Critique littéraire
Quand on lit des pages traduites d’un auteur étranger, l’histoire est en général bien retranscrite dans les grandes lignes et dans le détail, à quelques bricoles près, qui il est vrai, peuvent avoir leur importance dans certains cas. En revanche, il est parfois difficile d’avoir une idée claire sur le style, le sens, les intentions qui peuvent à coup sûr différer à des degrés divers. Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? Bien qu’assez peu versé pour avoir un avis éclairé, j’hésite entre celui qui privilégie le sens « originel » (mais quel est ce sens, et quel lien avec le signifiant ?), le sens acquis au cours du temps ou de la vie de l’auteur, celui qui choisit la précision horlogère de la description, qui colle à une forme de mot à mot, celui qui préfère la musique, la poésie des mots, des phrases ou d’autres figures du texte, le caractère coulant ou heurté de la narration, des formulations, des combinaisons ou une infinité d’autres dispositions ou dispositifs qui font l’identité unique d’un auteur à un moment donné. Comment être fidèle à la lettre ou à l’esprit, comment ne pas se fourvoyer consciemment ou non ? Comment respecter toutes ces règles concomitamment, comment désobéir à certaines contraintes ? Et je ne sais quoi encore…
Madame Plume, fort expérimentée sur le sujet pourrait sans doute en dire long sur le sujet (mais entendons-nous bien, je ne réclame rien). Pourquoi dis-je cela ? Parce que je voulais parler d’un roman (ou d’une nouvelle ?) de Stefan Zweig, traduit de l’allemand. Pourquoi cet auteur ? Parce que cela fait longtemps que j’en entends parler, et Calyste a été également très présent depuis plusieurs années pour vanter régulièrement les mérites des ouvrages de cet auteur.
J’avais demandé il y a quelques mois à Calyste ce qu’il me conseillerait de lire en premier, mais je lui ai involontairement désobéi. Pourquoi ? Parce que parmi la liste les livres disponibles dans les réserves de la bibliothèque municipale (rigoureusement rien de cet auteur dans les rayonnages ouverts au public), je suis tombé sur La confusion des sentiments, titre dont je connaissais l’existence depuis de nombreuses années, sans pour autant savoir précisément de quoi il s’agissait.
Selon moi, le livre est un petit peu laborieux à démarrer dans les toutes premières pages. Mais cela ne dure pas. On entre assez vite dans le vif du sujet avec les frasques berlinoises de Roland, la rencontre du professeur de philologie à l’université d’une autre ville, le fait qu’il est tout de suite frappé, séduit par l’érudition et une forme de rhétorique de l’enseignant. Roland, l’étudiant fêtard se mue en avaleur de connaissances littéraires et linguistiques, jusqu’à l’épuisement. Le professeur passionné, oscille entre séduction intellectuelle et rejet du jeune homme. Et l’épouse vient jouer un curieux rôle dans le dispositif, jusqu’à la révélation.
Le livre date de 1927, la traduction de 1948 (il semblerait qu’il existe une nouvelle traduction tout à fait récente), mais j’ai trouvé la rédaction et la présentation très abordable, si l’on excepte quelques phrases parfois un tout petit peu alambiquées (rien pour m’effrayer). L’ensemble se lit finalement très vite et on se prend assez bien au jeu. L’histoire semble un peu cousue de fil blanc dès la moitié du livre, mais la question de l’homosexualité, de certaines amours alors interdites et « impossibles » dans cette Allemagne de l’entre-deux-guerres, m’a paru d’une grande modernité, d’une belle sobriété et finalement d’une relative simplicité surtout avec des yeux qui sont bien éloignés de ceux d’aujourd’hui. Et c’est peut-être aussi en cela que ce livre m’a plu.
Zweig S., 1987. – La confusion des sentiments (Notes intimes du Professeur R. de D.). Traduit de l’allemand par Alizir Hella et Olivier Bournac. Bibliothèque cosmopolite, Stock, Paris, 184 p. [édition originale initiale de 1927, première traduction française de 1948].