Il y a quelques temps, j’avais parlé des stagiaires « directs » et de longue durée que j’avais eus. J’aborde cette fois le cas du stagiaire Cornus.
De mon temps, contrairement à la pratique actuelle, il n’y avait pas de stage de découverte en entreprise. Donc, je n’ai jamais véritablement mis les pieds dans une entreprise en dehors de celles de mes parents. Ma mère, après avoir travaillé dans la même société que mon père en tant qu’infirmière du travail et avoir été mise au chômage suite à des réductions d’effectifs, a terminé sa carrière dans une maison de retraite communale médicalisée. Ma mère a toujours refusé que je fasse des « jobs » d’été dans l’entreprise paternelle, tant elle connaissait les risques qui n’avaient rien de théoriques (le nombre d’accidents qui s’y produisait était impressionnant et surtout parfois extrêmement graves, sans parler des morts).
Après le bac, je n’ai rien fait. L’année suivante (bac + 1) sans stage obligatoire, je n’ai rien fait non plus. J’ai utilisé mon été à me faire opérer des ongles (pas si bénin que ça, d’autant que ça a duré) et à confectionné mon premier et seul herbier qui nous était réclamé. Je n’ai pas eu la meilleure note d’ailleurs, mais seulement la seconde, certes de peu. Je m’étais fait doubler par un de mes camarades qui avait passé l’été à herboriser dans les Alpes. L’année suivante, ce jeune présomptueux fut remis à sa place dans tous les compartiments du jeu végétal.
Mon premier stage obligatoire pour l’obtention de mon Diplôme universitaire de technologie fut à l’Institut Pasteur de Lyon (IPL) lorsque celui-ci se trouvait, dans un bâtiment moderne et assez haut de gamme non loin de la halle Tony Garnier. Je travaillais sur des petites daphnies, ces êtres crustacés planctoniques. Une bestiole, Ceriodaphnia dubia, qui adulte ne dépasse guère un millimètre dans sa plus grande dimension. Je travaillais en écotoxicologie, pour tester des milieux d’élevages et surtout des produits en toxicité chronique : inhibition de la reproduction. Je ne rentre pas dans les détails scientifiques et techniques, ce n’est pas la question.
Je travaillais avec l’ensemble des autres techniciennes (que des femmes) au sous-sol, dans une atmosphère et une lumière complètement et rigoureusement contrôlées. Au plus chaud de l’été en sortant le soir de ma serre à endives, j’étais saisi par la chaleur et la vivacité de la lumière. J’étais un véritable petit rat de laboratoire. Mes collègues avaient presque toutes un bac + 2, mais je dois dire qu’en trois mois de stage, j’avais fait le tour de la question et je pense qu’en moins d’un an, j’aurais fait le tour de toutes les questions du laboratoire. Il faut dire qu’à un poste de laborantin de ce niveau, on est un « simple » exécutant. A l’époque, je n’avais pas encore de certitude sur mon avenir, mais ce stage m’a ouvert les yeux : je n’aurais pas été longtemps heureux dans un poste similaire, qui de plus, tout bien réfléchi, n’était pas (plus) à la hauteur de mes ambitions.
La maître de stage, la chef du labo, avait son bureau à part, à la lumière. Elle était pourtant petite et menue et avait le même teint que les endives. C’était une bosseuse, discrètement souriante, mais qui ne riait pas tous les jours. Vu avec le recul, elle était rentrée dans la science laborantine comme on entre religion. Mais je dois dire que c’était quelqu’un de bien. Au sein de l’IPL, c’était du sérieux et on y était quelque peu coincé. Et je n’ai jamais tapé la discute avec le directeur de département et jamais vu le directeur général. Un système très hiérarchisé où on ne se mélange pas. Même à l’époque, cela m’avait un peu chagriné.
La soutenance de stage avait été mon premier véritable grand oral. Mon travail avait été loué et j’avais eu de bonnes notes. Cela n’a pas été sans m’encourager et me donner confiance pour la suite.
A l’occasion de ma troisième année post-bac, pas de stage obligatoire, mais la volonté tout de même de tester un nouvel organisme. Ce fut donc le Mus*é*um d’hi*sto*ire natu*relle d’Au*tun pour un peu plus d’un mois. Il était dirigé par une forte personnalité chaleureuse et sympathique. Il m’avait confié un inventaire des haies de la commune à partir de photos aériennes. Comme j’avais fait le travail à une vitesse qu’il ne s’était pas imaginée, il m’avait demandé de faire des synthèses sur la faune dont les oiseaux (pauvre de moi) et j’avais aussi réalisé des inventaires floristiques sur de petits sites. Il m’avait demandé d’assister une stagiaire (en stage obligatoire de bac + 2) pour ses inventaires floristiques. La pauvre ne reconnaissait pas trois plantes sur le terrain. Avec la super voiture de service, je n’avais pas le droit de sortir de la commune pour des raisons d’assurance. Il s’agissait d’une vieille Acadiane (une 2 CV fourgonnette) à trois vitesses au tableau de bord. Une fois, revenant du terrain alors que l’orage menaçait, la conductrice a calé en ville au feu rouge : le moteur était noyé au sens propre et au sens figuré. Je m’étais bien amusé pendant ce stage. J’avais fait aussi une après-midi et une première partie de nuit de chasse aux papillons à quelques dizaines de kilomètres de là en compagnie de l’un des meilleurs spécialistes français de la question. Un type incroyable, auteur de deux thèses sur le sujet, électron libre de l’entomologie, d’une extrême orthodoxie scientifique, aigri et vivant de petits boulots dans son domaine (encore aujourd’hui). Au retour de la chasse de nuit, avec la fameuse Acadiane, il se mit à dériver sur la voie de gauche car il s’endormait. Pour le reste du chemin, inutile de dire que je l’ai surveillé de près. A d’autres reprises durant le même été à l’occasion de l’étude qu’il menait, il avait quand même réussi l’exploit de faire deux excès de vitesse avec l’Acadiane (c’était en 1993, il n’y avait pas de radars automatiques). Je suis resté en bons termes avec le conservateur et surtout celui qui lui a succédé que je revois périodiquement.
L’année suivante, c’était plus sérieux : un stage obligatoire d’un peu plus de trois mois à l’occasion de ma Maîtrise de sciences et techniques. Je l’ai réalisé à la Direction départementale de l’Équipement de la Loire à Saint-Étienne (actuellement Direction départementale des Territoires). J’étais dans un service qui s’occupait notamment d’aménagements, d’assainissement, d’hydraulique et de contrats de rivières, notamment celui du Gier qui m’avait amené jusque là.
Mon maître de stage était le chef de service (un important service), mais j’étais affecté dans une cellule dirigée par un jeune ingénieur, que je voyais peu car il suivait de près (sur le terrain) plusieurs importants chantiers simultanés sur l’Ondaine (le nom d’une autre rivière, car je pense que cela ne parlera qu’à Calyste). Au jour le jour, j’étais en interaction avec un jeune technicien (jeune, mais bien sûr moins que moi à l’époque, évidemment) avec lequel je m’entendais bien et que j’avais impressionné.
C’était une époque à laquelle on fumait encore dans les bureaux et je témoigner que c’était terrible, car il y avait quand même trois ou quatre fumeurs dans l’ensemble de bureaux. Le matin en arrivant, mon premier travail était d’ouvrir les fenêtres au grand large avant que le jeune technicien en question n’arrive (son bureau était en face du mien).
Dans cette cellule, il y avait aussi une « vieille » secrétaire qui avait déjà plus de 60 ans, mais n’avait pas encore ses années pour partir. C’était une dame charmante, soucieuse de bien faire, qui s’était mise à l’informatique avec courage. Je l’aimais bien. Elle avait tapé une bonne partie de mon rapport de stage et elle avait beaucoup aimé le faire (le texte lui plaisait, car cela changeait de ce qu’elle tapait habituellement). Il y avait aussi deux dessinateurs et deux autres techniciens. Un des dessinateurs et le jeune technicien mangeaient systématiquement avec moi. Après une phase d’observation et m’avoir testé, en s’assurant probablement de ma discrétion auprès des chefs, ils en étaient arrivés à m’offrir presque systématiquement l’apéritif au bistrot le midi avant d’aller au restaurant administratif. Il y a des choses que l’on ne peut pas refuser, surtout quand l’intention est généreuse. Ils n’ont jamais voulu que je paye ma tournée. Il faut dire que je n’étais pas rémunéré. En dehors de la première partie de mon stage, il y avait encore un peu de boulot (je pèse mes mots), mais à partir de fin juin, c’était vacances pour eux alors qu’ils n’y étaient pas encore. La perruque foisonnait dans tous les coins, mais surtout, en l’absence de la secrétaire, on se relayait sur son ordinateur pour faire des parties effrénées de Solitaire (le chef n’était presque jamais là, comme je l’ai dit). Les deux vieux techniciens et les dessinateurs commençaient le travail tôt le matin (7 h ou 7 h 30). Le plus gros du travail consistait, dès leur arrivée, à lire le journal, plus ou moins à tour de rôle, en commençant d’abord par les gros titres. Puis, il était question de travailler (ben oui, quand même, mais il fallait pas se casser l’os du foie et ne pas risquer le surmenage). Vers 10 h ou 10 h 30, c’était la pause café, et à cette période de l’année, elle pouvait facilement durer trois quart d’heure à une heure, en faisant des haltes et en tapant la discute aux différents étages. Ne généralisons pas, tout le monde ne faisait pas ça, à commencer par « mon » jeune technicien. Ensuite, il fallait finir de lire en détail le journal. Il était alors l’heure d’aller prendre l’apéritif. Souvent, durant la pause, on « oubliait » de dépointer. L’après-midi, on bossait quand même un peu. Un peu, car les bons jours, l’ordinateur de la secrétaire chauffait. Comme ils avaient commencé tôt le matin, ils ne finissaient pas tard l’après-midi, voire carrément tôt. Je me demande ce qu’ils avaient boutiqué. L’un des techniciens au moins partaient en voiture DDE pour rentrer chez lui (il habitait assez loin), alors qu’il n’avait rien de spécial à faire sur le terrain ou sur un chantier. C’était peut-être autorisé, mais cela continue de me défriser. Pendant ce temps là, je faisais mon boulot. Une fois, comme je n’avais pas le droit de conduire un véhicule DDE moi-même, j’ai demandé à ce qu’un dessinateur m’emmène en réunion ou sur le terrain. On m’a accordé cette faveur une fois, mais la fois suivante, on m’a dit : « j’ai du boulot, Machin m’a demandé de faire ça, je ne peux pas ». Tu parles, Charles, il y avait tout au plus deux heures de boulot pour la journée où mon homme s’était déclaré débordé. Et de fait, j’ai été obligé d’utiliser ma voiture personnelle pour faire mes investigations sur la rivière objet de mon stage. Le grand chef n’était pas dupe de l’oisiveté qui régnait dans une partie de son service et il aurait souhaité y mettre de l’ordre avant de passer la main et d’être muté dans un autre département pour se rapprocher de sa famille. C’était un vrai daltonien qui écrivait et signait en vert, dandy, adepte d’Yves Saint-Laurent, inondé de parfum (lui serrer la main le matin transmettait l’odeur pour la journée). Je m’entendais bien avec lui. C’est d’ailleurs moi qui lui avais dicté mon sujet de stage (en fonction du problème qu’il avait à traiter, bien sûr). Il avait relu mon mémoire avec attention et lors de la soutenance, le peu de bien que la présidente du jury (une garce incompétente et frustrée) avait trouvé à dire n’était autre que ce que mon maître de stage lui avait expliqué. J’ai déjà raconté un peu cette soutenance de stage, et je n’ai toujours pas digérée ma note d’oral, qui n’était pourtant pas mauvaise. Comment peut-on juger ce qu’on ne comprend pas ? Comment peut-on contredire les autres membres du jury, qui affirmaient que je n’étais pas mauvais et à l’aise à l’oral en disant que je donnais l’impression de l’être, mais qu’en réalité je ne l’étais pas du tout ? Elle qui était quand même d’une nullité achevée à l’oral (en cours) et qui a fini par décrocher sa thèse par protection.
J’avais travaillé pour de vrai entre temps, mais mon dernier stage, qui ressemblait encore à peu près à un stage fut celui de mon Diplôme d’études approfondies, pour lequel l’établissement public auquel j’étais administrativement rattaché (Age*nce de l’E*au Loi*re-Bre*ta*gne) me servait une indemnité de stage, royale pour l’époque, puisque cela équivalait à 90 % du SMIC. Un stage de sept mois à Orléans, avec une personne qui allait beaucoup compter et avec laquelle j’avais déjà tissé des liens amicaux durant l’année précédente et avec laquelle j’allais travailler les années suivantes. Rien de spécial à dire, tant ce stage était sur mesure, axé sur la végétation du fleuve royal. L’autre maître de stage, universitaire cette fois, était un professeur de l’université de Grenoble, et qui lui, avait fait de mémorables travaux sur la végétation du Rhône. Mon objectif était de tenter de commencer à faire la même chose sur la Loire, cependant avec beaucoup moins de moyens. Cela irait mieux ensuite avec ma thèse. Pas d’anecdote particulière à conter si ce n’est le directeur de la petite structure où je travaillais, très catho, qui respectait le Carême en s’abstenant, entre autres (mais je n’en ai pas la preuve), de boire du café le matin et à midi jusqu’à Pâques.