faciliter les choses sur les terres du comte.

- Mais…

- Il n’y a pas de mais ! C’est à prendre ou à laisser.

Charles grommela car il ne s’attendait pas à ça. Il pensait qu’il allait lui faire payer la table le double du prix habituel, mais là… Là, l’affaire était délicate, mais elle avait l’énorme avantage de ne point grever ses finances. La protestation n’était donc là que pour la forme. Il n’avait en effet d’autre choix que d’accepter le marché.

- Bon, d’accord, Cépiau, je vais voir ce que je peux faire. Il faudra quand même rester discret.

- Ne t’inquiète pas pour ça, jamais personne ne me verra.

Le marché fut donc conclu. Charles lui versa immédiatement une avance. Le régisseur avait à peine, quitté l’atelier que le Cépiau se mettait en route pour A. pour aller voir Robert, l’ingénieur des eaux et forêts, qui avait fini par devenir son ami. En effet, réaliser une table de dix mètres de long en chêne nécessitait des bois spéciaux et Robert allait l’aider.

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Le Cépiau avait hérité de son père toutes les ruses, toutes les astuces de la braconne. Du vivant de son père, ils avaient berné la maréchaussée à plusieurs reprises. Il se souvenait souvent de cette fois où traquant les lièvres sur les terres enneigées du comte, ils avaient utilisé des chaussures à semelles inversées. L’adjudant Emmanuel s’y était cassé les dents et s’était juré de ne plus jamais se faire avoir. Seulement voilà, les Raboliots frappaient toujours là où on ne les attendait pas, et surtout, c’était de vraies anguilles insaisissables. Emmanuel dut se contenter de vulgaires seconds couteaux du braconnage. C’est vrai qu’en ce temps là, nombreux étaient les paysans qui pratiquaient le braconnage pour vivre, pour améliorer l’ordinaire, enrichir les repas de protéines sauvages.

Le Cépiau, lui, gagnait parfaitement sa vie et le braconnage n’était que la face cachée de son statut de chasseur et de pêcheur. Il ne braconnait que par habitude, par le simple côté pratique et rapide pour trouver son repas de la semaine. Mais il braconnait aussi et surtout pour braver les interdits et aller défier les nantis sur leurs terres. Bref, il s’agissait d’une forme de sport.

Le Cépiau était du genre anarcho-communiste et bien sûr, il était en guerre contre l’Église, en particulier le curé de la paroisse, le père Jean. Ce dernier, issu de la droite la plus réactionnaire, ne se gênait pas d’intervenir activement dans les campagnes électorales. Ses prêches lors des messes étaient bien connus, mais l’évêque d’A. fermait les yeux. Le père Jean avait toujours soutenu le comte qui était maire de la commune déjà depuis une vingtaine d’années. Le Cépiau n’était pas le seul ennemi du curé mais il incarnait le mal : il n’allait jamais à la messe, moquait ouvertement la religion et surtout, on l’avait vu à plusieurs reprises complètement ivre, écumant les bistrots. Une fois, on l’avait même retrouvé endormi le long d’un fossé, complètement soûl. Ceci dit, le Cépiau était très rarement en veurde [4]. Il n’en demeurait pas moins que le curé lui vouait une haine féroce depuis le jour où le Cépiau l’avait ridiculisé en public.

Le Cépiau avait réussi à se tisser un cercle de relations et d’amitiés fort utiles. Bien sûr, cela n’était pas gratuit. Il était copain avec le capitaine de gendarmerie, cela valait bien de temps en temps, un lièvre, un beau brochet ou une bourriche de truites. En revanche, avec Robert, l’ingénieur des eaux et forêts, il s’agissait d’une véritable amitié. Une amitié vieille de dix ans : à cette époque, Robert venait d’être nommé à A. Ils s’étaient connus le jour où Robert, averti par un de ses gardes, avait débarqué chez le Cépiau, aux Ravatins. Une simple visite de courtoisie, mais Robert voulait se rendre compte par lui-même. Le Cépiau accueillit Robert en grandes pompes, il lui offrit un verre de Pommard. Cela ne pouvait pas mieux tomber, Robert était un amateur éclairé des nectars bourguignons. Alors qu’ils discutaient, Robert entendit un bruit qui venait du dessous de la table. Un bruit qui se répéta. Le Cépiau se sentant pris, mit immédiatement cartes sur table, il se pencha et posa sur la table une grosse bourriche remplies de truites qui venaient à peine d’être prises et frétillaient encore. Robert éclata de rire. Ils trinquèrent et Robert repartit avec sa friture. Ils devinrent de grands amis. Deux fois par an, ils partaient en veurde sur la Côte [5] : une fois pour la Saint-Vincent tournante et une fois juste avant les vendanges. Ils en profitaient pour aller se ravitailler en vin chez des propriétaires connus de longue date.

Le Cépiau coulait donc des jours heureux. Seulement son adresse, son insolence attisait pas mal de jalousies au village.

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En ce matin de mai, le jour se levait à peine dans la vallée, entièrement baignée d’une brume épaisse. Seuls le Laré, le Mizieux et au loin, la silhouette du Bois du Roy émergeaient de ce voile de ouate inconsistante. Ces monts, assombris par les sapinières et autres pessières sommitales, imposaient une ambiance austère et lugubre à cette scène alluviale. Après le méandre, la rivière s’élargissait, courrait sur radier de galets et de graviers avant d’entamer une chute, provoquant en aval une vaste mouille ombragée par une ripisylve dominée par les frênes [6] et les chênes [7].

Encore blottie sous une souche de verne [8] où elle avait passé la nuit, la truite [9] alla se dégourdir les nageoires. Elle fit le tour complet de la mouille et de ses annexes, ne dédaigna pas un traîne-bûche [10] pour se mettre en appétit. Ayant terminé l’inspection de son territoire, la mouchetée alla se poster face à la cascade. Elle était de taille honorable, dans la pleine force de l’âge et affronter les pires tourbillons, remous, vortex et autres bouillonnements du courant ne l’impressionnait guère, d’autant que la belle avait trouvé un lieu idéal derrière une grosse pierre où comme par magie, le courant s’annulait. Elle était donc positionnée dans l’un de ses postes de prédilection où elle pouvait, dans un confort certain, attendre la manne d’éphémères qui n’allait pas tarder à se manifester. Le festin matinal allait donc pouvoir commencer.

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Le soleil commençait à envoyer quelques rayons derrière le Mizieux. Au fur et à mesure qu’il montait sur l’horizon, la brume qui pesait parmi la vallée se réduisait comme si l’astre du jour venait rétablir l’ordre que les démons de la nuit étaient venus mettre à mal. Les gouttes de rosée perlaient au soleil, reflétant à la fois la silhouette conique des houppiers d’aulnes et les panicules rassurantes des vulpins [11]. Un chevreuil, qui avait passé une bonne partie de la nuit à brouter parmi les prairies du comte, terminait son dessert de jeunes pousses des fayards [12] qui se risquaient dans un pian qui prolongeait le versant de la grande forêt. Maintenant que la lumière n’était plus suspecte de la présence de spectres fugitifs alliés, il lui fallait penser à s’éclipser en regagnant le cœur de la forêt, mais les jeunes pousses sucrées et fermentescibles l’avaient enivré. Aussi, lorsqu’il eut enfin décidé d’aller se mettre à couvert, ses bonds quelque peu désordonnés et sa lucidité altérée par son ivresse ne lui permirent pas de remarquer la présence du collet qui l’étouffa dans un râle de désespoir qui résonna jusqu’à la Forêt de Glenne.

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La truite, d’habitude si rusée, méfiante, goûtant tout avant de se décider à avaler, vit enfin arriver les éphémères dont elle se gava avec une délectation non mesurée. Quelques mètres plus haut, venait de se poser à la surface de l’onde, une espèce particulière de mouche de mai. Aussitôt, l’insecte se mit à dériver librement dans la veine de courant, et malgré les perturbations chaotiques diverses du courant, elle arriva exactement en face de la pierre qui ornait le fond de la mouille. La mouchetée, à qui rien n’échappait, l’avait vue venir. Elle lui paraissait d’une taille supérieure à ses congénères, mais il lui fallait profiter en toute hâte de cette manne exceptionnelle. D’un coup de nageoire caudale fulgurant, elle décolla du fond pour bondir sur la proie, sortant à moitié de l’eau pour l’occasion. Elle se saisit de l’éphémère avec une vigueur incroyable. Mais à cet instant précis, alors qu’elle s’apprêtait à l’engloutir, une résistance se fit sentir, comme si l’insecte voulait lui échapper. Alors qu’elle cherchait à regagner le fond au plus vite, la résistance se fit plus forte encore et elle ressentit une forte douleur dans la mâchoire. Elle comprit vite qu’elle était perdue et qu’il lui fallait trouver une parade au plus vite. Avec la célérité de l’éclair, elle se rua vers l’aval dans la plus forte veine de courant, démultipliant ainsi sa force. Ce fut une réussite, la résistance était devenue bien moindre. Mais le répit fut bref et elle ressentit à nouveau une violente traction de l’amont. La truite eut donc moins d’une fraction de seconde pour tenter de rejoindre son abri sous l’aulne où elle pourrait à loisir se défaire de sa laisse en faisant quelques tours morts autour des racines. Elle progressait donc lentement vers sa cache, mais la résistance était terrible et les forces commençaient à lui manquer. Voyant qu’elle ne pourrait jamais atteindre son objectif, elle décida d’un coup d’éclat pour tenter de détourner l’attention. Au lieu de tirer dans le sens où on voulait l’empêcher d’aller, elle rendit du mou, effectuant un saut splendide hors de l’eau avant de replonger rageusement en direction des remous les plus terribles sous la cascade.

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A cet instant, on entendit une clameur monter parmi les feuilles d’aulnes et de benoîtes [13]. Cette clameur, c’était un juron du Cépiau. Jusqu’à présent, rien ni personne n’avait pu soupçonner sa présence. La situation était suffisamment délicate pour qu’il s’autorise à quitter son poste pour rejoindre la berge en contrebas de la chute d’eau. La truite était d’une taille assez exceptionnelle et se défendait avec une vigueur inhabituelle. Et voilà qu’elle était littéralement collée au fond. Elle pouvait à tout moment rompre la ligne en érodant le fil de nylon le long des pierres. A force de tirer sur la gaule, le Cépiau finit quand même par ressentir de lourds mouvements de fond qui augmentaient d’amplitude. Un nouveau départ sournois dans le courant se produisit. Le Cépiau laissa filer avant de contrôler le mouvement avec une vigueur autoritaire. Il décrocha alors son épuisette raquette et malgré des débats et autres nouveaux essais de fuite, il réussit enfin à diriger le poisson vers l’engin qui allait la mettre au sec.

Malgré ses nombreuses expériences passées, le Cépiau ne se lassait jamais de ses poussées d’adrénaline lorsqu’on ignore jusqu’au dernier moment si sa proie, dans un dernier sursaut ou une ultime ruse, va lui échapper ou non. La mouchetée rejoignit ses congénères dans le panier d’osier, mais comme elle en dépassait assez largement, il la disposa sur un lit de fougères [14] dans sa poche dorsale. Il ramassa le chapeau qu’il avait perdu dans la bataille et dit : « Toi, ma carne, tu m’en a fait baver. Depuis le temps que je te convoitais. Tu m’as obligé à me lever depuis Saint-Patriare-Jacquet [15] et tu m’as tombé le chapeau. Tu finiras donc en filets pour le repas de dimanche ».

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Il œuvrait toujours seul. Tout se faisait généralement dans la discrétion la plus poussée, sauf quand le Cépiau en avait décidé autrement.

Le Comte habitait un château « campagnard » de la fin du XVIIe siècle. Sa famille avait vécu, depuis plusieurs générations déjà, de ses terres, plus exactement de la rente que lui rapportait ses métayers. Mais après la Première guerre mondiale, l’exode rural, les paysans morts à la guerre, les mauvaises récoltes avait réduit considérablement le train de vie de

la famille. Le

jeune Comte d’alors avait donc décidé de se lancer dans les affaires : la quincaillerie et les livraisons de ferraille. Durant la Seconde guerre mondiale, le Comte, avec ses relations, avait réussi à faire des affaires avec l’occupant. On ne savait pas si le Comte avait fait du tort à la population locale, mais le Cépiau avait toujours eu du mal à digérer l’enrichissement induit et il avait décidé de le lui faire payer à sa manière.

Le Cépiau, depuis l’épisode de la table qu’on lui avait demandé de fabriquer, arpentait à qui mieux mieux les terres du Comte, en toute impunité puisque Charles, le régisseur et garde-chasse par la même occasion avait promis de le laisser en paix. Bien entendu, le Comte n’était pas au courant de l’arrangement.

Le Cépiau, pour se venger du Comte avait décidé de vider totalement les terres du comte de tout ce qui pouvait ressembler à un poisson ou à un gibier. Ainsi, il avait décuplé le nombre de collets, avait organisé avec Maurice plusieurs chasses de nuit pendant l’été à la lanterne pour écrémer lièvres et lapins. La rivière avait été parsemée de lignes de fond et l’étang en face du château passé au tramail. En mars dernier, lors de la vidange quinquennale de l’étang, le Comte s’était ému de ne presque rien trouver dans l’étang. Il s’était également un peu étonné de la pauvre battue au chevreuil qu’il avait organisée en février. Et puis, il y eut cet épisode pour l’ouverture de la chasse.

Pour l’ouverture de la chasse, le Comte avait coutume d’inviter ses meilleurs amis aristocrates ou notables de tout poil pour une grande chasse parmi les champs et les prairies du domaine. Au menu, en général, des lièvres, perdreaux et faisans à volonté. Il faut même préciser que Charles élevait quelques gallinacés supplémentaires pour soutenir les effectifs et les lâchait de façon échelonnée entre le mois de mai et le 15 août. Durant l’été, Charles avait bien remarqué qu’il ne voyait pas beaucoup de gibier, et s’en était un peu inquiété. Quelques jours avant l’ouverture, il avait donc lâché les derniers faisans qu’il avait conservés.

Le matin de l’ouverture, le rassemblement de tous avait été ordonné, comme tous les ans dans la cour du château pour la revue des chasseurs, des armes et des chiens. A l’issue de la cérémonie d’ouverture, tout le monde se mit en route : les invités devant, le Comte à cheval en arrière pour superviser les opérations, suivi par Charles avec des chiens en réserve. La chasse fut désastreuse : les chiens restaient parfaitement impassibles, sa baladant comme de vulgaires chiens de ville. Il n’y avait pas âme de gibier qui vivait sur l’ensemble du domaine. Dans la dernière parcelle, un chien daigna quand même à regret faire un arrêt sur un pauvre volatile : un faisan qui eut peine à s’envoler et qui fut abattu par Monsieur le curé. Bref, une catastrophe, une humiliation pour le Comte. Ce dernier se confondit en excuses auprès de ses invités, lesquels ne mirent pas longtemps à prendre congé, sans repasser au château.

La catastrophe n’était pas moins grande pour Charles. Alors qu’ils regagnaient le château, le Comte, dans un état de rage rarement vu, demanda des explications. Ils se trouvaient alors au niveau du Pont des Chaumes froides au-dessous duquel le Cépiau relevait ses lignes de fond.

- Mais comment avez-vous pu laisser faire un braconnage pareil ? Comment peut-on se faire berner de la sorte ? Vous êtes un incapable, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Comment avez-vous pu vous faire voler mes perdrix et mes faisans ? Et les lièvres, ils sont où ? Mais qu’avez-vous bien pu fabriquer ?

- Je…

- Taisez-vous ! N’avez-vous donc point vu de traces de braconnage ? Je ne peux pas y croire. Vous êtes un con, Charles !

- Oui, Monsieur le Comte.

- Vous rendez-vous compte dans la situation épouvantable dans laquelle vous m’avez mise ? après avoir vu un tel cataclysme, mes amis ne me feront plus aucune confiance ! Vous êtes nul, Charles.

- Euh…

- Taisez-vous, vous ai-je dit ! Peut-être est-ce vous qui m’avez détruit ma chasse, volé mon gibier ? Vous êtes renvoyé !

- Oui, Monsieur le Comte.

A ces derniers mots, le Cépiau qui avait tout entendu et qui n’en pouvait plus de voir Charles se faire humilier, bondit sur la berge, vint rejoindre les deux hommes et s’écria :

- C’est moi et personne d’autre qui ai passé vos terres au peigne fin, c’est moi qui m’en suis pris à votre gibier. Charles n’y est pour rien.

- Mais, comment osez-vous venir ici me défier sur mes terres. Vous êtes un voleur et je vais vous faire passer l’envie de braconner en vous envoyant directement en prison.

- Pas si vite, Comte, vous ne pourrez rien prouver, je n’ai laissé aucune trace.

- Vous êtes un voleur, un bandit, un assassin !

- Un assassin ? Elle est bien bonne ! Dois-je vous rappeler vos agissements pendant l’Occupation ? Dois-je vous rappeler d’autres agissements lors de la libération en octobre 1944 ? Vous et vos amis, pour donner le change, pour vous dédouaner, qui avez pris les armes alors que tout risque était écarté pour aller pourchasser et tuer des soldats allemands isolés et perdus dans le Morvan ? Vous ne vous en rappelez plus de ça, vous et Monsieur le curé ? Oublié, digéré, ni vu ni connu !

- Mais…

- Taisez-vous ! Alors, vous pouvez toujours me mettre les gendarmes au cul, on va bien rire…

- Je vous ferai condamner. Et puis j’ai Charles comme témoin. Et mon ami le colonel…

- Ah ah ! Votre ami le colonel Jeannin ? Vous avez déjà oublié qu’avec votre partie de chasse à la con, vous venez de le vexer à mort ? Quant à Charles, je vous rappelle que vous venez de le virer à l’instant. Et que je viens de l’embaucher pour faire commerce de mes meubles.

Le Comte, se dressant sur ses étriers et tenant haut sa cravache.

- Je vais vous…

- Vous allez quoi ? Me faire courir ? Vous voulez courir ? Qu’à cela ne tienne ! Eh bien courrez donc, vous !

Sur ce, le Cépiau abat un méchant coup de bâton sur l’arrière train du cheval, lequel se met immédiatement à galoper en direction des écuries.

˜ 

 

Le père Jean, le curé de la paroisse, était un homme qui était resté fidèle aux vieilles doctrines éculées de l’église : misogyne, traditionaliste, prônant la charité intéressée, combattant les actions de solidarité dans le monde ouvrier, fidèle et soumis aux puissants, adepte de conservatismes en tous genres, favorable au maintien des indigents dans le cercle de l’obscurantisme religieux (bref, rien que des qualités pour un seul homme, apte à séduire le Comte). Le Comte et le père Jean étaient effectivement amis de longue date. Le dimanche suivant l’humiliation de la partie de chasse, le Comte invita le curé au château.

Ce vendredi, Robert était parti superviser les opérations de marquage des bois en forêt domaniale de Gleune et il avait convenu de marander [16] à midi chez le Cépiau. A midi juste, Robert se pointe à la ferme des Ravatins. Une puissante et agréable odeur de gibier embaume la cuisine.

- Que nous as-tu fais de bon ce midi ?

- Alors, en entrée, un buisson d’écrevisses de la Canche à la nage, en plat de résistance, un rôti de sanglier avec des treuffes [17] du jardin, du fromage de bique et en dessert, de la tarte aux pourriots [18].

- Parfait, mais dis-moi, il vient d’où le sanglier ?

- De la forêt de Gleune, pardi, de là où travaillent tes gars !

- Évidemment, Cépiau, tu es incorrigible. Tu devrais quand même te méfier, car tu sais qu’il y a un œil derrière chaque arbre.

- Oui, je sais.

- Enfin, du moment que c’est bon. Et à boire ?

- Eh bien, un petit Aloxe-Corton que nous avions rapporté ensemble il y a cinq ans.

- Bien, bien… Alors, tu n’oublies pas, ce soir, je t’emmène. Tu couches à la maison et nous partons demain matin au plus tôt pour Beaune.

- Oui, oui, tu penses bien, je ne vais pas oublier. Mes affaires sont prêtes.

Le repas terminé, Robert retourna à son chantier et le Cépiau s’en alla quérir aussitôt une quelconque « friandise » pour la femme de Robert.

Le samedi matin, dans la voiture pour Beaune, le Cépiau se confia à Robert au sujet de l’histoire avec le Comte.

- Tu as fait fort quand même, mais tu lui as donné une bonne leçon.

- Ce qui m’inquiète, c’est ce fichu curé qui complote.

- Mais non, ne t’inquiète pas. Que veux-tu qu’il te fasse ce vieux con de curé ?

- Tu as sûrement raison.

Les deux hommes firent le tour habituel des caves et se ravitaillèrent des meilleurs vins. Au retour, la voiture, qui était bonne bête, les ramena sans encombre jusqu’à la maison de Robert. Ils purent ainsi se reposer en paix de cette lourde fatigue œnologique.

Le dimanche après-midi, Robert raccompagna le Cépiau chez lui. Ils purent encore à loisir déguster les acquisitions de

la veille. Avant

de partir, Robert dit :

- Bon, alors, c’est entendu, on se donne rendez-vous dans quinze jours à S. pour aller voir ces arbres. Moi, je pars demain en formation à Montpellier.

˜ 

 

Trois jours plus tard, le facteur, qui débutait sa tournée tôt le matin, trouva le Cépiau versé [19] dans un fossé au bord du chemin de terre qui longe la Canche à quelques kilomètres du bourg.

A midi, lorsque Maurice arriva au bourg pour retrouver le Cépiau, il trouva un attroupement devant l’atelier. Lorsqu’il apprit enfin la nouvelle, il fut totalement abattu. Chancelant, il reprit sa camionnette et regagna la ville à 20 km/h dans les descentes.

Comme la gendarmerie bénéficiait d’excellents limiers, on leur confia l’enquête : Roger Thouvial (le fils d’Emmanuel, lui-même gendarme qui avait pourchassé en vain, pendant l’entre-deux-guerres, le Cépiau et son père dans leurs œuvres braconnières) et Claude Ravaillot (dit le « ptiot Glaude »). Roger était le « patron » (adjudant-chef) et Claude, simple gendarme. Après avoir été prévenus par le facteur, ils constatèrent effectivement le corps inanimé du Cépiau. Le médecin du village, le docteur Rouleau, qui affichait quand même 75 ans au compteur, devait constater quelques minutes plus tard le décès suite à un « malaise et à une hypothermie liée à l’absorption d’alcool et consécutivement à un refroidissement nocturne ». Les choses étaient donc très claires et l’enquête fut donc bouclée en un temps record et aucune autopsie ne fut pratiquée.

Le Cépiau n’avait pas de famille proche et personne n’eut l’occasion d’exprimer son point de vue aux enquêteurs. Par ailleurs, la disparition du Cépiau n’indisposait personne parmi les villageois et les notables du coin.

Depuis deux jours, Maurice ne dormait plus et ne pensait qu’à la mort du Cépiau qui lui paraissait pour le moins suspecte. Il voulut voir Robert, mais celui-ci se trouvant à Montpellier, il put enfin le joindre par téléphone. Il lui apprit le décès du Cépiau, puis vinrent quelques explications.

- On a retrouvé le Cépiau mort avant-hier matin le long du chemin de la rivière. La gendarmerie a conclu à une mort suite à un malaise du fait qu’il aurait trop bu le mardi soir. Or tu connaissais le Cépiau autant que moi : il ne s’avinait pas lorsqu’il savait qu’il devait travailler. Qui plus est, nous avions prévu de travailler ensemble mercredi après-midi. Et encore plus curieux, il n’a pas retrouvé son chapeau.

- Écoute, c’est terrible. Samedi et dimanche, le Cépiau et moi étions ensemble et il m’a dit son inquiétude suite à une leçon qu’il a donnée au Comte. Je suis comme toi, je ne crois guère à la version donnée par la maréchaussée.

- Mais que peut-on faire ? Nos arguments ne pèseront pas lourd en face aux gendarmes, d’autant que tu sais que l’adjudant-chef Thouvial n’était pas très copain avec le Cépiau, à cause de son père…

- Ne bouge pas. Je saute dans le premier train et je te rejoins dès que possible. On en rediscute et on ira voir ensemble mon ami le commissaire de police Yves Taxus.

Yves Taxus était d’origine bretonne. Après le bac, il avait fait ses études scientifiques à Paris avec Robert avant de changer d’orientation et faire son droit. Après quelques années dans la région parisienne, il avait été nommé commissaire à A.

˜ 

 

Le maire-comte et le curé s’étaient entendus. Pour éviter tout scandale, malgré l’athéisme revendiqué du Cépiau, on ferait une rapide cérémonie à l’église et on irait ensuite le repiquer au cimetière. De toute façon, personne n’irait protester contre une telle décision.

Au bistrot en face de la gare, Maurice s’était installé à la table qui lui permettait de voir arriver par la fenêtre le train de Robert. Maurice était extrêmement nerveux. Pour se calmer, il avalait son troisième passetoutgrains, lorsque enfin il vit l’ingénieur des eaux et forêts se pointer. Maurice se précipita dehors.

- Bonjour Robert, te voilà enfin. Si tu savais, je ne vis plus…

- Bonsoir Maurice. Tu sais, il me fallait bien la journée pour revenir, l’administration n’a pas les moyens de me payer l’avion. Et puis, il faut que tu te calmes. Moi aussi, ça m’a fichu un coup, le Cépiau et moi, c’était aussi une longue histoire. Il nous faut raisonner pour essayer de tirer cette histoire au clair. Ce matin, avant de partir de Montpellier, j’ai pu passer un coup de fil à Yves. Il nous attend au commissariat.

Les deux compères montèrent dans la camionnette de Maurice et en moins de cinq minutes, ils furent sur place. Yves attendait nos deux compères. Il vint les accueillir en bas des escaliers.

- Salut Robert. Un peu désolé de se voir en de telles circonstances…

- Bonjour Yves, je suis venu avec Maurice, un autre ami du Cépiau.

- Bien, à cette heure, il faut que je donne congé à mes gens. Je vous rejoins dans mon bureau à l’étage.

En montant, Maurice ne put s’empêcher de détailler le travail des escaliers de bois. Il crut y voir la patte du Cépiau.

- Bon, eh bien dites-moi tout !!

- Maurice et moi pensons que la mort du Cépiau est suspecte. Certes, il lui est arrivé de faire des virées, certes il aimait les bonnes bouteilles, certes il avait le vin joyeux, mais une chose est sûre, le Cépiau n’était pas du genre à être ronflé comme un parrain quand il avait du boulot. Et justement, le matin où on l’a retrouvé sec, Maurice devait le retrouver pour travailler ensemble.

- Et tu penses que…

- Je pense que les gendarmes chargés de l’enquête là-bas ne sont qu’une équipe de bras cassés. A vrai dire, quand on n’est même pas capable d’attraper les voleurs de poules, il ne faut pas trop s’étonner de la pertinence des investigations.

- Oui, j’en ai entendu parler. Mais tu sais que je ne peux pas intervenir à la gendarmerie, à moins que…

- A moins qu’on trouve quelque chose de flagrant qui permettrait de rouvrir l’enquête.

- Exactement, mais il nous faudra du solide. Et à ce moment là, on pourra les dessaisir. Mais c’est à vous d’aller fouiner là-bas. Moi, je dois rester dans l’ombre.

- Très bien, Maurice et moi partons au village demain matin à la première heure.

Le lendemain matin, peu après 7 heures, la camionnette s’arrêta devant la boutique de la mère Vieillard. Cette dernière tenait un bar-restaurant-épicerie tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Il était donc tout naturel que Maurice et Robert mettent cette étape au menu de leur enquête, d’autant plus que la mère Vieillard était une des rares personnes du village qui appréciait vraiment le Cépiau. En effet, il venait souvent la visiter et ils mangeaient régulièrement du poisson ensemble. Elle disait tout le temps : « Cépiau, que lai diable ait vôt’ pouchon, vôt’ pouchon est tout ! ». Effectivement, si la mère Vieillard aimait cuisiner, elle avait horreur d’éviscérer les poissons.

Les deux compères entrent dans le bistrot, ils sont les premiers clients.

- Bonjour mère Vieillard, comment allez-vous ?

- Bonjour Maurice, boujour Robert. On fait aller, mais c’est pas la joie avec la mort du Cépiau. Qu’est-ce que je vous sers ?

- Deux ptiots cafés.

- Alors, qu’est-ce qui vous amène au juste ?

- La mort du Cépiau, vous pensez bien. On ne croit pas trop à une mort naturelle.

- Tiens donc, figurez-vous que je me pose moi aussi des questions.

- Vous aussi ?

- Oui, moi ce qui me paraît bizarre, c’est qu’on n’a pas retrouvé le chapeau du Cépiau.

- Alors ça, fit Maurice, c’est impossible, il ne le quittait jamais, hiver comme été, sauf pour dormir.

- Oui, il ne l’aurait pas quitté pour un empire.

- Avec le fait qu’on l’ait retrouvé bourré, cela fait déjà deux choses suspectes, marmonna Robert.

- Trois, déclara la mère Vieillard.

- Trois ? Quoi d’autre ?

- Eh bien la veille que l’on a retrouvé le Cépiau sec le long de la rivière, je l’ai aperçu avec le curé avec son vélo près de l’église. Curieux, non, en compagnie du curé ? Et ils n’avaient pas l’air de s’engueuler cette fois.

- Bizarre en effet. On ne peut pas imaginer ces deux là autrement que de se cracher des insanités à la figure.

- Et je crois bien qu’il n’avait déjà pas son chapeau sur la tête.

- A croire qu’on ne parle pas du même homme, fit Maurice.

C’est alors qu’on vit rentrer Charles, complètement affolé.

- Qu’est-ce qui t’amène, Charles, demanda la mère Vieillard ?

- J’ai vu la voiture de ces Messieurs garée devant chez toi, et je me suis dit qu’il fallait que je les voie de toute urgence.

- Ah oui, Charles, et en quel honneur, demanda Maurice ?

- Moi, j’ai une idée, fit Robert. Il se demande s’il ne va pas se retrouver au chômage. Le Cépiau venait de l’embaucher après que le comte l’eut mis à la porte.

- Oui, et maintenant, c’est pas le comte qui va le reprendre après toutes ces histoires, déclara Maurice. Bon, que veux-tu, Charles ?

- Robert a raison. Avec la mort du Cépiau, je suis grillé partout dans le village, vous pensez bien. Personne ne voudra plus jamais me faire confiance.

- Encore que ne pas être copain avec le comte soit plutôt une qualité à mes yeux, déclara Maurice.

- Ce n’est pas si grave, fit Robert. Si ce n’est que ça qui te tracasse, je verrai ce que je peux faire avec mon administration et on trouvera bien à te recaser quelque part.

- Merci Robert.

- Ne me remercie pas, Charles, tu es un bon gars dans le fond. Le Cépiau ne s’y trompait pas.

- Et puis il y a autre chose. Une chose curieuse, dont je viens tout juste de m’apercevoir. Le paquet de taupicine que je gardais dans ma remise a disparu.

- Très curieux en effet, d’autant que ce n’est pas la saison où on empoisonne les taupes, fit Robert. Tu n’as rien dit à la gendarmerie ou à quelqu’un d’autre au moins ?

- Non, vous êtes les premiers à qui je dis ça.

- Eh bien, s’écria Robert, continue ainsi, ne dis plus rien à personne. Et toi non plus mère Vieillard. Maurice et moi, allons poursuivre notre enquête parallèle. Pas un mot à personne.

Maurice et Robert avalèrent leurs seconds cafés et, alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, le facteur entra.

- Ah, voilà not’ facteur, s’écria la mère Vieillard.

- Bonjour facteur, dit Maurice en l’invitant à s’asseoir. Nous voulions justement vous rencontrer.

- Bonjour Messieurs. Que voulez-vous ? C’est pour une lettre, un paquet, un mandat ?...

- Non, non, dit Robert. C’est juste que nous voudrions quelques éclaircissements sur le Cépiau.

- Le Cépiau ? Mais, je le connaissais à peine !

- Oui, nous le savons, fit Maurice. Mais c’est bien vous qui l’avez retrouvé le long du chemin le long de la rivière ?

- Pour ça, oui, c’est bien moi qui l’ai trouvé le Cépiau. Etendu de tout son long qu’il était. Et puis déjà tout froid et tout raide.

- Et son chapeau ?

- Son chapeau ? Je n’en sais rien.

- Avait-il son chapeau quand vous l’avez trouvé, s’impatienta Robert.

- Eh bien, maintenant que vous le dites, non, il n’avait pas son chapeau. Les gendarmes l’ont aussi remarqué. Et puis, qu’est-ce que cela peut faire ?

- C’est essentiel, répondit Maurice. Et les gendarmes ont-ils retrouvé le chapeau ?

- Ça, vous n’avez qu’à aller le leur demander.

- Très bien, très bien, fit Robert. Nous vous remercions. Au fait, mère Vieillard, le docteur Rouleau, où peut-on le trouver ?

- Eh bien, ce matin, vous le trouverez sûrement à son cabinet au Moulin Roypol.

- Très bien, merci, répondit Robert en sortant du bistrot. Nous mangerons là à midi.

Sur ce, Maurice et Robert se mirent en route en direction du Moulin Roypol.

˜ 

 

La neige commençait à tomber. Le vent soufflait dans les branches des épicéas du Mizieux, jouant cette musique si caractéristique. La nuit commençait à tomber. On entendit bientôt crépiter un feu. Bientôt, une odeur de viande grillée emplit le sommet de la montagne. Pourtant, personne n’habitait ce coin perdu, surtout en cette saison.

La neige gelée de la nuit, crissait sous le pas. Au détour de la chênaie à molinie, il y avait un long chemin au bord duquel les sphaignes et les polytrics émergeaient du fin manteau neigeux. On distinguait là nettement le trafic qui s’était opéré pendant la nuit : une petite compagnie de laies suitées, un chevreuil solitaire et d’innombrables passages de renards dont les pas conduisaient tous en direction de la mouille du Diable. Cette mouille était en réalité un vaste complexe de prairies paratourbeuses plus ou moins gorgées d’eau et entrecoupées de fourrés de saules à oreillettes, de bourdaines, de bouleaux pubescents et même quelques bouquets de pins sylvestres chétifs. On y trouvait même çà et là des espaces de tourbières atterries au sein desquels des squelettes de linaigrettes engainantes surmontaient les touffes de callune et les touradons de molinie et de canche cespiteuse. Dans les creux et les gouilles, on pouvait encore observer les tiges de rynchospores blancs qui gardaient le souvenir quelque peu exotique de leurs voisines les droséras qui avaient passé leur été à se repaître d’insectes englués dans leurs magnifiques feuilles gluantes. Alors que le temps semblait s’être arrêté dans ce paysage quasi boréo-arctique, une chevrette grise surgit d’une touffe de genévriers. Comment pouvait-elle se cacher là ? Il n’y avait presque rien pour l’abriter. Alors que le cervidé allongeait son troisième saut, un coup de feu retentit. Et puis, plus rien. Seuls les geais de la forêt du Laré protestèrent du silence rompu.

A l’étang du Diable, on commençait à s’affairer. Chacun était à son poste : un homme dans la pêcherie, un à la pelle, deux à la table de triage et deux porteurs de bassines. Enfin, deux femmes étaient à la pesée et à la vente. Le reste de l’attroupement était composé de jifatouts [20] et de curieux.

- Vas-y, Marcel, tu peux envoyer !

- D’accord, j’envoie la sauce, Justin.

Les gardons, rotengles et perches arrivèrent en premier. Justin en ramena de pleines épuisettes qui éclatèrent sur la table de triage. Puis vinrent en vrac carpes, tanches et autres brochets. Les curieux s’épatèrent de la taille de certains poissons, dirent, comme d’habitude, d’énormes bêtises qui auraient horrifié n’importe quel ichtyologue. Le bal des bassines, baquets et autres seaux dura bien deux bonnes heures. Vers dix heures, Justin, le propriétaire de l’étang sonna le rassemblement. C’est alors que l’aligoté ou les kirs se mirent à couler pour faire glisser les généreuses portions de jambon cru à la cendre.

- Marcel, as-tu remarqué ce matin dans la sommière, il y avait les traces d’un chevreuil, et contrairement à l’habitude, c’est en sens unique.

- C’est vrai, et ce matin, alors que je prenais mon café, il me semble avoir entendu un coup de fusil là-bas dans la tourbière. Mais je n’ai rien vu. Curieux, d’autant qu’aucune chasse n’était prévue aujourd’hui.

- Le Cépiau ?

- Eh bien non, figure-toi que j’ai entendu dire qu’il était mort. Encore une victime de l’alcool !

- Ah oui ? Le Cépiau mort ? C’est incroyable ! Un vieux renard comme lui…

˜ 

 

Robert et Maurice arrivent dans le bureau d’Yves Taxus. Comme la fois précédente, ce dernier congédie ses subordonnés et leur offre, deuil oblige, un verre de Bordeaux.

- Alors Messieurs, quelles nouvelles ?

- Eh bien, fit Robert, nous avons passé la journée au village. Nous avons vu, la mère Vieillard, la bistrotière, Charles, l’ancien régisseur du comte, le facteur et le docteur Rouleau. En revanche, nous n’avons pu discuté avec le curé, il n’a pas voulu nous parler.

- Et qu’avez-vous donc appris au point de vouloir me voir dès ce soir ?

- Des tas de choses qui mériteraient de rouvrir l’enquête, déclara Maurice.

- Halte là, pas si vite, fit Yves. Quoi donc ?

- Eh bien, il y a déjà cette histoire de chapeau : on n’a pas retrouvé le cépiau du Cépiau et personne ne semble s’en être inquiété.

- Mais, fit Yves, ce n’est pas parce qu’on n’a pas retrouvé son chapeau que cela prouve quoi que ce soit. Il l’aura égaré quelque part.

- Impossible, répondirent de concert Maurice et Robert. Le Cépiau est inconcevable sans son couvre-chef.

- Bon, admettons, quoi encore ?

- Le docteur Rouleau !

- Quoi, le docteur Rouleau ?

- Eh bien, fit Maurice, je n’en voudrai pas pour soigner mon chien.

- Mais il s’agit d’un médecin.

- Certes, fit Robert, nous ne remettons pas en cause ses diplômes, mais il sucre sacrément les fraises le vieux. Et si ce n’était que ça, il est complètement gâteux.

- Et puis, ajouta Maurice, il mélange tout, a une mémoire plus que défaillante.

- Oui, mais c’est lui qui a établi le certificat de décès et nous n’y pouvons rien.

- Et il y a la disparition du paquet de taupicine chez Charles, fit Maurice.

- Autrement dit, mon cher Yves, il faudrait voir si le Cépiau n’aurait pas été empoisonné avec ?

- Là, je vous arrête, mes amis, dit Yves. La taupicine a pu disparaître depuis longtemps. Et qui sait si Charles ne perd pas la boule lui aussi ou s’il n’a pas une part de responsabilité dans ce qui vient d’arriver ?

Robert s’étrangla.

- Mais qu’est-ce qu’il est mauvais ton vin, on dirait que tu y as fait tremper une pierre à fusil pendant des années. Si tu n’étais pas mon ami, je te l’aurais jeté à la figure. Il n’y a pas idée de boire des machins pareils. Et puis, tu me prends pour un con ou quoi ? Tu ne crois pas qu’il nous arrive de réfléchir nous aussi ? Le Cépiau a été assassiné, n’importe quel débutant finirait par le reconnaître.

- Mais, Robert, calme toi. Je reste ton ami. J’essaye juste de me mettre à la place de la partie adverse. Je ne doute pas un seul instant de votre bonne foi à tous les deux, mais disons que nous marchons sur des œufs, et il va falloir trouver une faille. Quant au vin, tu sais que chez nous, nous ne jurons que par ça.

- « ça », comme tu dis, vieux frère. Toute une éducation à refaire !

- Et si nous allions faire une déposition à la gendarmerie du village, demanda Maurice ?

- Oui, c’est exactement ce que j’allais vous proposer. Mais je vais être obligé de vous accompagner, sinon je crains un peu que vous ne soyez pas entendus.

Les obsèques du Cépiau eurent lieu le lendemain matin dès huit heures. Le Cépiau n’avait aucune famille dans le coin et ses amis étaient bien peu nombreux dans la région. Il y avait donc moins de dix personnes dans l’église. Maurice avait lui-même choisi le plumier dans lequel reposerait le défunt : du chêne morvandiau de belle venue, avec de belles moulures comme le Cépiau aurait aimé. Ni Maurice ni Robert n’avaient voulu voir le mort avant qu’on ne referme le chapeau. La cérémonie fut des plus classiques, sans aucune forme de personnalisation. Une fois que le cercueil fut emporté au cimetière par les croque-morts, le maire-comte et le curé s’éclipsèrent en direction du château.

˜ 

 

Si les fibres de bois de la grande table pouvaient parler, elles pourraient expliquer ce qu’elles avaient entendu, vu, ressenti… Deux coupes de Champagne venaient de heurter le plateau de chêne dans un éclat de rire diabolique.

L’adjudant avait été prévenu le matin même. Maurice, Robert et Yves arrivèrent à la caserne à 9 heures.

- Messieurs, je vous prie de vous asseoir, nous allons procéder à la vérification de vos identités.

Les trois hommes s’exécutèrent. Près d’une demi-heure plus tard, l’adjudant-chef Roger entra dans le hall.

- Alors, Messieurs, que puis-je pour vous. Vous souhaitez faire une déposition au sujet du décès du Cépiau ? Et pour cela, vous aviez besoin du concours de la police. C’était complètement inutile. D’ailleurs, la police n’a pas compétence dans ce canton. Je suis seul habilité à vous auditionner.

- Nous le savons, répondit Yves, je ne suis là qu’à titre privé, en tant qu’ami de ces Messieurs. Et nous souhaiterions, au moins dans un premier temps, être auditionnés de façon conjointe.

- Qu’à cela ne tienne, exceptionnellement, j’accepte cette requête peu orthodoxe. De toute façon l’enquête sur le décès du Cépiau est définitivement close. Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer dans mon bureau.

Maurice et Robert commencèrent alors le récit des faits troublants qu’ils avaient pu recueillir au sujet des circonstances de la mort du Cépiau. Le récit terminé, l’adjudant-chef éclata de rire.

- Eh bien, commissaire Taxus, c’est pour ça que vous m’avez fait déranger ? Tout cela ne tient pas la route. Et vous, votre histoire de chapeau perdu, que voulez-vous que ça me fasse ? Bien sûr que nous l’avions remarqué : il l’aura laissé quelque part ou l’aura perdu en route, tout simplement.

- Non cria Maurice. Le Cépiau n’aurait jamais abandonné son chapeau quelque part et l’aurait encore moins perdu.

- D’ailleurs, s’écria Robert, la disparition du chapeau est bien la seule chose que vous ayez remarquée. Sauf à vous déplaire, mon Adjudant, beaucoup de choses vous ont échappé. Avez-vous interrogé le docteur Rouleau ?

- Bien sûr que nous avons interrogé le docteur. C’est même lui qui a fait le constat de décès : mort naturelle par ingestion irraisonnée d’alcool.

- Si on vous croit, fit Robert, s’il n’était pas mort, vous auriez volontiers verbalisé le Cépiau pour ivresse publique.

- Tout à fait.

- Alors, fit Maurice, vous n’avez pas discuté personnellement avec le docteur Rouleau. Pourquoi croyez-vous que le gens du village ne le consulte plus ? Pourquoi croyez-vous que tout le monde s’en va à R pour voir le médecin ?

- Je ne sais pas, moi, ce n’est pas mon problème si les gens préfèrent tel ou tel médecin.

- Eh bien nous, nous savons pourquoi : votre médecin est gâteux et ne sait plus où il en est la moitié du temps.

- Mais vous n’aviez pas à interroger le docteur Rouleau.

- Faux, mon Adjudant, coupa Yves. Selon vos dires, l’enquête est close et par conséquent, chacun est libre d’aller discuter avec qui bon lui semble.

- De toute façon, rien ne vous autorise à remettre la parole du docteur en doute.

- Alors, demanda Robert, vous n’allez pas demander une étude toxicologique sanguine ?

- Non, je n’en vois pas l’utilité. Ce ne sont pas vos élucubrations qui vont changer quelque chose et permettre la réouverture de l’enquête. D’ailleurs le maire m’a dit que…

- Le maire vous a dit ?

- Rien, cela ne vous regarde pas.

- Fort bien, fit Yves à ses deux compères, il est clair que nous n’obtiendrons rien par ici.

- Parfaitement, commissaire Taxus, vous m’avez déjà suffisamment perdre mon temps et je ne vous retiens pas.

- Minute, mon Adjudant-chef, vous allez quand même enregistrer les dépositions de ces Messieurs.

- Mais…

- Il n’y a pas de mais, la loi l’exige.

- Certes, certes, le Brigadier Gondronel va s’en occuper. Au revoir Messieurs.

Il fallut bien le reste de la matinée pour taper, doigt à doigt les dépositions. A midi, les trois hommes se retrouvèrent pour l’apéritif chez la mère Vieillard.

- Eh bien chers amis, fit Yves, on n’est pas frais pour aller aux devants de l’empereur. L’Adjudant est un sacré con. De plus, il protège son pré carré. Néanmoins, je pense qu’il va bouger.

- Ça n’est pas gagné dit Robert. Mais si on allait taper son patron, le capitaine Mangemoisec à A. ? Il me semble que dans le temps, le Cépiau était vaguement copain avec lui.

- Eh bien c’est vrai, s’écria Maurice, pourquoi n’y avons pas songé plus tôt.

- Tout simplement parce qu’on pouvait encore croire à un minimum d’intelligence de l’Adjudant, fit Yves. Mais de toute manière, ça va bouger. Vos dépositions ne vont pas totalement rester lettre morte. Vous devriez prévenir Charles : je parie qu’ils vont l’arrêter pour cette histoire de taupicine.

- Très bien, fit Maurice, nous irons le voir après manger. Il ne faudrait pas qu’il s’inquiète.

- Autrement, il y a quelque chose qui m’inquiète, fit Yves. Pourquoi diable a-t-il évoqué le maire ?

- Il a parlé du maire, répondit Robert en finissant son verre d’aligoté, avant de se raviser et de s’apercevoir qu’il en avait déjà trop dit. Tu as raison, Yves, c’est louche cette histoire.

- Il aura reçu des consignes du maire fit Maurice. Tu penses bien qu’ils sont cul et chemise ceux deux là.

A la fin du repas, Maurice fit part à voix basse d’une idée.

- Après avoir vu Charles, nous rentrerons à A. Vous, vous irez voir le capitaine Mangemoisec et moi, vous me laisserez en route dans le virage du Bois de la Coiffe. Je reviendrai discrètement au village à la tombée de la nuit pour ne pas me faire repérer. J’ai bien envie de rendre visite au curé.

- Le curé ? Mais il ne voudra jamais te recevoir fit Robert.

- Mais qui a dit que je me ferai annoncer. Je veux juste essayer d’en savoir plus.

- Méfie-toi, Maurice, il ne faut pas que tu te rendes coupable d’une quelconque infraction.

- Ne t’inquiète pas, Yves, c’est le Cépiau et moi qui avons réalisé les portes de l’église et de la cure. Je saurai les ouvrir sans que personne ne s’en aperçoive.

- Très bien fit Robert, je te fais confiance, je sais que le Cépiau et toi aviez plus d’un tour dans votre sac.

Il longea la rivière, se faufila entre les bouquets de vernes, puis à la hauteur du pont des Chaumes froides, il obliqua en direction de la station de pompage d’eau potable. Si le Cépiau avait été là, il n’aurait même pas pu le distinguer parmi les silhouettes des balais [21]. Cette fois, en effet, la nuit était belle et bien tombée, mais la lune bientôt pleine, guidait largement les pas des braconniers et des brigands.

Alors qu’il allait gagner le cimetière par le bas de la grande pâture, Maurice trébucha en débuchant de la bouchure. Il n’eut pas le temps de grommeler d’une telle maladresse qu’un morceau de bois vint se plaquer violemment contre sa gorge. Maurice crut sa fin proche, se débattit, fit mine de hurler, mais la pression sur sa gorge se fit plus forte encore, étouffant définitivement tout essai de râle parmi les genêts.

˜ 

 

Puis, soudain, la pression sur la gorge se détendit.

- Maurice. Bon dieu, Maurice !

Maurice fut pris par une insupportable quinte de toux, alors qu’il avait peine à reprendre haleine.

- Maurice, mais Maurice, qu’est-ce que tu fais là ?

Maurice était totalement plongé dans l’obscurité, dans le brouillard total, mais il crut bien reconnaître cette voix.

- Maurice, je suis désolé, mais comment pouvais-je deviner ?

Cette voix, assurément venait d’outre-tombe. Maurice était certainement mort.

- Maurice, Maurice, tu me reconnais ?

Comment cela pouvait-il être possible ? Comment un mort pouvait-il lui adresser la parole, s’il n’était pas lui-même décédé ? Seulement, voilà, Maurice reprenait lentement ses esprits.

- Maurice, Maurice, c’est moi.

- Moi, moi, mais qui êtes-vous ?

- Eh bien, c’est moi, c’est le Cépiau !

- Comment ça, le Cépiau ? Le Cépiau est mort !

- Tout le monde pense que le Cépiau est mort, mais je suis bien là, sain de corps et d’esprit.

Maurice sortit une lampe torche de sa poche et éclaira le visage de son interlocuteur.

- Bon dieu, c’est bien toi, Cépiau.

- Oui, c’est bien moi. Tu me reconnais cette fois.

- Mais comment cela se peut-il ? Tu étais mort, et même enterré à deux pas d’ici.

- Eh oui, tout le monde pense que je suis mort, y compris mon assassin.

- Ton assassin ? Mais tu es mort ou vivant ?

- Enfin pas mon assassin, mais…

- Mais quoi ? Tu crois que ça me fait rire ?

- Non non, l’assassin de mon frère !

- C’est pas dieu possible ? Ton frère ?

- Oui, mon frère, Pierre !

- Mais il ne vit pas en Normandie ?

- Ben oui, mais à l’occasion de ses cinquante ans, il était venu me voir. Depuis toutes ces années…

- Mais je n’y comprends rien. C’est bien toi qu’on a trouvé mort.

- Eh bien non, sinon, je ne serai pas là à te faire la causette.

- Mais alors…

- Mon frère me ressemblait beaucoup et il n’a qu’un an de moins que moi.

- Voilà qui explique sans doute le chapeau.

- Le chapeau ?

- Oui, il ne portait pas de chapeau ?

- Ben non, ou alors occasionnellement.

- Attends, attends, il faut que je comprenne.

- Pierre était arrivé le mardi soir à l’atelier. Après les retrouvailles, j’étais allé déposer sa voiture au garage Magnard pour la révision. Pendant ce temps là, il a voulu rentrer aux Ravatins à vélo pour se dégourdir les jambes. Et moi, je suis rentré à pied en coupant à travers la garenne. Il n’était pas encore arrivé aux Ravatins, mais je ne me suis pas inquiété, pensant qu’il aurait trouvé une vieille connaissance en route.

- Il connaissait du monde ici ?

- Eh bien, pas grand monde, mais les Crintilleux ou les Vaugris, ce sont des gens sympa. Je pensais qu’ils auraient pu prendre l’apéritif ensemble. Du reste, depuis le temps, ce sont peut-être les seuls à connaître Pierre.

- Et alors ?

- Alors vers vingt heures, j’ai commencé à m’inquiéter, d’autant que la marande était plus que prête.

- Et ?

- Et j’ai pris la camionnette et je suis passé chez les Crintilleux et les Vaugris. Mais rien, ils ne l’avaient pas vu. Du coup, je rentré aux Ravatins, pensant le retrouver là-bas, mais rien. Et je l’ai attendu toute la nuit.

- Et le lendemain ?

- Le lendemain, je suis quand même passé relever quelques collets. Et en arrivant près de l’atelier, j’ai vu les voitures de la gendarmerie. Je suis resté caché dans le bosquet. Au départ, je n’ai rien compris. Ce n’est que petit à petit que j’ai compris ce qui se passait. Et le temps de rentrer furtivement aux Ravatins, de me ravitailler avec ce que je pouvais dont ce fusil, je n’ai cessé de me cacher dans les bois pour essayer d’éclaircir cette histoire.

- Ah c’est avec la crosse de ce fusil que tu as manqué m’étrangler ?

- Eh bien oui, que veux-tu, je suis désolé, je ne pouvais pas savoir.

- Oui, et tu n’es pas rasé. Mais qu’est-ce que je suis content de te retrouver. Ah si Robert savait ça !

- Ah oui, je vous ai vu au village à plusieurs reprises. Que faisiez-vous au juste ?

- Eh bien, nous menions l’enquête, car nous n’avons jamais cru à « ta » mort naturelle.

- Et qu’est-ce qui vous a mis sur la piste ?

- Eh bien le chapeau dont je t’ai déjà parlé, le fait qu’on a conclu à une mort liée aux conséquences d’un coma éthylique. Et puis la disparition de la boite de taupicine chez Charles.

- Évidemment, on aura voulu le mouiller lui si l’histoire de la mort accidentelle n’avait pas pris. Et figure toi que cela n’a pas traîné, il a été embarqué par les gendarmes en fin d’après-midi.

- Mais comment fais-tu pour être aussi bien au courant de ce qui se passe au village.

- Tu sais bien, Maurice, un œil, une oreille derrière chaque arbre…

- Ouais…

- Et toi, que fais-tu ici à une heure pareille ?

- Eh bien j’avais dans l’idée d’aller fouiner chez le curé. Il ne me paraît pas net celui-là.

- A qui le dis-tu ? J’étais là pour la même raison, quand j’ai entendu les jacques [22] près de la rivière qui m’ont alerté.

- Rien ne t’échappe toi.

- Et voilà comment je t’ai tendu un piège avant de te tomber dessus.

- Bon et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

- Eh bien, on était parti rendre visite à notre curé, non ?

˜ 

 

Comme convenu la veille, Robert attendait, avant même la pique du jour, dans une sommière du bois de la Coiffe. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit monter, non pas un, mais deux hommes dans la voiture.

- Mais, qui…

- Salut Robert !

Robert n’en croyait pas ses yeux. Était monté à l’avant de la voiture une forme de réincarnation de son ami, mais hirsute au possible et accoutré comme un peyant [23]. Robert en resta coi.

- Robert, y’o bien moué, le Cépiau.

- Mais d’où c’est donc que tu sors ? Tu es mort !

- Eh bien oui, Maurice en a pété à la renverse [24] lui aussi.

- C’est bien le moins que l’on puisse dire, s’exclama Maurice, il a failli m’étrangler pour de bon !

- Mais vous allez m’expliquer, s’énerva Robert.

- Ne t’inquiète pas Robert, dit Maurice. On va tout t’expliquer. Mais ne reste pas là, Robert, il ne faudrait pas qu’on nous repère. On fêtera nos retrouvailles plus tard.

Sur ce, la voiture s’élança pour regagner A.

Après un bon bain et après avoir revêtu des habits propres que Maurice lui avait apporté (Robert était trop grand), le Cépiau descendit dans le séjour de la maison de Robert où Yves attendait aussi.

- Eh bien, Messieurs, dit Robert d’un ton solennel, pour fêter la renaissance du Cépiau, nous allons boire cette petite bouteille de Chambertin-Charme 1947 !

- Un moment, Messieurs, coupa le Cépiau, je n’ai jamais été mort. Je boirai volontiers un verre de sommet de l’art vigneron, mais n’oublions pas que dans cette affaire, mon frère Pierre, lui a bel et bien été assassiné.

- Bien sûr dit Robert, et c’est la raison pour laquelle Yves nous a rejoint. Je crois que tu ne le connais pas, Cépiau.

- Non, pas que je sache. Et qui êtes-vous ?

- Je suis un ami de Robert et accessoirement, commissaire de police de cette bonne et vieille ville.

Tout le monde se salua et on trinqua en se jurant de mettre l’assassin sous les verrous dans les plus brefs délais.

- Bon, et maintenant fit Robert, dîtes-nous ce que vous avez vu ou entendu chez le curé ?

- Eh bien, dit Maurice, nous sommes passés par la remise sur le côté de la cure. Et devinez ce que nous avons trouvé là-bas dedans ?

- Je n’en sais rien, dit Robert.

- De la taupicine, essaya Yves.

- Ah, je vois que Monsieur a de l’idée fit le Cépiau. Non, on a trouvé un manuel de toxicologie appliquée.

- Je vois, dit Yves, et la taupicine, il a dû s’en débarrasser. Je suis à présent persuadé que c’est lui le meurtrier de votre frère.

- C’est vrai, répondit le Cépiau, que ce pauvre type ne m’a jamais été sympathique, mais de là à en faire le meurtrier…

- Mais c’est peut-être que vous n’êtes pas au courant. Si je me souviens bien, la mère Vieillard a dit à Robert et Maurice que le soir où votre frère Pierre est arrivé, vous a vu en compagnie du curé, ce qui n’avait pas été sans étonné la mère Vieillard, tant la chose lui avait paru curieuse.

- Et moi, dit Maurice, je crois avoir dit à la mère Vieillard : « on ne croirait pas le même homme » en parlant de toi, Cépiau.

- Évidemment Maurice, je ne l’ai pas vu ce soir là, je ne lui jamais adressé la parole que devant témoin et en général, ce n’est pas des compliments.

- Mais alors, dit Yves, comment a-t-il pu attirer votre frère chez lui, pensant que c’était vous ?

- Je n’en ai aucune idée répondit le Cépiau, mais il avait du mettre le paquet pour attirer mon intention ou me séduire. Et Pierre, lui n’aura pas fait attention. Peut-être voulait-il me proposer un marché ? N’avait-il pas les boiseries du chœur à remettre en état ? Je n’en sais rien.

- Mais il va bien falloir trouver un moyen de le faire parler dit Yves.

- Les faire parler, parce qu’à tous le coups, le comte est mêlé à cette histoire. Tout s’éclaire maintenant. Je les ai vu tous les deux à plusieurs reprises, pas l’air tranquilles. Je les ai aperçu bien souvent ensemble ces derniers temps, mais les rendez-vous ne duraient jamais bien longtemps.

- Le maire pourrait être dans le coup, demanda Robert. Ce grand escogriffe ?

- Escogriffe peut-être, mais pas si con lorsqu’il s’agit de faire valoir sa gloriole et surtout ses intérêts, répondit le Cépiau.

- Oui, je sais, je l’ai vu manœuvrer dans les ventes de bois. Car c’est lui qui dirige le syndicat des propriétaires forestiers et il n’est pas tendre en affaire.

- Et puis comment crois-tu qu’il est devenu maire ? Certes, avec son copain le curé, il s’est mis dans la poche toutes les grenouilles de bénitier du pays, les bien pensants, les gens qui disent amen à tout. Crois moi, ils sont nombreux ces gens là et à eux deux, ils ont su embobiner tout le monde.

- Bon très bien, dit Yves, j’ai une idée. Robert va demander une audience au maire, prétextant un projet de coupe de bois sur la forêt communale. Maurice, lui se débrouillera pour amener le curé à la mairie. Et moi, je rameuterais les gendarmes d’A. pour cueillir les coupables. Et vous Cépiau, vous resterez planqué dans la roseraie près de la mairie jusqu’à ce qu’on vous fasse signe.

Sur ces bonnes paroles, ils trinquèrent de nouveau.

- C’est vrai qu’il est pas mauvais ton petiot vin rouge fit Yves à Robert en clignant de l’œil.

Après avoir mis au point dans les moindres détails leur plan d’attaque, les quatre hommes se quittèrent en fin d’après-midi.

˜ 

 

Quelques mois plus tard, le curé fut reconnu coupable de l’assassinat de Pierre, frère du Cépiau. Il fut condamné à la peine maximale. Le maire-comte du village fut condamné à 25 ans de prison pour complicité dans l’assassinat. L’adjudant de gendarmerie fut révoqué pour incompétence et le docteur Rouleau, mis à la retraite d’office avec interdiction d’exercer.

L’évêque qui voulait faire un exemple nomma un prêtre-ouvrier, Alphonse comme curé de la paroisse. L’évêque reçut des centaines de lettres de protestation mais n’en tint aucun compte. Le curé devint bientôt l’ami du Cépiau. Les bigotes et les bien pensants du village ne tardèrent pas à être victimes d’une épidémie de crises d’apoplexie, ce qui fit la fortune du nouveau médecin.

Maurice et le Cépiau s’associèrent définitivement. Le château du comte fut mis en vente et la mairie le racheta un bon prix. Le sous-préfet confia la gestion du domaine à Charles.

Le commissaire Yves Taxus et Robert furent nommés à un grade supérieur dans leurs administrations respectives.

Tous les vendredis soir Yves, Charles, Maurice, Robert, Alphonse et le Cépiau se réunissaient aux Ravatins pour rendre hommage à la vie et à l’amitié. Au menu, les « productions locales » et de « l’eau végétale » de Bourgogne !

 

AMEN.

Notes :

1.        Chêne, le plus souvent, dans cette situation, Quercus robur L. (Chêne pédonculé).

2.        Synonyme de bouchure, haie.

3.        Imbécile, niais, idiot du village…

4.        En fête, tournée joyeuse et arrosée.

5.        Côte bourguignonne, en particulier les Côte de Nuits, Côte de Beaune, Côte chalonnaise…

6.        Fraxinus excelsior L. (Frêne commun).

7.        Quercus robur L. (Chêne pédonculé).

8.        Alnus glutinosa (L.) Gaertn. (Aulne glutineux).

9.        Salmo trutta Linnaeus ,1758 (Truite commune), souvent dénommée Truite fario, il s’avère que les truites de rivière (fario), de mer ou de lac, appartiennent à la même espèce et ont le même patrimoine génétique. Les différences morphologiques ne correspondent qu’à des formes liées à leur habitat, à leur lieu de vie, à leur caractère migratoire optionnel.

10.     Larve d’insecte de l’ordre des Trichoptères (phryganes), dont la plupart portent un fourreau plus ou moins cylindrique à conique, fait de débris organiques ou minéraux dans lequel ils s’abritent. On les appelle aussi porte-bois ou porte-faix.

11.     Alopecurus pratensis L. (Vulpin des prés).

12.     Fagus sylvatica L. (Hêtre).

13.     Geum rivale L. (Benoîte des ruisseaux).

14.     Athyrium filix-femina (L.) Roth (Fougère femelle).

15.     Potron-minet, très tôt le matin, avant la pointe du jour.

16.     Cuisiner, manger.

17.     Pommes de terre (Solanum tuberosum L.).

18.     Myrtilles (Vaccinium myrtillus L.).

19.     Couché, tombé.

20.     Homme toujours prompt à donner des conseils, à parler beaucoup et à ne pas faire grand chose, ou alors, quand il fait, à faire systématiquement des choses ni faites ni à faire.

21.     Cytisus scoparius (L.) Link (Genêt à balais).

22.     Geai des chênes [Garrulus glandarius (Linnaeus 1758)].

23.     Vagabond, chemineau, gueux.

24.     Être stupéfait, frappé d’épouvante.

18 décembre 2009

Scoop : il neige en décembre !

Cela m’agace toujours autant. Quelques centimètres à peine de neige et tout le pays est paralysé. Il me semble qu’il ne neige pas plus qu’avant, mais plutôt moins. Il me semble que dans les années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, la neige ne bloquait pas les transports, même lorsque les quantités de neige étaient plus importantes. Certes, à l’époque, il y avait moins de circulation, certes il y avait beaucoup de personnel dans les DDE. Depuis, on a fait des économies. Certes, trop saler n’est pas bon, notamment pour les milieux naturels, mais ce n’est pas la raison. Il y a un évident problème de coordination et très probablement de moyens en dehors des zones réputées de « montagne ». Alors que la neige était annoncée et qu’elle avait commencé à tomber mercredi soir, jeudi matin, rien n’avait été fait, y compris sur de grands axes proches de chez nous. Rien de grave pour 3-4 cm de neige. Inutile de se demander ce qui se passerait avec 15-20 cm.

En attendant, une photo en direction du jardin prise hier matin avant de partir au travail (il en est retombé un peu cette nuit).

N0001

14 décembre 2009

Collection

Je ne suis pour ainsi dire pas collectionneur d’objets, mais là je dois dire que ce début de petit « jeu » me plaît bien.

Les objets des trois premières photos ont été offertes ou gagnées par S. avant que nous nous connaissions. Avant de mettre les pieds à Quimper, je connaissais le décor incontournable de la première assiette. Je m’imaginais qu’il n’y avait que ça. Par provocation, car je n’y connais rien, je vantais les mérites (réels) du Gien, ligériénitude oblige, forcément supérieur au Quimper. Et puis, je suis tombé en admiration devant ces machins là. Comme si on voulait se justifier avec un argument utilitariste, on s’est payé la pendule. Les autres pièces nous ont été offertes, dont la plus spectaculaire (au mur sur fond rose) lors de notre mariage par un individu fort peu recommandable. La dernière pièce, de belle taille, a une cinquantaine d’années, elle a été dénichée par la duchesse-mère de Bretagne dans un genre de vide grenier. Elle qui ne fréquente pourtant guère les braderies, a eu une chance incroyable de trouver une pièce pareille à un prix presque ridicule.

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Cornus rex-populi
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