Monsieur,
Monsieur le Ministre des Plantes et Madame la Ministre des Mycètes m'ont transmis votre courrier de dénonciation calomnieuse, et j'ai demandé que la présente lettre soit intégralement publiée dans la presse internationale au titre de mon légitime droit de réponse. Il convient tout d'abord de souligner que cette lettre anonyme n'étant par définition pas signée, j'aurais dû l'ignorer, mais comme elle a été publiée sur un média à large diffusion, je me devais d'y répondre. Toutefois, je me réserve le droit de déposer plainte contre l'éditeur Karagar.
Contrairement à vous, je ne me laisserai pas aller à des épanchements discourtois qui ne constituent qu'une suite de jugements de valeur bien peu fondés scientifiquement. Je me contenterai donc de m'en tenir au fond.
Vous dites :
« Je crains que le jugement du pourtant lucide sieur Cornus n’ait été dommageablement altéré par une fréquentation trop assidue – et coupable ? – de ses perfides collègues outre marins et que ces heures passées à tenir une tasse de thé avec le petit doigt en érection tout en regardant une masse informe de jelly trop colorée trembloter comme une méduse chimique au creux d’une faïence bleutée ne lui aient ôté tout sens de la mesure. »
Sachez cher Monsieur que je ne consomme que de façon accidentelle du thé et autres infusions, et en général pour profiter de quelques vertus thérapeutiques des plantes des dites infusion lorsque je suis malade. Le reste n'est qu'élucubration sans fondement, pour ne pas dire une technique détournée pouvant laisser penser que vous auriez des pensées anglophobes déguisées.
« Car en effet, voyez-vous, l’homme qui n’a de cesse de brandir sa prétendue scientificité pour mieux nous assommer d’épithètes latinisants, qui balaye d’un revers de manche des politiques agraires jugées indignes, qui dénonce ici un assèchement de zone humide, là un reboisement incongru, plus loin des semis alibis, ce même homme, Monsieur le Ministre, ne sait même plus, à l’heure où je vous parle, distinguer les notions les plus élémentaires, faire le tri dans ses perceptions basiques, bref – le niveau de son incompétence est vous en conviendrez critique – reconnaître le grand du petit, j’irai même jusqu’à dire, la grande de la petite ! »
D’abord je ne proclame aucune scientificité, je me contente, dans mes domaines de prédilection scientifique, d'apporter ma modeste pierre à l'édifice pour tenter d'expliquer, de voir sous un jour parfois inédit, des sujets d'actualité, dans la mesure où les médias, bien peu au fait de ces choses là traitent de façon bien souvent superficielle, simpliste, ou pire, tiennent des propos lénifiants voire mensongers. Ensuite, si vous remettez en cause mes compétences scientifiques, il faudra vous découvrir et me présenter, dans les domaines concernés, la totalité de vos publications internationales de rang A. En ce qui me concerne, je n’ai rien à cacher, l’ensemble de mes publications est librement accessible. Le reste n’est que littérature même si j’ai beaucoup de respect pour la littérature.
« Et, je vous en conjure au nom de la bienséance, n’allez pas illico transformer mes propos, et mettre un inconvenant pluriel à ma dernière assertion. »
Je ne tente de transformer aucun de vos propos puisque, contrairement à vous, je les cite de façon intégrale. Je n’ai pas l’intention de me livrer comme vous les faites à des sous-entendus bien malséants et complètement hors de propos.
« En effet, la Petite n’est pas la Grande Bretagne et ce qui est vrai d’un côté ne l’est pas forcément de l’autre. C’est élémentaire, mon cher Cornus !, lui ai-je pourtant dit, Monsieur le Ministre. »
Comment pourrais-je vous avoir répondu quoi que ce soit puisque je ne vous connais pas et parce que je n’aurais jamais commis une telle erreur, même après avoir bu trois bouteilles du plus mauvais bordeaux.
« S’appuyer sur les dires d’un « ON » dont je subodore qu’il est une sommité rhododendronesque pour asséner des contre-vérités qui risquent fort d’entacher la réputation du plus noble des genres botaniques est à proprement parler un crime qu’il conviendra de punir en temps voulu. »
Si j’ai utilisé ici ou là le « ON », c’est que dans le cadre de mon action de vulgarisation scientifique, ce « ON » n’avait pas lieu d’être pour alléger la rédaction de mon texte. Par ailleurs, ce « ON » est un collectif d’auteurs représentant les plus grandes sommités de la floristique armoricaine. Mes éminents collègues n’ont donc pas de leçons à recevoir. Par ailleurs, nul besoin pour eux d’être des experts du genre Rhododendron puisque vous n’êtes pas sans savoir que ce genre ne fait pas partie de la flore armoricaine indigène spontanée depuis le début du Pléistocène (et pas seulement depuis l’Holocène comme vous tentez, bien maladroitement, de le faire croire plus loin dans votre lettre). Si vous m’accuser, peut-être à juste titre, je le reconnais, de parfois faire preuve d’une certaine « allophytophobie » envers les plantes exotiques envahissantes, vous faites bien pire en anoblissant un certain genre qui ne représente pourtant qu’une part plus que marginale de la biodiversité mondiale et ne participe qu’à un nombre restreint d’écosystèmes, de phytocénoses à l’échelle de la planète. Et l’accusation de crime est pour le moins grotesque puisqu’en la matière, je ne me suis livré à aucune destruction de biomasse chez ces Ericaceae.
« En aucun endroit de la dite Armorique en effet, le rosage de la mer pontique ne constitue une véritable menace pour la flore indigène contrairement à ce que l’on peut observer en maints endroits d’outre-manche comme j’en ai moi-même, o grand rhododendrologue, témoigné dans un article consacré à une vallée perdue des Cornouailles. »
Je reconnais volontiers ne pas être personnellement un expert du genre, ni de l’Armorique ni de l’Outre-Manche, ce que chacun sait, mais j’ai la très nette impression que vous vous livrez là à une observation par le petit bout de la lorgnette. En effet, si l’on ne considère que le département du Finistère (et ce n’est pourtant pas là que le Rhododendron en question est le mieux représenté), Monsieur pourra aller vérifier de lui-même par exemple au Bois du Chap en Châteaulin, si les individus de la plante ne présente pas des problèmes de régénération forestière et de blocage de la sylvogénèse. Je persiste et je signe, cette plante a bien été reconnue comme « invasive avérée », au moins en Armorique. Toutefois, par honnêteté scientifique, sans connaître les stations incriminées, je me dois d’ajouter que les problèmes constatés dans le fonctionnement écologique forestier sont aussi probablement dus à des perturbations anthropiques (ou autres dégradations des habitats forestiers) antérieures ayant conduit à la fragilisation de l’écosystème et à l’accroissement de sa sensibilité vis-à-vis des attaques des espèces monopolistes.
« Même là où je l’ai vu le plus coriace – je parle de la grande éricacée et non du botaniste Cornus -, repoussant allègrement dans un rire moqueur, plus vigoureux que jamais, derrière le dos du bûcheron – très sexy – qui les tronçonne, au sommet des Montagnes Noires, il ne se propage guère que par le marcottage et tous ces soi-disant bois où il prospère ne sont rien d’autres que des anciens parcs où il a été planté de mains d’homme. En d’autres termes, jamais il ne m’a été donné d’en voir un spécimen spontané. »
Je crois que j’ai déjà tout dit et ceci se passe de tout nouveau commentaire.
« En Grande Bretagne en revanche, la bestiole se ressème à tout vent et conquiert ainsi d’immenses territoires et quand on sait l’exigüité de cette île et les problème d’occupation de l’espace que cela engendre, on est pas loin de penser que rhododendron ponticum est la plus grosse menace qui pèse sur l’empire britannique. »
Voilà que l’on tombe maintenant dans l’excès inverse. Et après cela, on m’accuse, moi de dénonciations exagérées…
« On aimerait, pour conclure, que nos botanistes, entretenus à grands frais sur les deniers publics, plutôt que de rester penchés des heures, loupe à la main et cul en l’air – parfois à l’air – à observer de minuscules dernières des mohicanes même pas jolies, se saisissent enfin à bras le corps des problèmes de notre temps et prennent en compte la vérité suivante : l’Europe, si pauvre en espèces depuis les glaciations, a été repeuplée d’exotiques à la force de l’épée par nos braves colons risquant leur vie aux quatre coins du monde connu et aujourd’hui ce sont ces belles étrangères qu’il leur faut étudier. »
Il est vrai que les botanistes sont entretenus à grands frais par des deniers publics, et pire encore, ils en consomment de plus en plus. Non pas à leur propre initiative, mais parce qu’on vient les chercher, parce que eux, malgré tout, aussi inutiles qu’ils puissent être, ont encore un vague sens du service public, et complètement désintéressé. Et oui, ils revendiquent d’étudier de rares mochetés. Et même qu’ils se sont mis à étudier les belles étrangères, parfois dans l’espoir de pouvoir mieux les éradiquer. Un effort pourtant vain tant les pouvoirs publics ont mis du temps pour s’en préoccuper. Et pourtant, il fut un temps où des solutions auraient été possibles. Aujourd’hui, pour la majorité des cas, la bataille est déjà perdue. On ne va quand même pas déclencher une guerre nucléaire pour tuer une fourmi que de toute façon nous n’arriverons pas détruire.
« Enfin, ils devront répondre aux questions qui ME taraudent : pourquoi l’hydrangea qui prospère si bien ici, loin de son Japon natal, ne s’y ressème pas - et qu’on ne me fasse pas l’insulte de croire que je pense aux clones stériles -, quel est le paramètre qui fait que le rhododendron pontique est invasif en Grande Bretagne dont les conditions de sol et de climat semblent pourtant si proches des nôtres, pourquoi un quercus robur planté en Amérique du Nord, dans un milieu semblable à celui de son aire d’origine, n’y atteint jamais la majesté qu’on lui connait ici ? Autant de questions auxquelles le sieur Cornus répond d’un silence assourdissant ! »
Voilà bien une curieuse conception des services publics, répondre aux préoccupations de Monsieur ! Je laisserai volontiers mon Ministre de tutelle dire ce qu’il en pense. Chacun jugera néanmoins de l’impérieuse nécessité de connaître les raisons de la non fructification de plantes ornementales comme les Hydrangea. D’ailleurs, il n’y a même pas d’intérêt économique à le faire. Car à y bien regarder, les pépiniéristes et autres jardineries n’ont guère d’intérêt à ce que ces plantes se (re)sèment facilement. Les autres exemples cités ont bien un véritable intérêt scientifique, et quelques hypothèses théoriques pourraient être formulées. Mais là encore, pour mener des programmes de recherche cohérents, il convient d’en référer à notre Ministre de tutelle pour qu’il accroisse notre financement que vous jugez déjà pourtant excessifs.
« En conséquence, Monsieur le Ministre des Plantes, je ne saurais trop vous conseiller le limogeage du botaniste incriminé et la peine minimale envisagée est l’herborisation à vie sur l’île de Sein. »
Pour un botaniste déjà ha*ze*brou*cké, le limogeage est déjà une belle promotion. Quant à l’île de Sein, j’ignorais qu’elle se situait en Haute-Vienne limousine.
Par conséquent, j’attends à ce que vous me répondiez sur le fond avec des arguments solides qui seront soumis à un comité de lecture indépendant nommé par moi-même ou que vous retourniez à jamais dans l’oubli anonyme d’où vous n’auriez pas dû sortir.
Cornus