Hier, c’était concert (5)
Chose inhabituelle pour nous, le concert débutait à 18 h 30 et c’était un samedi (la seule représentation de ce concert qui plus est). Nous étions partis en avance, mais en arrivant à Lille, je suis pris d’un doute. Le samedi de la Saint-Valentin nous a pris au piège : le parking souterrain habituel était complet et cela coinçait de tous les côtés. Nous réussissons, non sans difficultés, à trouver une place dans un autre parking. On ce précipite et nous trouvons encore le moyen d’arriver avec cinq minutes d’avance.
L’Orchestre national de Lille ne donne jamais tous les détails du programme, ni la durée totale du concert, même de manière approximative. Je pensais donc qu’en une heure et demie, ce serait plié, mais en réalité avec l’entracte, cela a durée deux heures vingt, sans compter les applaudissements. Pourquoi, sans les applaudissements, parce que d’un part le parking fermait ses portes à 21 heures et je ne devais pas me prendre les puces aux côtes pour aller retirer la voiture et d’autre part parce que nous avions réservé dans un restaurant et là aussi, je m’étais fait avoir. Fromfrom au restaurant et moi à errer parmi les rues et parkings de la ville, tous complets. Tous sauf un et finalement pas trop éloignés. Je rejoins Fromfrom à qui on n’a pas encore pris la commande. Un repas très honnête dans l’ensemble. Il y avait du bar, mais je n’en ai pas pris, car j’aurais eu peur d’être déçu par rapport à celui de Vladimir que nous avions trop bien dégusté des yeux.
Mais qu’y avait-il donc au programme ? D’abord qui : pas la formation habituelle mais l’Orchestre national de Belgique où tous les hommes étaient vêtus d’une redingote queue de pie et arboraient un nœud papillon blanc. L’orchestre est dirigé par Andrey Boreyko, né à Leningrad. Quoi ensuite : en première partie, une création (eh oui) avec le Concerto pour violon et orchestre de Benoît Mernier (organiste et compositeur belge), en fait une œuvre issue d’un ensemble de commandes pour commémorer le centenaire de la Grande Guerre. Le violon soliste était assuré par un autre Belge, Lorenzo Gatto. Que dire de cette œuvre ? Des dissonances prononcées qui heurtent toujours, mais restent assez contenues, sans basculer dans les excès dont nous a gratifié Plume, enfin pas elle, mais ce qu’elle nous a donné à écouter il y a quelques temps. Et du violon dont j’ignorais que l’on pouvait en jouer ainsi (et pas que le soliste même si c’était surtout lui), comme si l’archet avait été par moments une scie ou un couteau que l’on aiguisait sur la pierre de manière frénétique. Mais de beaux résultats étonnants pendant 30 minutes. Des percussions aussi assez peu communes, un piano (très discret) et un instrument à clavier que nous n’avons pas pu identifier et auquel s’asseyait le pianiste en alternance avec le piano. Et puis la belle texture des instruments de l’orchestre. En définitive, ce n’est pas cela qui m’aurait fait venir mais l’entendre sous forme d’apéritif était finalement assez plaisant.
On l’aura compris, nous n’étions pas venus pour écouter cela, mais pour la Symphonie n° 7 en ut majeur, « Leniningrad », op. 60 de Dimitri Chostakovitch. Ni Fromfrom ni moi ne connaissions cette œuvre, mais d’autres morceaux du compositeur, si. Nous étions donc intéressés. Et nous n’avons pas été déçus. L’œuvre a été composée en 1941 à Leningrad, alors sous les bombes allemandes et créée l’année suivante. Elle est immédiatement très populaire et est jouée des dizaines de fois en Amérique du nord en 1942-43. Elle passe pour être une œuvre de résistance au nazisme, mais c’est sans doute un petit peu plus compliqué que cela.
Dans le premier mouvement, après une rapide introduction destinée à montrer ses muscles, l’orchestre s’éteint presque et redémarre sur un thème rythmé initié à la caisse claire et qui sera répété plein de fois en ajoutant des instruments peu à peu, jusqu’à la plénitude tonitruante de l’orchestre. J’ai été alors submergé par l’émotion et la vibrante texture des instruments. Cela comporte quelque chose du même ordre que le Boléro de Maurice Ravel, mais on n’y est pas habitué et on a l’impression de profiter encore plus de cette pépite. Le reste de l’œuvre (78 minutes en tout) est différente, avec quelques surprises et aussi un final d’une puissance hallucinante, entrecoupée par des arrêts un peu anxieux. Bref, un très bon moment.